"On assiste à un renversement de la relation employeur-employé"
Réussir une politique d’Employer branding dépend aussi du contrat psychologique sous-jascent à chaque relation de travail. Yves Emery, grand spécialiste de la GRH du secteur public, et Stéphane Quarroz, collaborateur scientifique à la Chaire Management public Ressources Humaines de l’IDHEAP, livrent leur analyse.
Yves Emery: "La tendance va clairement vers un aplatissement de la hiérarchie." Photo: Carine Roth/arkive.ch
Comment définir le contrat psychologique?
Yves Emery: Selon la Québecoise Louise Lemire, spécialiste mondiale du contrat psychologique, il s’agit de la manière dont on se représente la relation avec son employeur. Au-delà du contrat juridique, cette représenta-tion façonne la relation entre employeur et salarié. Car ce sont bien des attentes bi-directionnelles. Des employés envers les employeurs et vice-versa. Ces attentes sont issues de toutes sortes de paramètres tels que la situa-tion du marché du travail, la stabilité de l’économie, la socialisation que les gens ont de par leur formation professionnelle. Mais ce contrat dépend aussi beaucoup du message de l’organisation. Aujourd’hui, les gens vont sur Internet et se renseignent sur leur futur employeur. Toutes ces informations vont induire des messages plus ou moins implicites qui vont forger ces attentes. De même, tout ce qui sera dit durant un entretien de recrutement, même si ce n’est pas écrit noir sur blanc, sera très important. Et une fois que le collaborateur est installé dans une organisa-tion, il va vérifier si ses attentes sont remplies, ce qui influencera beaucoup sa motivation et son implication. Ce n’est donc pas un outil RH mais bien un concept de psychosociologie des organisations. Un mécanisme fondamental qui fait que les gens ont envie de venir travailler et s’engager dans une organisation.
Comment le concept de contrat psychologique a-t-il évolué durant ces dix dernières années?
Yves Emery: Il date des années 1960. Il n’est donc pas très nouveau. D’origine anglo-saxone, le contrat psychologique est moins connu en francophonie et en Suisse romande en particulier. J’enseigne à l’IDHEAP depuis quinze ans et je pose systématiquement la question à mes cadres. Lorsque vous recrutez, pour combien de temps imaginez-vous engager la personne devant vous? La réponse diminue d’année en année. Aujourd’hui, la durée moyenne varie entre trois et cinq ans. Ce raccourcissement des rapports de travail est une évolution majeure du contrat psychologique.
Y en a-t-il d’autres?
Stéphane Quarroz: Toutes les attentes liées à la formation. Les collaborateurs s’intéressent de plus en plus aux possibilités d’évolution. La nouveauté est l’évolution de carrière de manière multi-organisationnelle. Dans la durée, les diplômes même prestigieux perdent de la valeur. On est donc en permanence en train de se former et de mettre à jour ses compétences. Soit par la formation, soit par ce qu’on appelle l’organisation qualifiante. Le poste que j’occupe, les responsabilités que j’assume feront qu’un jour mes compétences seront reconnues sur le marché du travail. C’est ce qu’on appelle l’employabilité. Un terme très en vogue en ce moment. En définitive, il s’agit de se demander comment l’on va se positionner sur le marché du travail dans trois à cinq ans.
La durée, la formation, et encore…
Yves Emery: La manière d’être encadré, l’autonomie et la responsabilisation. Dans le contrat classique, on avait une sorte de soumission à la hiérarchie. Cela faisait partie du lot. Aujourd’hui, la tendance va clairement vers un aplatissement de la hiérarchie, avec plus de latitude d’action, une plus grande autonomie, ce que les Québécois appellent l’empouvoirement (empowerment). On
assiste donc à une forme de maturité des employés qui aimeraient un vrai territoire, une mission particulière, avec une large marge de manœuvre pour atteindre les objectifs.
On assiste donc à une autonomisation des employés…
Yves Emery: Oui. En entrant dans une organisation, l’employé se demande ce qu’il pourra en tirer. Evidemment, l’employeur se pose la même question, comme il l’a toujours fait. Mais on assiste de plus en plus à un équilibrage de la relation. Une sorte d’égalisation, si ce n’est pas un renversement. Aujourd’hui c’est parfois l’employé qui «exploite» l’employeur. Une fois que le collaborateur a tiré toute la substance, il change d’entreprise pour poursuivre son propre développement.
Peut-on dire qu’aujourd’hui, ce sont les employés qui tiennent le couteau par le manche…
Yves Emery: C’est le cœur du problème. La GRH a toujours plus de difficulté à attirer les talents. On assiste à un raccourcissement temporel de la relation d’emploi. En termes de GRH, cela change complètement la donne. Ce qui ne veut pas dire que les gens ne sont pas impliqués. Ils sont complètement impliqués pendant trois à cinq ans, puis plus du tout. Ce qui change la manière de les encadrer et de les attirer. J’ajouterais néanmoins que ceci est vrai pour une frange très spécialisée d’employés. Des personnes qui détiennent des compétences rares et recherchées.
Mais n’assiste-t-on pas à la naissance de stratégies et de politiques RH qui doivent justement reconquérir ces employés?
Stéphane Quarroz: Oui. Et les RH ont là un terrain important à conquérir. En élaborant par exemple des politiques et des outils qui correspondent à ces attentes. La question est de savoir comment se distinguer des autres employeurs de la place. Le message institutionnel que je vais distiller sur mon site et mes offres d’emplois deviennent déterminants. Mais il faut aussi une certaine cohérence, il y a des attentes à satisfaire. Il faut pouvoir assumer ses choix en matière de politique du personnel.
Voyez-vous d’autres politiques RH qui peuvent faire la différence?
Yves Emery: La gestion du work-life balance est devenue incontournable. Quel contrôle le collaborateur aura-t-il sur la gestion de son horaire, de ses vacances ou de son sabbatique. Pourquoi? Parce que les gens sont devenus beaucoup plus multi-projets. Ils sont impliqués dans beaucoup d’activités à côté de leur vie professionnelle. Ils recherchent donc une vraie autonomie. Le work-life balance a un impact réel sur leur vie quotidienne. C’est une attente essentielle dans la vie moderne que nous connaissons.
Qu’en est-il de la rémunération?
Yves Emery: Il faut comprendre la rémunération au sens large. Avec tout le débat sur l’intérêt aux résultats, comment l’implication est-elle reconnue? Est-ce que j’ai un retour en espèces sonnantes et trébuchantes, qui valorise mon investissement dans l’entreprise? Du côté de l’employeur, cela représente surtout une attente au niveau des résultats. Auparavant, on attendait que les employés respectent les procédures. Aujourd’hui, on veut des résultats. C’est le volet transactionnel du contrat psychologique. Qu’est-ce que je donne et qu’est-ce que je reçois en retour?
Parlons du secteur public, comment les administrations restent-elles attractives?
Stéphane Quarroz: La question du sens est très importante. L’administration publique a un atout sur ce terrain. Travailler pour la communauté et pour le bien des autres peut être une vraie source de motiva-tion.
En plus de la question du sens, il y a aussi une diversité incroyable de métiers. On pourrait représenter une administration comme une collection de PME. Police, éducation, santé, finance. Il faudrait alors créer et valoriser des ponts entre ces secteurs. Jusqu’à aujourd’hui, on considérait l’administration en termes de silos avec très peu d’interactions. C’est en fait une grosse multinationale avec une diversité d’emplois extraordinaire. L’employeur public se découvre donc des atouts.
De l’extérieur, on n’a pas l’impression que ces atouts sont bien communiqués?
Yves Emery: La communication de l’employeur public en est à ses débuts. Car dans certains domaines, elle n’est pas autorisée. Il y a donc encore un gros travail à effectuer pour lutter contre le mur épais des préjugés, un mur bien plus épais et haut que le mur de Berlin. Mais cette évolution est très lente. On constate par exemple un découplage entre les progrès objectifs réalisés dans le secteur public et la vision que s’en fait le grand public.
Comment voyez-vous l’avenir du secteur public?
Yves Emery: Selon mon hypothèse, on va assister à une sorte de croisement entre les mondes public et privé. L’image du privé est très dynamique. Alors que ce n’est pas toujours le cas dans la réalité. Je pense donc que les deux secteurs vont se rapprocher. A terme, on peut même s’imaginer que le public sera une source d’inspiration pour le privé. Mais l’employeur public doit réussir à s’émanciper et se positionner comme modèle en termes de GRH. C’est déjà le cas dans certains domaines. Selon nos recherches, le job-sharing des cadres fonctionne mieux dans le public que dans le privé. Autre exemple: le mouvement de l’entreprise citoyenne. Pour le public, les valeurs de citoyenneté et la transparence, notamment pour les rémunérations, sont une réalité.