Les nouvelles technologies, première préoccupation d’avenir des DRH
Le professeur Norbert Thom de l’Université de Berne a dirigé la première étude suisse consacrée à l’influence des nouvelles technologies sur les départements RH. Selon cette étude, la mise en place d’un système d‘information des ressources humaines (SIRH) exige une réorganisation en profondeur de l’architecture RH d’une organisation.
Renato C. Müller (à g.) et le Professeur Norbert Thom, Université de Berne. Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Le constat est sans équivoque. Dans les cinq ans à venir, la première préoccupation des DRH de Suisse sera les défis posés par les nouvelles technologies. Plus de 44% des 605 départements RH sondés affirment que cette révolution sera leur principal souci d'avenir, devant le management de la santé et le développement du personnel. Cette recherche unique en Suisse, dirigée en 2007 par le professeur Norbert Thom de l'Institut Organisation et Personnel de l'Université de Berne, permet également de relativiser quelques mythes liés à l'informatisation de la vie en organisation. On découvre notamment que les entretiens demeurent très efficaces lors des processus de recrutement, de gestion des conflits, de fixation d'objectifs ou d'évaluations annuelles par exemple. En revanche, l'utilisation d'Internet et des e-mails a profondément modifié la vie en organisation. En compagnie du doctorant Renato C. Müller, spécialiste du e-leadership, Norbert Thom revient pour HR Today sur les principales conclusions de son enquête.
Quels sont les nouveaux médias qui vont révolutionner la vie en organisation?
Norbert Thom: En plus des moyens de communication classiques, nous nous sommes intéressés aux modifications des habitudes de travail depuis l'arrivée des nouvelles technologies comme les e-mails, Internet ou les systèmes RH complexes en Workflow (SIRH). Nous avons constaté des impacts différenciés sur la vie en organisation. Les plus significatifs sont Internet, les e-mails, les téléphones portables et les entretiens en face à face. C'est donc un mélange de nouvelles technologies et de méthodes traditionnelles. Les systèmes de gestion des données et de processus RH en Work-flow gagnent aussi du terrain. En revanche, les Podcast/MP3, les blogs et les chats sont encore peu appréciés. L'impact des nouvelles technologies doit donc être nuancé.
Ces technologies sont-elles déjà bien implantées?
NT: Les grandes organisations ont déjà fortement implémenter leurs processus (27 pour cent), avec des portails RH par exemple. Les petites entreprises le font moins (11 pour cent). Et il reste une grande part de méfiants. Sur 2000 questionnaires envoyés, nous avons reçu 605 réponses. Il existe donc encore de nombreux RH qui ne s'intéressent pas à ces problèmes. Estimant que le défi technique est encore trop difficile à franchir. Ils avancent également le fait d'être encore mal équipés. Je postule que ces raisons vont perdre de leur validité avec le temps.
Pourquoi?
NT: Car les jeunes générations ont grandi avec ces nouvelles technologies. Les barrières liées à la compétence technique sont donc en train de tomber. Un autre facteur de résistances réside sans doute dans la peur de se faire mettre sur la touche. Quand vous avez été le champion de l'administratif toute votre carrière et qu'on vous présente un ordinateur qui va effectuer ces tâches de manière automatique, la tendance est au repli. C'est oublier qu'avec un peu de formation, le responsable RH peut devenir un conseiller, un business partner. La question de la formation est donc primordiale. Notez que les formations RH sont en plein boom. Elles arrivent en seconde position derrière les cursus en marketing. Les mentalités sont en train d'évoluer.
Les investissements sont souvent lourds. N'y a-t-il pas là un autre frein ?
Renato C. Müller: Les gros investissements en recherche et développement étant derrière nous, les coûts ont considérablement baissés depuis quelques années. Dans le hardware en tout cas. Les softwares devraient suivre la tendance, avec les systèmes en open source qui sont gratuits.
Comment est perçu la question de la protection des données?
RM: L'arrivée des nouvelles technologies rend les organisations transparentes. Le thème de la protection des données sera donc décisif dans les années à venir. Les syndicats en Allemagne et en Suède viennent d'ailleurs de s'élever contre un système d'évaluation annuelle informatisé qui permet, selon eux, d'accéder trop facilement à des données personnelles.
NT: Oui. On constate toujours plus d'abus. Les listes d'adresses font l'objet d'âpres négociations. Les téléphones sont mis sur écoute: pensez à la récente affaire Telekom en Allemagne. Quand vous payez votre repas à la cantine avec une carte de crédit, il est possible d'établir un portrait de vos habitudes d'alimentation. Combien de verres de vin buvez-vous à midi... Le détournement de ces informations personnelles est un risque à prendre très au sérieux.
Parlons du positif. Quels sont les utilisations les plus fréquentes de ces nouvelles technologies?
NT: La grande majorité des applications est encore très simple et statique. Le téléchargement de formulaires arrive en tête (82 pour cent). Puis les offres de formation continue sur catalogue en ligne (67 pour cent). Les offres internes pour une nouvelle place est un phénomène plus interactif (65 pour cent). C'est presque de la publicité au lieu du panneau d'affichage dans les couloirs. Les glossaires qui répertorient les questions les plus fréquentes augmentent également. Ces outils permettent de mieux comprendre les abréviations et le vocabulaire de l'entreprise. Enfin, l'organisation des vacances et la gestion du temps sont des processus qui s'électronisent de plus en plus.
Pourquoi les RH choisissent-elles ces nouveaux modes de communication?
RM: La réponse est plus nuancée qu'on pourrait l'imaginer. On a longtemps pensé que les systèmes informatiques allaient réduire drastiquement les coûts. Ce n'est pas si simple. Ces systèmes doivent être installés, soignés et actualisés. Cela coûte de l'argent. La réduction des supports papiers ne s'est malheureusement pas réalisée non plus. On imprime autant qu'avant. Parmis les éléments plus positifs, la qualité du service offert au management est déterminant. Si toutes les données sont actualisées, le manager peut voir en un coup d'œil les formations, les compétences, les dernières évaluations annuelles et le salaire du collaborateur.
Vous avez également analysé l'apport des technologies au leadership?
RM: Parmi les outils stratégiques, les entretiens en tête à tête arrivent loin devant. On ne remplacera jamais la discussion autour d'une table pour résoudre un conflit, fixer des objectifs ou pour parler d'un dysfonctionnement. Puis arrive Internet et les e-mails. Investir dans un bon portail internet est déterminant. On constate par exemple que les classements des employeurs les plus attractifs attachent une grande importance aux portails internet. Tout comme répondre rapidement aux e-mails. Il faut également éviter les sites avec des logiciels intempestifs. L'accès doit être simple et fonctionnel. Cette fonctionnalité doit également s'appliquer aux collaborateurs. Les informations doivent être structurées et facilement accessibles. Les meilleurs sites internet ont été créés par des gens issus de l'informatique et du marketing RH.
Quelle est votre analyse des systèmes en Workflow?
RM: Ils figurent parmi les outils stratégiques les plus importants, avec les téléphones mobiles, les téléconférences et le VoiP. Ce segment va s'en doute gagner en importance ces prochaines années. C'est aussi le segment qui rapporte le plus aux éditeurs de logiciels.
Et les blogs ?
RM: La perception des blogs n'est pas très bonne. Rappelez-vous le cas de Nelly Wenger. Elle a énormément souffert de ce blog anonyme d'un ex-cadre de Nestlé. Le blog est un outil à double tranchant. Le management accepte la transparence mais refuse de perdre le contrôle de sa communication.
S'il fallait établir un classement entre les bonnes et les mauvaises pratiques...
NT: La récolte d'information, l'organisation, la planification et la communication fonctionnent très bien. Le contrôle et l'évaluation des performances sont plus délicats. On constate par exemple que la formation en e-learning ne suffit pas. On parle désormais de blended learning (e-learning + présentiel). La fixation d'objectifs nécessite aussi un interlocuteur en face de vous. La délégation des tâches et des responsabilités ne conviennent pas non plus aux nouvelles technologies. Tout comme les discussions stratégiques qui ne doivent pas laisser de traces. Internet et les e-mails gardent tout en mémoire. Pensez à toutes ces vidéos compromettantes qui circulent sur You Tube...
Avant d'implémenter une politique RH en mode électronique, quelles sont les étapes-clés?
NT: Avant d'initier ce genre révolution, il faut être au clair conceptuellement. Ce qui implique de repenser en profondeur toute l'architecture RH de votre organisation. Et surtout ne pas croire que la technologie va résoudre les problèmes d'ordre organisationnel ou de stratégie RH. Quels sont les objectifs? Quels outils ? Comment vais-je procéder? Quels sont les erreurs classiques à éviter? Bref, réfléchir à son concept RH de manière conséquente et systématique, du recrutement au licenciement.
RM: L'erreur classique est d'adapter le système RH aux processus informatiques. C'est bien l'inverse qui doit avoir lieu. Un mauvais processus sera aussi un mauvais processus électronique. Evidemment, les éditeurs de logiciels vont proposer leur soutien lors de cette phase de réflexion. On entend souvent des RH dire que le système SAP, pour prendre un exemple, nécessite telle ou telle politique RH. C'est faux. Il faut mener cette réflexion en interne.
Les directeurs RH sont souvent réticents à s'engager dans un tel processus. Invoquant la complexité technique de ces systèmes ou tout simplement un manque de temps. Vos conseils?
NT: Observez ce qui se passe dans les entreprises. Le traitement des données est un phénomène transversal. La finance, la logistique et le marketing ont tous franchi le pas. Imaginez que seul le département RH résiste encore à cette informatisation. Que restera-t-il? Un musée? C'est une question de crédibilité et de compétitivité.