Les conflits au travail: un problème d'individus ou d'organisation?
Ils sont de plus en plus indispensables en entreprise, sans que l'on connaisse très bien l'étendue de leurs compétences: les psychologues du travail et des organisations. Nous poursuivons ici notre série de 6 chroniques sur le rôle de ces professionnels pour les RH, en nous intéressant à une question récurrente: les conflits au travail relèvent-ils d'un problème d'individus ou d'organisation?
Photo: Julien L / Unsplash
Des tensions au travail? Le plus souvent, quand des difficultés interpersonnelles surviennent dans une entreprise ou une organisation, l’attention se focalise sur les protagonistes. Richard et Marine ne s’entendent pas? C’est sans doute lié à leurs caractères, à une personnalité un peu trop ou pas assez affirmée, à un possible problème psychique, voire à un défaut de compétence...
Porter un regard différent, plus large, incluant diverses dimensions professionnelles nécessite une certaine discipline et un effort conscient. Dans les faits, les conflits de travail constituent souvent le symptôme ou l’expression d’un problème sous-jacent, qui n’est pas forcément personnel. Les cahiers des charges de Sylvie et Marco sont flous et se chevauchent? Pas étonnant que des tensions apparaissent!
Élargir la focale sur le contexte
La manière dont les conflits sont appréhendés et analysés dans une organisation a un impact énorme sur les mesures qui en découleront. Votre démarche est axée sur les personnes? Par définition, vous détecterez et prendrez en compte essentiellement des dimensions individuelles, au mieux interpersonnelles. Vous élargissez la focale et promenez votre loupe sur toutes les dimensions contextuelles? La pêche aux informations sera d’autant plus riche, et les pistes d’intervention et de prévention d’autant plus nombreuses.
En tant que psychologues, nous découvrons les problèmes par le biais du récit qui nous en est fait. Ce récit est en général assorti d’une demande concrète. Par exemple, un cadre pourrait souhaiter qu’une médiation soit mise sur pied afin d’apaiser la relation électrique entre deux subordonné·e·s qui ternit l’ambiance des réunions. Il est capital d’accorder du temps à cette phase de réflexion initiale et de recueillir les informations qui permettront de déterminer les démarches les plus adaptées.
Quelques questions à se poser
Voici quelques questions utiles dans cette perspective: «Quelle est l’activité exercée?» «Quel est le contexte organisationnel?» «Quels sont les problèmes qui se posent, et à quelle(s) personne(s)?» «Qu’est-ce qui a déjà été mis en œuvre pour tenter de résoudre le problème?» «Quelles sont les conséquences de cette situation (sur les personnes et pour l’organisation)?» «Qui serait prêt se mobiliser pour amener des changements?» «Qui pourrait intervenir et de quelle manière?»
Un cas fictif
Afin de donner une idée de la manière dont ces questions sont abordées, nous vous proposons de plonger dans l’exemple ci-dessous, fictif et volontairement simplifié:
Marco, assistant RH, travaille depuis quelques mois en tandem avec une autre assistante RH, Sylvie. Afin de favoriser la collaboration, la hiérarchie décide que Marco s’installe dans le même bureau que Sylvie. Les premières semaines, tout se passe bien. Mais au fil du temps, Marco a le sentiment que Sylvie cherche à lui imposer ses modes de travail. De son côté, Sylvie lui reproche de ne pas s’adapter et de compliquer le suivi des dossiers. La tension monte au point qu’ils ne prennent plus la pause ensemble et ne s’adressent quasiment plus la parole. Informée, la hiérarchie tente de discuter de manière séparée avec Marco et Sylvie; suite à cela, leurs horaires de travail sont réaménagés pour qu’ils se croisent le moins possible. Cela ne résout pas la situation. Marco semble démotivé et se renferme sur lui-même. Quant à Sylvie, elle cherche du soutien auprès d’autres collègues en se plaignant de Marco. La hiérarchie décide à ce moment-là de faire appel à nous.
Après avoir vu les personnes individuellement, notre psychologue a proposé des réunions incluant les deux protagonistes et leur responsable hiérarchique. Ces rencontres ont permis de mettre les choses à plat et d’exprimer ce que chaque personne était disposée à faire. Dans cette situation, il a été décidé de donner la priorité à une clarification des modes de travail. L’idée était de laisser un temps de réflexion à Marco et à Sylvie avant de tenter une éventuelle médiation.
Un cadre et des principes de collaboration
Finalement, le fait que la hiérarchie s’implique dans une redéfinition des processus et prenne position quant aux points qui causaient des frictions a permis de poser un cadre dans lequel le travail a pu se faire de manière plus détendue. La situation s’est apaisée au point que quelques pauses-café ont eu avoir lieu en commun! Et lorsque notre psychologue a repris contact avec ces trois personnes quelque temps plus tard, elle a réalisé qu’une médiation n’était effectivement plus à l’ordre du jour. En revanche, quelques réunions de suivi collectives ont été organisées pour affiner les principes de collaboration au sein de l’équipe.