La chronique

Formation et démotivation

La formation peut devenir un facteur de démotivation, notamment lorsqu’elle est proposée à l’issue d’un entretien périodique d’évolution durant lequel un inventaire met en évidence ce que le collaborateur fait de bien ainsi que ce qu’il pourrait améliorer grâce à la formation.

A part pour un jeune en début de carrière et avide d’apprendre, cette offre de formation se traduit souvent par un malaise, conscient ou inconscient, particulièrement chez les cadres intermédiaires. En effet, si une formation leur est proposée, c’est parce qu’il leur manque une ou plusieurs compétences.

Autrement dit, la proposition de se former correspond à un constat d’incompétence. Pas très valorisant … De plus, comme l’acquisition des compétences manquantes profite d’abord à l’entreprise ou à ses chefs qui ont, eux, besoin que ces compétences soient maîtrisées, les employés ont le sentiment que la formation n’est pas un cadeau qui est fait au collaborateur, mais un cadeau que les chefs ou l’entreprise se font à eux-mêmes!

En résumé, le collaborateur lucide peut se dire: «Si l’entreprise propose de me former, c’est pour elle et pas pour moi!» Inutile, dans ces conditions, de souligner que l’offre de formation n’est ni valorisante ni gratifiante. Elle peut même devenir facteur de démotivation.

Effets pervers de la gestion des compétences

Cette perception est un des effets collatéraux de la gestion des compétences. Car gérer les compétences, c’est aussi mettre en évidence… les incompétences. Les avantages de la gestion des compétences incluent la possibilité pour l’entreprise de clarifier ce qui est collectivement et individuellement requis pour réaliser ses objectifs.

En phase avec le culte des processus, si cher aux RH, elle permet aussi, dans la mesure où c’est réellement possible, d’utiliser un processus pour allouer le budget de formation. L’ennui est que les collaborateurs ont, eux, le sentiment que les RH sont au service de l’entreprise sans se préoccuper de leur développement personnel. Cela affecte le niveau de confiance des employés envers les RH.

La formation bienveillante

Face à ce constat, certains RH – assez ouverts pour remettre en question le dogme sacro-saint de la gestion des compétences – ont mis en place des approches favorisant ce que j’appelle la formation bienveillante. Il s’agit de stratégies dans lesquelles le développement du collaborateur prime sur les avantages pour l’entreprise.

Les plus habiles arrivent même à faire en sorte que l’entreprise y trouve aussi son compte, notamment en transformant la formation en un centre de profit au lieu d’être une charge grevant le budget RH.

Laisser remonter les innovations

Ils y parviennent en changeant une donnée essentielle: au contraire des formations standard où les cas pratiques sont choisis par la direction ou les RH (top-down), ce sont les participants au programme de formation qui doivent identifier des opportunités soutenant la stratégie pour ensuite convaincre leur direction d’autoriser la concrétisation de leur idée (bottom-up).

Les personnes en formation ne se sentent ainsi plus instrumentalisées par leur hiérarchie puisque ce sont elles qui trouvent et implantent les
innovations. L’expérience est riche et stimulante tout en représentant une belle opportunité de montrer de quoi chacun est capable.

Le résultat final de cette démarche, qui ne remplace pas mais qui complète la gestion des compétences, est que le niveau d’engagement et de rétention des collaborateurs est clairement amélioré. Comme l’organisation profite largement de ces améliorations, tout le monde y trouve son compte.

Ce modèle participatif n’est pas théorique puisqu’il a été mis en œuvre avec succès dans différentes entreprises de toute taille. Cet exemple de «graal win-win» démontre qu’avec un peu d’audace, il est réellement possible d’éviter les effets collatéraux de la gestion des compétences tout en dynamisant les troupes.

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Dr. Raphaël H. Cohen est chef d’entreprise, Academic Fellow et Directeur du DAS in Entrepreneurial Leadership de l’Université de Genève. Contact: raphael.cohen@UNIGE.ch

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