Employer Branding

L’être au lieu du paraître: diagnostic des insuffisances du Employer branding

Au-delà d’une forte présence médiatique et d’un nom connu, il sera décisif qu’une entreprise dise concrètement ce qui la rend attractive comme employeur, ce qu’elle offre au futur collaborateur et ce que ce dernier peut attendre de sa part. L’objectif est d’instituer un processus itératif. Ceci dans l’optique d’une croissance durable de l’entreprise.

En période de haute conjoncture, on assiste à une pénurie temporaire de personnel. Pour faire face, les entreprises ont fréquemment recours à des méthodes – surtout efficaces à court terme – pour attirer les ressources humaines disponibles sur un marché du travail fort disputé. Si ce n’est pas pour débaucher les meilleurs spécialistes chez les concurrents... Sont invoquées alors des stratégies agressives de marketing employeur et d’Employer branding. L’objectif étant de se positionner comme l’employeur le plus attractif du segment. Mais ces campagnes de relations publiques corres-pondent-elles à la réalité? Qu’entreprend cette société concrètement pour améliorer son attractivité? Et que signifie «être attractif»? Autant de questions communément ignorées. Un état de fait qui débouche très souvent sur un sentiment de déception chez les employeurs. Car bien que le recrutement de personnel réussisse à court terme, ils constatent une pénurie et une augmentation du turnover sur le long terme. Avec de réelles conséquences sur le développement durable de l’entreprise.

«The war for talents», cette guerre déclarée depuis longtemps, ne dépend pas de la conjoncture mais s’accentuera encore dans les années et décennies à venir. Elle est de nature structurelle, générée par les baisses démographiques et les mutations rapides au niveau des qualifications requises par le pôle de savoirs qu’est la Suisse. L’attractivité de l’entreprise comme employeur fait partie, à long terme, des critères décisifs pour son succès économique. Actuellement, l’Employer branding constitue une mesure peu efficace pour trouver des collaborateurs fidèles. Car le concept se limite souvent à un effort sur le plan de la communication, avec une multiplication des messages dont les effets touchent surtout l’image que se fait le grand public de telle ou telle entreprise. Cependant, au-delà d’une forte présence médiatique, d’un nom connu, d’une idée d’attractivité et de l’identification avec l’employeur rêvé, il sera décisif qu’elle dise concrètement ce qui la rend attractive comme employeur. Ce qu’elle offre au futur collaborateur et ce que ce dernier peut attendre en retour. Ceci dans l’optique d’une croissance durable autant pour les affaires commerciales que pour les trajectoires individuelles. Il sera donc bien plus important que l’employeur soit en mesure de tenir ses promesses, que l’employé éprouve de la satisfaction et qu’il voie concrètement se réaliser les attentes créées par les messages, autant percutants qu’ils soient. La devise suprême sera donc «l’être au lieu du paraître». Pour cette raison, il importe de situer l’Employer branding dans un contexte plus vaste.

Il s’agit de processus, de culture, d’ambiance et d’organisation

Avant de conduire une campagne de communication et de relations publiques en se lançant de manière ciblée dans l’Employer branding, l’entreprise a donc intérêt de s’y investir de manière substantielle en définissant clairement ses objectifs. Définir ses objectifs signifie se rendre compte des désirs et besoins, des idées et attentes existant chez le personnel visé, afin, dans un deuxième temps, de pouvoir orienter l’entreprise sur ces cibles. Il importe à ce propos de connaître à la fois les besoins réels et cachés. Il ne suffit pas de se baser sur des présupposés généralement valables, voire des stéréotypes. Par la suite, l’entreprise crée les conditions internes qui lui permet-tront de répondre aux attentes du public visé. Il ne s’agit pas seulement de questions de rémunération et de conditions de travail, mais encore et surtout de structures et de processus, de la culture au sein de l’entreprise, du cadre de travail, de l’ambiance, de l’entourage personnel de l’employé et de questions d’organisation. Cela implique de la part de l’entreprise une capacité réelle et conséquente au changement, l’abandon de certaines habitudes et le renoncement à des traditions éprouvées. Pour la recherche de solutions, le courage de la nouveauté et la force d’innover deviendront des éléments clé. En s’adaptant à son intérieur, l’entreprise aura ainsi l’opportunité de devenir un véritable «Employer of choice».
À cette phase de positionnement et d’adaptation interne suit la phase de communication avec ses stratégies de relations publiques et d’Employer branding. Au moyen de messages concrets et clairs, l’entreprise fait connaître sur le marché du travail sa «value proposition» en tant qu’employeur. L’employé potentiel doit prendre connaissance dans le détail de ce que l’employeur est en mesure de lui offrir. Aussi, au moment de la «production» d’attractivité, l’Employer branding ne constitue pas un but en soi, mais n’est qu’un moyen pour faire connaître publiquement les prestations d’un «Employer of choice».

En période de pénurie, c’est l’employé qualifié qui dicte les règles

La notion de marketing employeur recevra une définition plus large et devra désormais se comprendre dans ce sens. On peut déceler de nombreux parallèles avec le marketing clients classique. Longtemps, le marketing clients évoquait uniquement l’idée de publicité. Plus tard, le marketing commença à s’étendre pour englober tout un cycle, de l’analyse des besoins, en passant par le développement de produits orienté sur les besoins des clients, jusqu’à la communication et à la publicité orientées marchés. Sans doute ne s’agit-il que d’une question stratégique. D’une part, l’entreprise peut imposer son profil préétabli, son offre et ses conditions au public cible et tenter de trouver les clients au prix d’un gros travail de communication (PUSH). D’autre part, elle peut prendre au sérieux les besoins des clients, y adapter son profil et son offre en développant des solutions orientées sur les besoins (PULL).

Toutefois, en tenant compte de la pénurie croissante de personnel qualifié sur le marché du travail à long terme, la réflexion stratégique débouche sur une réponse claire et nette à cette alternative. En présence d’un fort déséquilibre sur le marché, il est évident que le pouvoir se concentre de manière unilatérale: c’est l’employé qualifié qui dicte dans une vaste mesure ses conditions. Dans le futur, l’entreprise ne pourra donc renoncer à s’adapter aux besoins du personnel, afin de s’assurer à long terme les meilleures ressources humaines et les qualifications indispensables sur le marché. D’où la nécessité d’adaptations substantielles au lieu de mesures de communication. D’où aussi l’impératif de l’être au lieu du paraître. Mais qu’en est-il de la mise en pratique? Comment l’entreprise se transformera-t-elle en authentique «Employer of choice»?

Entretiens qualitatifs, enquêtes et ateliers pour sonder les attentes

L’idée d’orienter le cadre de travail de l’entreprise selon les attentes et les besoins des ressources humaines visées nécessite un processus de transformation systématique. Du point de vue des contenus, la gestion du processus pose rarement problème. Certes, la conception formelle des contenus ainsi que le changement effectif des structures et des conditions nécessitent beaucoup d’énergie et de persuasion au sein de l’entreprise, mais dans le cadre de la gestion de projet, la mise en œuvre s’avère simple et fiable. Le premier pas consiste à définir et localiser les cibles. Il importe à ce propos de ne pas oublier, à côté des cibles externes (acquisition de nouveaux collaborateurs), les cibles internes (fidélisa-tion du personnel existant). Tout en préservant la discrétion, il faudra même prendre en compte les collaborateurs des employeurs concurrents. La récolte des données impliquera des entrevues qualitatives, des enquêtes, la tenue d’ateliers ou d’autres procédés adaptés. On évitera le recours dangereux à des statistiques généralement disponibles. C’est pourquoi il est impératif d’aborder les groupes visés personnellement, de la manière la plus individuelle possible. Aussi, la méthode de collecte des informations permettra de reconnaître à la fois les désirs et les besoins réels et cachés. Ensuite, lors de la phase de conceptualisation, moyennant une réflexion approfondie sur les données relevées, naîtront les contours et le profil de l’entreprise en tant qu’employeur. Du point de vue des contenus du processus, le positionnement comme «Employer of choice» amènera l’entreprise à agir sur deux plans différents. D’une part, elle mettra immédiatement en œuvre les adaptations et les changements internes; d’autre part, elle pourra procéder à l’«Employer branding» proprement dit: la communication de messages spécifiques lors de sessions informatives, de campagnes de relations publiques et d’autres actions ciblées.

Dans la pratique, la transformation en «Employer of choice» s’avère beaucoup plus difficile au niveau de la culture de l’entreprise qu’au niveau des contenus du processus. L’expérience prouve que les facteurs mous font souvent la différence entre plusieurs employeurs appréciés. Les comportements, le ton, l’ambiance, l’appréciation réciproque, les attitudes encourageantes et surtout la qualité des rapports interpersonnels dans une entreprise constituent des facteurs déterminants pour le collaborateur. L’entreprise ne saura se donner ces propriétés culturelles en un tour de main – elles sont amenées et vécues par tous ses collaborateurs en commun. Transformer la culture d’entreprise constitue un processus difficile à gérer. Cela exige de la part des responsables une vision, beaucoup de force, d’énergie et d’endurance. Etant donné la difficulté et la durée de ces processus, les entreprises ont tendance à prioriser les facteurs durs et structurels en ignorant les déficits culturels. Certes, il s’agit là de la voie la plus simple; mais ces efforts seront d’autant moins efficaces. Se pose derechef le problème de l’efficacité et du développement durable de l’entreprise ainsi que celui de l’écart entre l’être et le paraître.

Ces explications visent à démontrer que la transformation en employeur attractif force l’entreprise à se mettre en question et à évoluer. Tant que les efforts se limitent à la communication et à l’entretien d’une image de marque (branding), l’effet désiré fera défaut à moyen et à long terme. En situation de pénurie de qualifications, l’entreprise doit considérer ses collaborateurs actuels et potentiels comme des clients dont les besoins font référence. Tout doit être mis en œuvre pour offrir le cadre optimal à la catégorie de collaborateurs visés sur le marché du travail. Aucun projet ne saurait garantir ce but une fois pour toutes; il s’agit au contraire d’une tâche permanente pour l’entreprise. Tout comme les marchés de biens et de services, les marchés du travail évoluent de manière dynamique en fonction des besoins changeants. L’objectif est donc d’instituer un processus itératif. L’approche «Employer of choice» ne formera donc pas une initiative unique mais devien-dra une discipline institutionnalisée du management, disposant de ressources correspondantes. Nous en sommes encore bien loin aujourd’hui.

 

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Pascal Scheiwiller est CEO chez von Rundstedt.

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