Conseils pratiques

Licencier avec tact est un art

La crise sanitaire va vraisemblablement et malheureusement être suivie d’une crise économique avec son cortège de licenciements. Dans ce contexte, le défi pour les managers sera de faire en sorte que les «survivants» restent engagés.

Manager par beau temps, c’est facile. Rester un leader apprécié pendant et après la tempête est une autre affaire. L’épreuve ultime, c’est d’être capable de licencier avec justesse et donc avec équité. L’objectif est de faire en sorte que les «survivants», ceux qui restent après un licenciement, soient toujours engagés. Cela implique de faire en sorte que la confiance des survivants n’ait pas été altérée par le congédiement.

Pour savoir si le licenciement a été fait dans les règles de l’art, il suffit donc de mesurer deux choses qui sont d’ailleurs corrélées: le niveau d’engagement des survivants et la confiance résiduelle qu’ils accordent à ceux qui ont effectué le licenciement. Ces deux indicateurs sont révélateurs de la qualité du leadership.

Etonnamment, il y a très peu d’organisations qui mesurent ces deux paramètres. Trop préoccupés par la réduction des coûts, les dirigeants oublient que l’avenir de leur organisation dépend de la performance des survivants. Plus ils seront engagés, meilleure sera la performance. Renoncer à mesurer le niveau d’engagement des survivants, c’est mettre sa tête dans le sable. C’est piloter sans savoir si on tire le meilleur parti de son moteur.

Licencier avec talent exige certes du talent mais pas seulement. Même s’il n’y a pas de recette passe-partout, il y a tout de même quelques questions que chaque leader devrait se poser avant de passer à l’acte. Une réponse négative est à considérer comme source de danger:

1. La finalité du licenciement sera-t-elle comprise et acceptée par les survivants?

Réduire les coûts n’est pas une fin en soi mais juste un moyen d’assurer la pérennité de l’organisation. Or pour assurer cette pérennité, il ne suffit pas de faire des économies. Il faut aussi que les collaborateurs soient aussi engagés que possible. Réduire les coûts en ayant des collaborateurs démotivés correspond à se tirer une balle dans le pied. Pour éviter cela, il faut cependant s’assurer que les survivants ont compris et accepté la légitimité de ce qui a été décidé et fait.

2. Est-ce que les survivants auront le sentiment que le licenciement a été fait de manière équitable?

Comme expliqué dans le livre: «Les leviers de l’engagement – 54 bonnes pratiques pour entraîner, inspirer et réussir ensemble»(1), le sentiment d’injustice est un des premiers facteurs de désengagement. Pour l’éviter, chaque cadre est tenu de montrer à ses équipes qu’il s’efforce constamment d’être aussi équitable que possible.

Quand un licenciement a été imposé par la nécessité de compenser le coût de mauvais choix stratégiques, l’équité voudrait que ceux qui ont pris les mauvaises décisions en subissent les conséquences au lieu des malheureux qui sont congédiés. Sans cela, tous les survivants auront un sentiment d’injustice qui réduira leur niveau d’engagement ainsi que leur performance. Par souci d’équité, Mitsubishi a, par exemple, récemment eu le courage de réduire de 45% la rémunération de ses cadres supérieurs.

Un autre exemple en cas de licenciement économique est le gel à l’embauche: en interdisant par principe tout recrutement, sans prendre en compte les circonstances spécifiques de chaque situation ou unité, les dirigeants choisissent une solution de facilité pour eux mais qui se fait au détriment des équipes qui doivent compenser sur le terrain le manque d’effectifs. C’est inéquitable et de surcroit peu bienveillant pour ceux qui rament.

L’équité exige donc que les critères définissant qui part et qui reste aient été établis et appliqués avec justesse. Les dirigeants ont généralement la conviction que c’est le cas alors que la perception des collaborateurs est plutôt un sentiment d’injustice.

3. Les survivants auront-ils eu le sentiment que la dignité des personnes licenciées a été atteinte?

Les atteintes à la dignité sont généralement impardonnables et très difficiles à réparer. Un exemple classique d’atteinte à la dignité est d’exiger que la personne licenciée quitte l’organisation immédiatement après l’annonce, carton sous le bras, et escortée par un vigile sous le regard choqué des survivants. La victime du licenciement est non seulement traitée comme un criminel mais elle subit une humiliation publique, devant les collègues avec qui elle partageait sa vie jusqu’à cet instant... Les survivants ne pardonneront pas cette atteinte à la dignité de leur ex-collègue. Leur niveau d’engagement baissera.

4. La manière de faire sera-t-elle été perçue comme bienveillante?

La plupart des reproches en matière de licenciement, qu’il soit économique ou non, portent moins sur le licenciement lui-même que sur la manière de le faire. Les gens attendent non seulement de l’équité, comme indiqué plus haut, mais aussi de la bienveillance. Pourquoi la bienveillance? Parce que pour être engagés, les collaborateurs ont besoin de croire qu’ils sont et seront traités avec bienveillance, quelles que soient les circonstances. Au moment où ce n’est plus le cas, la méfiance s’installe et l’engagement est moindre. Licencier sans bienveillance a donc un effet délétère sur l’engagement.

Licencier avec bienveillance apparait généralement comme incongru. Après avoir systématiquement été incrédules, les cadres qui suivent le CAS en Responsible Leadership de l’Université de Genève ou le MicroMBA en management entrepreneurial de Romandie Formation finissent toujours par comprendre que c’est tout à fait possible. Comme ces programmes enseignent l’art d’optimiser le niveau d’engagement de leurs équipes, les participants apprennent aussi à naviguer par mauvais temps et donc à licencier avec bienveillance.

Contrairement à une autre idée reçue, être bienveillant, ce n’est pas traiter les autres comme on aimerait être soi-même traité. C’est plutôt de traiter les autres comme eux ont envie d’être traités. Cela impose de comprendre quelle sera la perception de ceux qui seront licenciés mais aussi celle des survivants.

Pour réduire leur propre anxiété face à un licenciement, nombreux sont les cadres qui inconsciemment font porter le fardeau de la responsabilité du licenciement à celui qui est congédié. C’est particulièrement le cas quand ils ne peuvent pas se réfugier derrière l’apparente fatalité d’un licenciement économique: le renvoi est ainsi justifié par le fait que le collaborateur a mal travaillé, qu’il s’est mal comporté, qu’il lui manque des compétences ou autre chose... Il est rare que celui qui licencie assume une partie de la responsabilité. Or, comme dans une séparation ou un divorce, la responsabilité est rarement l’exclusivité d’un seul des deux partenaires. Culpabiliser celui qui est licencié n’est pas bienveillant.

Licencier avec bienveillance, c’est aussi aider ceux qui restent dans l’organisation à gérer leur culpabilité de survivants. Avoir à cœur leur bien-être psychologique est une marque de bienveillance envers eux.

5. Est-ce que les survivants conserveront, après le licenciement, un sentiment de sécurité psychologique?

Si la nécessité d’assurer la sécurité physique est évidente, la sécurité psychologique est tout aussi essentielle. Lors d’un licenciement, tous les survivants imaginent qu’ils pourraient être à la place de la victime. Pour vérifier s’ils seront le cas échéant bien traités, les survivants auront le réflexe de vérifier que la direction fait les choses avec justesse. Ce réflexe de défense et de protection incontournable contribue au sentiment de sécurité psychologique.

Comme les enfants vérifient inconsciemment que leurs parents ne donnent pas un plus grand morceau de gâteau à leur frère ou sœur, les collaborateurs surveillent aussi constamment les comportements de leur manager pour vérifier qu’il reste digne de confiance. En conclusion et contrairement à certaines croyances limitantes, licencier avec justesse n’est pas hors de portée.

(1) éd. Eyrolles, 2019, 212 pages.

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Dr. Raphaël H. Cohen est chef d’entreprise, Academic Fellow et Directeur du DAS in Entrepreneurial Leadership de l’Université de Genève. Contact: raphael.cohen@UNIGE.ch

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