Conseils pratiques

«L’humilité, la conscience et la curiosité sont de plus en plus recherchées»

Deux diplômés de la Business Team Academy de la HES-SO de Sierre, Elizabeth Komaromi et Pierre Bossetti, débattent ici de leurs compétences sociales et techniques avec le CEO de Romande Energie, Christian Petit, et la DRH de la Ville de Morges, Laure Hauswirth.

Pierre Bossetti et Elizabeth Komaromi, vous venez de décrocher votre diplôme à la Business Team Academy de la HES-SO de Sierre. Quelles compétences sociales mettez-vous en avant au moment d’entrer dans la vie professionnelle?

Pierre Bossetti: Ma proactivité: je propose davantage que ce dont on attend de moi. Et la bienveillance. Je sais prendre soin de mes clients. Avec les softskills, les actes comptent plus que les paroles. C’est sur ce livrable que je veux être évalué.

Elizabeth Komaromi: De mon côté, je dirais que mes compétences sociales sont en équilibre avec mes compétences techniques. En termes de softskills, mes points forts sont l’intelligence collective, le travail collaboratif et la proactivité.

Proactivité, intelligence collective, bienveillance et encore...

PB: Durant notre formation, nous avons beaucoup travaillé en équipe, donc les notions de dialogue et d’écoute sont importantes.

EK: C’est aussi une capacité à modifier notre posture, que ce soit vis-à-vis de soi-même ou d’une équipe.

Et du côté des entreprises, comment percevez-vous ces compétences sociales au moment de recruter?

Laure Hauswirth: À la ville de Morges, les softskills sont définies poste par poste. Les fonctions sont multiples dans une collectivité publique, avec des métiers de terrain, techniques, dans le domaine social, des architectes, des urbanistes, des spécialistes en environnement ou en développement durable par exemple. Avec des softskills particulières à chaque fois.

S’il fallait n’en retenir qu’une?

LH: La transversalité. Nous avons besoin de personnes capables de travailler avec les autres spécialistes de la commune.

Comment évaluez-vous ces compétences sociales?

LH: Pour certains postes, nous menons des assessments. Nous utilisons aussi les profils psychométriques qui ont pour objectif d’identifier les modes de fonctionnements et les comportements. Car ces softskills n’apparaissent pas dans les diplômes ou dans les expériences préalables.

Pour quelles fonctions au sein de la Ville de Morges ces softskills sont-elles les plus importantes?

LH: Pour les postes de délégués, relatifs à des politiques publiques: la cohésion sociale, l’environnement ou le sport par exemple. Le rôle du délégué.e est de mettre en avant l’action de la commune sur ces sujets. Ces délégué.e.s sont souvent des jeunes en sortie de formation.

Quelles compétences sociales recherchez-vous en recrutant un délégué?

LH: Le dialogue, l’ouverture, la curiosité et le collaboratif.

Et chez Romande Energie, ces compétences sociales sont-elles déterminantes au moment de recruter?

Christian Petit: Dans un marché de l’emploi avec un panel de compétences techniques disponibles très large, ce sont les softskills qui feront la différence. Ce sont elles qui feront émerger la personnalité derrière l’expert. Cela dit, dans une entreprise comme la nôtre, nous allons plutôt chercher des spécialistes métier. Une carrière se construit sur des compétences techniques avant tout. Personnellement, j’ai commencé dans le service clients. En résumé, on entre souvent dans une entreprise grâce à une expertise, et ce sont ensuite les softskills qui vous permettront de faire la différence et d’évoluer. Le savoir-être se développe au cours d’une vie. Sur ces sujets-là, on n’arrête jamais de grandir.

Comment définissez-vous les softskills?

CP: Je n’ai pas de définition stricte. Nous essayons plutôt de développer une culture forte. En quelques sorte, la culture c’est ce que font les gens quand on ne les regarde pas. En tant que dirigeant, vous avez le choix: soit vous structurez votre entreprise autour de processus, de contrôle, de définitions de postes et de check-lists... ce qui n’est pas ma tasse de thé. Soit vous développez une culture forte, qui va permettre à chacun d’avoir le bon réflexe au bon moment, peu importe le niveau hiérarchique. Et du coup, il n’y a plus besoin de surveiller tout le monde, puisque vous avez donné le bon élan à toute l’entreprise.

À quoi faites-vous attention en recrutant un jeune?

CP: Que leur entrée ne vienne pas dissoudre ou abîmer cette culture, mais plutôt y contribuer.

Comment définiriez-vous la culture d’entreprise chez Romande Energie?

CP: Une culture consciente et responsable. Nous estimons que le capitalisme et l’entreprise doivent se réinventer pour être plus responsables et plus lucides sur les impacts de nos actions sur la société et l’environnement. Auparavant, une société se souciait assez peu des dommages collatéraux qu’elle générait. Aujourd’hui, nous essayons d’en être plus conscient. Par conséquent, le softskill que je recherche avant tout c’est la conscience.

Comment décririez-vous cette conscience?

CP: La conscience implique un travail sur soi-même pour partir à la découverte de qui on est. Ce travail d’observation doit être entretenu en permanence. Sinon, on arrive vite dans l’inconscience. Notre égo nous prend dans ses griffes et nous perdons cette capacité de discernement. Donald Trump est l’archétype de l’inconscience: un individu totalement gouverné par son égo et qui n’arrive plus à s’extirper de ses émotions, de ses états d’âme et de son ressentiment. Et ces comportements sont destructeurs en entreprise. Ils donnent naissance aux effets silos et aux raisonnements de type: «J’ai raison, donc tu as tort», et: «Ce n’est pas mon idée donc ce n’est pas la bonne».

Revenons aux jeunes. Ce sont donc surtout des compétences techniques que vous cherchez au moment de les recruter?

CP: Dans un environnement technologique comme le nôtre, nous cherchons avant tout des profils d’experts. Les compétences sociales seront davantage prises en compte dans certains postes RH, qui vont devoir travailler en lien avec les lignes métier par exemple. Cela peut être aussi le cas dans certains postes marketing. Ces dimensions soft ne sont jamais absentes, mais elles sont rarement seules. C’est votre expertise technique qui permettra d’entrer dans l’entreprise.

Du côté des jeunes, que répondez-vous?

PB: Je comprends tout à fait ce point de vue. Je l’avais déjà remarqué lors de certains projets menés dans l’hôtellerie. Comprendre le fonctionnement d’une activité et les spécificités d’un métier sont des fondamentaux. Mais je constate aussi que ce savoir-être gagne en importance. L’humilité, la conscience et la curiosité sont de plus en plus recherchées.

EK: J’ai trouvé très intéressant votre description de la culture. Concernant l’expertise technique, je pense que les connaissances techniques s’apprennent plus facilement que les compétences sociales. Vous l’avez d’ailleurs mentionné: le développement personnel est un travail de toute une vie... Notre maîtrise des softskills est un réel avantage sur la marché de l’emploi.

Si je résume, votre message aux entreprises est: engagez-nous, nous apprendrons les spécificités techniques de votre secteur d’activité, et pour ce qui est vraiment important, nous l’avons déjà...

EK: Ce n’est pas tant que les avons déjà, mais nous en avons déjà pris conscience.

LH: Lorsque nous engageons un jeune, nous essayons d’évaluer son potentiel. Et ce potentiel s’exprime aussi dans sa capacité à comprendre le fonctionnement de l’entreprise qu’il ou elle souhaite rejoindre. J’entends une envie d’aller au-delà de ce qui est demandé. C’est bien. Mais cela doit aussi s’intégrer dans un cadre.

Pourriez-vous engager un jeune uniquement sur son potentiel, sur son savoir-être et son esprit d’entrepreneuriat, en acceptant de le former aux spécificités techniques du poste par la suite?

LH: Cela va dépendre du poste et du momentum de l’organisation. Dans une collectivité publique, nous fonctionnons avec des projets politiques, avec un agenda précis. Une partie de notre travail consiste à préparer des préavis, à défricher le terrain pour le conseil communal. Donc oui, dans certains cas, et si les choses sont bien planifiées, nous avons les moyens de former des jeunes en emploi.

Nous avons beaucoup parlé des softskills. Il faut préciser que la Business Team Academy est une formation très pratique, avec beaucoup de compétences métier...

EK: Oui. Sur un cahier des charges de 21 compétences, la moitié sont soft. Nous développons nos hardskills sur des projets concrets, au contact des clients.

Quelles seraient vos compétences métier?

EK: Celles d’un Bachelor en économie d’entreprise, la comptabilité et la statistique par exemple.

PB: Ma spécialité est le marketing digital.

Quelles seraient les fausses perceptions des jeunes par rapport à la réalité de vos environnements organisationnels?

CP: Une entreprise est un être vivant, composée d’hommes et de femmes, avec son histoire et sa culture. On ne brusque pas ces fondamentaux. Un jeune doit accepter de passer par un temps d’adaptation, d’apprendre à sentir les codes. Prenez le temps d’écouter, de comprendre et de ressentir. Nos n’attendons pas de vous que vous soyez productif dès le premier jour.

Un jeune ne doit pas brusquer l’entreprise dans laquelle il entre...

CP: Oui. Très souvent, les jeunes veulent changer le monde et faire bouger les lignes. Ils sont ensuite refroidis par l’entreprise, car plus elle est grande, plus elle est difficile à bouger et à mouvoir. Il faut donc bien choisir sa carrière en fonction de sa personnalité. Si vous avez envie de tout casser, il vaut mieux devenir indépendant ou entrer dans une start-up. Une grosse entreprise donne un cadre et une orientation. Elle exige de la résilience et de la patience.

Et à la ville de Morges, quelles sont les fausses perceptions qu’ont parfois les jeunes à votre sujet?

LH: Nous dégageons peut-être l’image d’un environnement de travail plan-plan, avec beaucoup d’ancienneté et une moyenne d’âge élevée. En réalité, le développement de nouvelles compétences est une nécessité chez nous. Dans une administration communale comme la ville de Morges, l’argent ne coule pas à flot et donc nous sommes prudents dans nos budgets. À effectif presque constant (hormis dans le domaine de la petite enfance), nous faisons face à des défis de plus en plus grands, avec plusieurs chantiers importants en cours.

Vous avez beaucoup de jeunes qui postulent?

LH: Oui, bien sûr. Les postes de délégués ont principalement été repourvus par des jeunes. Nous sommes une entreprise formatrice et nous engageons de nombreux stagiaires, avec une politique très stricte, au-delà de six mois ces personnes peuvent devenir auxiliaires. Cela dit, il faut de la persévérance et de la patience aussi chez nous. Un jeune ne décrochera pas forcément son job de rêve tout de suite.

Donnez-nous envie de travailler à la Ville de Morges?

LH: L’environnement et le développement durable sont des enjeux importants chez nous. Cela fait de l’administration communale un employeur attractif.

Et vos salaires?

LH: Ce n’est pas sur ce sujet que nous nous distinguons (sourire). En revanche, vous aurez l’opportunité de laisser une trace, de façonner une ville, au travers des politiques publiques. Nous proposons des activités où ce sont les tripes qui parlent avant tout. Nous sommes nombreux – et j’en fait partie – à avoir rejoint une administration en acceptant une baisse de salaire, mais avec le sentiment de se réaliser professionnellement.

Et pourquoi devrait-on rejoindre les équipes de Romande Energie?


CP: Car nous sommes au cœur de la transition énergétique. C’est un des enjeux du siècle et les jeunes veulent y contribuer. Nous avons des solutions concrètes pour atteindre la neutralité carbone en 2050: remplacer les chaudières à mazout par des pompes à chaleur, installations de panneaux photovoltaïques et rénovations des maisons par exemple. Nous collaborons aussi avec les pouvoirs publics, avec le projet de chauffage à distance MorgesLac par exemple.

Le marché de l’énergie va se libéraliser ces prochaines années...

CP: Oui, le secteur est en plein bouleversement. En plus de la crise climatique, nous devons intégrer les technologies digitales qui font que le consommateur d’énergie devient un producteur et un acteur du marché. D’une activité très centralisée, le marché de l’énergie devient participatif et collectif. De plus, l’environnement régulatoire est en pleine évolution, avec bientôt des nouvelles lois sur le CO2, sur l’électricité et sur l’énergie. Cette triple révolution – réglementaire, climatique et technologique – transforme les métiers. Je vous l’assure, ça bouge beaucoup dans les équipes!

Et en termes de salaire et d’avantages annexes comment vous situez-vous?

CP: Notre politique sociale est assez moderne et complète. Nous proposons des formes de travail très libres et ouvertes. Le télétravail est encouragé, trois jours par semaine. Nous veillons à l’égalité salariale et nous encourageons le temps partiel. Nous sommes également ouverts aux innovations managériales.

Par exemple?

CP: J’en citerais trois. Notre service juridique a exprimé son envie de se constituer en cabinet indépendant. Nous leur avons donc proposé un contrat sur deux ans afin de les aider à prendre leur envol. Nous avons aussi proposé au patron de Romande Energie Service (400 personnes) de devenir actionnaire de l’entreprise qu’il dirige depuis plusieurs années. Depuis la semaine dernière, il est devenu co-actionnaire (à 20%) de notre filiale Romande Energie Service, ce qui est assez original pour une société en mains publiques. Enfin, nous venons de recruter une co-direction pour une de nos unités d’affaire, un homme de 46 ans et une femme de 36 ans, tous les deux à temps partiel.

L’importance du salaire a-t-elle baissé par rapport aux autres avantages sociaux?

CP: Nous faisons toujours attention d’être dans le marché et nous avons la chance d’avoir une politique assez transparente avec nos confrères, mais je crois que nous nous démarquons avant tout par le sens et les missions proposées. Notre culture d’entreprise très respectueuse de l’humain, bienveillante, où les gens peuvent se réaliser, est un autre point fort.

Pierre Bossetti et Elizabeth Komaromi, donnez envie à ces deux organisations de vous engager...

EK: En ce qui concerne la ville de Morges, mon point fort est le développement durable. J’ai approfondi ce sujet durant mes études, notamment sur un projet de développement du Grand Genève avec la Fondation Braillard Architectes. J’ajouterais ma bonne capacité d’adaptation au milieu et aux équipes de travail. Pour Romande Energie, ce serait plutôt l’ambivalence de mon profil que je mettrais en avant. J’ai aussi été séduite par les possibilités d’évolution. J’ai envie de me former, j’apprends vite et je pense que mon profil correspond parfaitement à cette entreprise en plein changement.

PB: Pour moi ce serait ma curiosité. J’aime comprendre les enjeux et créer des liens avec la mission de l’entreprise. Ma proactivité me permet d’apporter rapidement des solutions. Je sais aussi être à l’écoute et je m’adapte en fonction des besoins. Enfin, je mettrais en avant ma bienveillance et ma capacité à prendre en compte les besoins de chacun afin de construire ensemble et pour le mieux.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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