Voilà que les Hauts Potentiels (HP) débarquent sans coup férir. Tout d’abord à l’école, dans les grandes villes et dans les collèges privés, s’il vous plaît. Puis, comme une traînée de poudre, le concept essaima et atteignit les campagnes, même les plus reculées et jusqu’ici préservées du pédagogisme. Désormais chaque famille, chaque classe, chaque village a son quota de HP. C’est aujourd’hui au tour des entreprises de s’interroger sur le traitement adéquat à réserver à ces célébrissimes HP, nouvellement érigés au rang de stars organisationnelles. Coup de projecteur sans complaisance.
L’étoffe des héros mythologiques
Qui sont-ils? Des intellectuels précoces au regard d’aigle? Non seulement. Des surdoués de la surdouance, destinés à gravir les échelons quatre à quatre, à gérer des projets stratégicotransversaux; des gestionnaires de teams extraordinaires capables d’animer des équipes disséminées dans l’Europe entière, voire dans le monde, voire au-delà, sans jamais les rencontrer, mais en leur insufflant - grâce au coaching 2.0 - une motivation guerrière lisible immédiatement dans les résultats. Ces Zeus de l’organisation au port altier, eux-mêmes fils de Titan, sont non seulement dotés d’ubiquité (un bureau à Londres, une équipe à Tokyo, une vidéo-conférence à New York), mais de polyglotie aigüe (un don certainement), capables dès leur plus jeune enfance de penser en anglais, de parler en allemand et de chanter en espagnol tout en apprenant leur langue maternelle. Sans oublier le chinois qu’ils ont décidé d’intégrer, en même temps que le golf, lors d’un stage de trois semaines consacré au leadership. Ils ne cherchent pas à être dans la lumière de l’organisation: ils sont la lumière. Ne dit-on pas d’eux qu’ils sont brillants?
La réalité des zéros
Suivons le tricot sémantique et restons près des mots. Et oui, qui dit HP dit aussi les autres, les BP, les Bas Potentiels, autrement dit nous: des kyrielles de bouseux et de tâcherons fatigués qui nous échinons sans cesse et sans gloire et qui portons la serviette, le glaive, le portable et la souris de Zeus, occupé – lui – à dessiner les frontières du nouveau monde, alors que nous nous battons avec la photocopieuse récalcitrante. Ils sont bronzés et musclés, nous sommes pâles et flasques. Ils occupent le devant de la scène? Nous hantons les corridors sombres des back offices et autres unités de support. Ils voyagent en business class? Nous les suivons avec peine en low cost.
Quelle morale tirer de cette histoire?
Quelle vision RH développer à partir de ces portraits? Je propose trois pistes réflexives.
1. Rire et démystifier le discours vantard des HP en les ramenant doucement sur la terre ferme. Leur rappeler qu’une organisation est un collectif et que le véritable héros est celui qui met son égo au service des autres. Autrement dit, développer une culture d’entreprise intégratrice.
2. Valoriser les travailleurs de l’ombre. RH et cadres dirigeants doivent apprendre à mieux reconnaître les collaborateurs discrets, modestes et réservés qui fondent pourtant la force vive organisationnelle. Leur donner une réelle attention, du soutien et surtout de la considération. Autrement dit, les mettre en lumière.
3. Ne pas nier les différences. Nos entreprises ne sont ni des kolkhozes ni des kibboutz et les apports individuels au succès des organisations ne sont pas de même nature. Il convient donc, autrement dit, d’identifier la valeur ajoutée et les spécificités des uns et des autres. Car nous sommes tous uniques, quoiqu’inscrits dans un projet commun.