La chronique

Structure et castration

Paresse et oisiveté sont mères de tous les vices, semble-t-il. C’est pourquoi l’artillerie managériale a développé mille et un outils savants pour «mettre les collaborateurs au travail» et pour les rendre productifs: des tests psychométriques aux noms mystérieux (MBTI, 16PF5), des méthodes magiques (management by objectif, business process engineering), des cursus souvent décervelants (MBA made in US), des organisations bidimensionnelles (matrice hiérarchique), des mouvements de danse déraisonnable (centralisation, puis décentralisation), des idéologies surprenantes (empowerment, orientation client), etc… Entre-nous, ami RH, posons la question qui tue: et si tous ces onéreux missiles rataient royalement leur cible, voire finissaient par obtenir des résultats inverses à ceux espérés? 

La voiture est arrêtée: la faute aux roues ou aux freins? 

Ainsi les managers, les consultants, les professeurs – et plus généralement le sens commun – imaginent les collaborateurs paresseux et fainéants de nature et, qu’en sus, ils sont cotonneux du cerveau, flagada des guiboles et ramollis du reste. C’est pourquoi tout l’effort managérial vise à corriger cette situation bizarroïde à grands coups de contrôles, mais également de formation, de motivation, de communication – pardon de storytelling – et de séminaire à 3000 francs la journée. Malgré l’ingéniosité et la cherté de ces dispositifs, il convient de ne pas se méprendre: leur efficacité est nulle, voire davantage. Car ici deux perspectives s’affrontent: si le véhicule-entreprise est arrêté, est-on certain que la faute revient aux roues (les collaborateurs) ou n’est-ce pas les freins qui les empêcheraient de tourner? 

Les freins, quels freins? 

Changer de regard offre des perspectives d’analyses nouvelles. Ainsi l’on cessera de critiquer l’esprit cotonneux pour s’interroger sur les raisons structurelles qui font l’esprit coton. De même, l’on stoppera de brandir, lors de la sempiternelle séance du lundi matin, le célèbre ouvrage de Corinne Maier, Bonjour paresse: il stigmatise injustement les acteurs et leur attribue la responsabilité majeure de leur faible productivité. Car l’organisation doit également prendre sa part et payer son écot. L’on favorisera alors les interrogations suivantes: que fait-on pour lutter contre l’inflation de la bureaucratie, des procédures iso-compatibles et des directives au sein de nos organisations? Quelles mesures a-t-on prises pour élever le très faible niveau managérial généralisé, le règne des petits chefs et la guerre des baronnies?Quand exigera-t-on une exemplarité totale de la part des cadres dirigeants? En termes de communication, pourquoi la stratégie n’est-elle pas plus clairement explicitée et enfin rendue accessible? Quand développera-t-on des cursus de formation interne qui correspondent véritablement aux attentes des collaborateurs? Quand, enfin, décidera-t-on de jeter un sort définitif aux inéquités salariales de genres (homme/femme)? 

Un nouveau rôle pour les Directions RH

Tous ces facteurs démotivent profondément les collaborateurs. Du coup, alors que tout est mis en œuvre pour les faire adhérer au projet d’entreprise, un certain nombre d’entre-eux, castrés dans leur engagement par la structure, la désinvestissent et désertent le champ de la performance. Osons enfin une dernière question: mais que fait, non pas la police, mais le DRH dans cette situation? 

Pour aller plus loin, François Dupuy, Lost in Management, Editions du Seuil, 2010, 268 pages

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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