Les stratégies d’insertion pour les personnes en marge du système
Comment maintenir, intégrer, réintégrer des individus dans un marché du travail en pleine révolution numérique? Vaste question à laquelle nous souhaitons apporter une réflexion et des pistes d’action.
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Pour assurer sa place dans un système tel que le marché de l’emploi, un individu devrait appréhender l’ensemble des normes, des valeurs et des règles propres au système. Les RH de leur côté s’assurent que les collaborateurs et les collaboratrices acquièrent les ressources et compétences nécessaires afin d’évoluer avec le système et garantir ainsi l’équilibre de celui-ci, dans le but notamment d’assurer l’efficacité et la compétitivité de leur entreprise ou son institution.
Dans un contexte où la technologie, la robotisation et l’intelligence artificielle prennent une ampleur grandissante avec une favorisation des emplois hautement qualifiés et une perte d’un certain nombre d’emplois au profit de la création d’autres, il devient nécessaire d’éduquer les plus jeunes à ce monde nouveau qui se dessine progressivement.
Bien avant le monde de l’entreprise, cela passe en premier lieu par l’intégration de la technologie dans l’enseignement scolaire. Bien entendu, il ne s’agit pas de remplacer l’enseignement classique par un enseignement purement digitalisé, ni de l’introduire aux premières années de scolarité.
En effet, selon certaines études, l’usage de telles méthodes avant l’âge de 8 ans serait déconseillé. Il s’agirait davantage d’introduire l’utilisation de tablettes 1 à 3 fois par semaine dans un but surtout de développer l’agilité des jeunes quant à l’usage de ces technologies. De même qu’apprendre aux élèves à appréhender et utiliser ces outils afin qu’ils leur soient utiles et pas uniquement destinés à des loisirs, parfois addictifs. Dans notre structure Connexion-Ressources, où nous accompagnons des jeunes à la recherche d’une formation, nous avons introduit des interventions allant dans ce sens.
Favoriser l’accès à la technologie passe notamment par des investissements en moyens et ressources de la part des collectivités publiques. A l’instar de la commune de Muri (canton de Berne), qui a investi 1,5 million dans l’acquisition d’iPads et de notebooks, les cantons et les communes ont un rôle important à jouer dans la mise à disposition des élèves d’outils performants ainsi que dans la formation du corps enseignant.
Au-delà du développement des compétences techniques, il convient également de développer les compétences personnelles et sociales des individus de tout âge, que ce soit au niveau scolaire, secondaire, tertiaire ou par la suite en entreprise, à travers des formations continues ou du coaching. En effet, afin d’évoluer dans un marché de l’emploi en pleine mutation, posséder et développer des compétences telles que la capacité d’adaptation, la capacité d’apprentissage ainsi que la capacité d’analyse et de remise en question est primordial pour réussir à s’adapter à l’évolution des fonctions dans un monde accéléré.
Quid des personnes pas ou peu formées?
Selon les chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique, 8,8% des jeunes n’obtiennent pas de certification du degré secondaire. Étant donné qu’un CFC est souvent considéré comme un prérequis pour accéder au marché de l’emploi, les personnes sans certification rencontrent plus de difficultés à trouver un premier emploi. Par ailleurs, en cas de perte d’emploi, ces personnes font face à une forte concurrence pour réintégrer le marché de l’emploi.
De ces chiffres, il ressort également que le manque de qualification touche plus les personnes d’origine étrangère que celles d’origine suisse, 18%. Ce chiffre peut être interprété à plusieurs niveaux. L’obtention d’un CFC passe par la signature d’un contrat d’apprentissage auprès d’une entreprise, ce qui suppose la mise en place d’un processus de sélection. Selon les critères choisis par l’entreprise, certaines candidatures peuvent être écartées, ce qui rend l’accès à la formation problématique pour les personnes concernées.
Un autre aspect de cette situation concerne la reconnaissance des diplômes étrangers. Parfois, une personne peut être considérée comme non qualifiée par le simple fait que son diplôme n’est pas reconnu. Ce manque de reconnaissance freine ou empêche l’accès à une équivalence, ce qui débouche naturellement sur une difficulté supplémentaire pour intégrer le marché de l’emploi.
Dans ce contexte, il apparaît que l’entreprise joue un rôle crucial dans l’intégration des personnes considérées comme non qualifiées. Certaines entreprises peuvent écarter des candidat·e·s avec un fort potentiel tout simplement parce que les critères de sélection sont très restrictifs. Pour pallier en partie à cela, dans notre pratique d’organisme d’insertion nous fonctionnons beaucoup par des stages d’essai conventionnés. Ceci permet à l’entreprise de tester les compétences réelles des candidat·e·s sur le terrain et au terme du stage de se positionner quant à un engagement ou non. De belles réussites professionnelles prennent naissance de cette manière.
L'intégration des personnes sans formation
Notre société et un grand nombre d’entreprises accordent beaucoup d’importance aux formations reconnues au niveau fédéral. Nous constaterons au passage que l’obtention du CFC par une validation des acquis de l’expérience (VAE) ne figure pas sur le graphique du système de formation suisse.
En effet, cela reste une forme de formation/accréditation encore peu répandue et pourtant elle gagnerait à être développée et facilitée. D’une part, car tout le monde n’a pas accès à un CFC, parfois du fait de la nécessité de gagner sa vie et faire vivre sa famille et d’autre part, car cela demande un haut niveau d’analyse et de prise de recul quant à sa pratique professionnelle et réclame de faire appel aux compétences préalablement citées. La validation des acquis apporte donc une haute valeur ajoutée à la personne ainsi qu’à l’entreprise pour laquelle elle travaille.
De nombreuses études évoquent des pertes massives d’emploi induites par la robotisation et la numérisation de l’économie. Même si de nouveaux métiers apparaîtront, les postes de travail créés ne compenseront probablement pas les pertes occasionnées par la robotisation.
De plus, il est prévisible que ces nouveaux métiers ne soient pas accessibles à des personnes peu ou pas qualifiées. Selon une récente étude du Conseil fédéral au sujet de l’impact de la robotisation de l’économie, la création de nouvelles activités s’observe en particulier dans des activités faisant appel à des compétences cognitives et interactives, ainsi que dans des domaines interdisciplinaires.
Les prémices d'une mutation sociale
Dans ce cadre, il serait possible de concevoir des outils permettant de se former tout au long d’un parcours professionnel. La technologie actuelle offre de larges perspectives à travers l’e-learning (apprentissage en ligne) ou le blended learning (apprentissage hybride). Ainsi, les difficultés rencontrées par les personnes peu ou pas qualifiées au moment de l’accès au marché de l’emploi pourraient être atténuées ou supprimées progressivement et de manière personnalisée.
A titre d’exemple, la Finlande a mis sur pied en 2018 un programme de formation en ligne gratuit en intelligence artificielle déjà suivi par 320 000 personnes.
Les dispositifs d’assurance-chômage et d’insertion prévoient des mesures visant à l’acquisition de compétences telles que les allocations d’initiation au travail, des stages de longue durée ou l’allocation de formation. Ces mesures pourraient également favoriser les reconversions professionnelles exigées par les évolutions prévisibles du marché de l’emploi.
Etant donné que le but est de favoriser l’accès au marché du travail des personnes concernées par ces mesures, la plupart d’entre elles requièrent la participation active des entreprises.
Finalement, une piste à suivre pourrait être le développement d’un projet national de formations initiales et continues reconnues basées sur les besoins avérés en compétences et formations des entreprises suisses ou basées en Suisse.
Au-delà des pistes évoquées, dans un contexte socio-économique où la numérisation et la robotisation du marché de l’emploi vont jouer un rôle de plus en plus marqué, il serait important de réfléchir aux moyens d’accompagner cette évolution. Il s’agit d’une question qui porte en elle les prémices d’une mutation sociétale majeure.