Dossier

«Lors du printemps arabe, nous avons évacué près de 3000 personnes»

Les collaborateurs en déplacement et les expatriés sont exposés à de nombreux risques comme les accidents ou   les maladies, les catastrophes naturelles ou les conflits armés. Entretien avec deux responsables d’International SOS,   société spécialisée dans l’assistance médicale et les solutions de sécurité pour les collaborateurs.

Donnez-nous un exemple d’intervention d’urgence?

Gabrielle Mauron: De piquet un week-end, j’ai reçu un appel d’un de nos médecins partenaires en service dans une petite clinique au Nigéria. L’employé d’une société y avait été admis. Il se plaignait de nausées, avait de la fièvre. Le médecin soupçonnait un cas de
neuropaludisme.

Cette maladie doit être traitée dans les heures qui suivent car elle attaque le cerveau. Le patient devait être évacué au plus vite afin d’obtenir le meilleur traitement possible. Nous avons immédiatement organisé le trajet de 45 minutes vers l’aéroport le plus proche ainsi qu’une escorte de sécurité; c’était le milieu de la nuit au Nigéria. Ensuite l’avion sanitaire a emmené le patient dans la clinique la plus adaptée et la plus proche.

Ghislain de Kerviler: Il ne s’agit pas toujours de cas de vie ou de mort. On nous demande aussi de trouver un bon dentiste dans une petite ville chinoise parce que le fils d’un expatrié a une rage de dents. Nous proposons alors un cabinet aux normes européennes et organisons le transport approprié. Grâce à notre réseau mondial de 1000 médecins salariés du groupe et de nos 68 000 partenaires, nous sommes à même de trouver la bonne solution.

Quand fait-on le plus souvent appel à vous? Pour des cas médicaux ou des questions de sécurité?

G.dK.: On ne peut pas toujours clairement distinguer l’un de l’autre. Lors du Printemps Arabe, nos équipes étaient positionnées en Tunisie, en Egypte et à proximité des frontières libyennes pour aider nos clients à évacuer leurs employés. Main dans la main avec nos partenaires, nous avons pu évacuer près de 3000 personnes.

La première évacuation de Tunisie était un cas médical, par avion-ambulance, ce qui illustre bien la nécessité d’intégrer la réflexion santé et sécurité dans les politiques de voyages des entreprises.

Les entreprises sont responsables de leurs expatriés et de leurs employés en déplacement. Pourquoi auraient-elles besoin de vos services?

G.M.: Nous apportons notre soutien aux entreprises pour qu’elles puissent mieux assumer leur devoir de protection face à leurs collaborateurs – de la planification à l’élaboration de programmes de prévention jusqu’à l’intervention rapide en cas d’urgence. Mais nous ne les déchargeons en aucun cas de leur responsabilité.

Qu’entendez-vous par programmes de prévention?

G.dK.: Il peut s’agir de formations sur des pays spécifiques, de programmes d’e-learning, sur le paludisme par exemple, ou d’informations sur les vaccinations. Nous apportons notre soutien aux entreprises en élaborant un Emergency Response Plan individuel. Nous effectuons également des bilans d’aptitude au voyage qui permettent de déterminer si un collaborateur pourra travailler à l’étranger ou pas.

G.M.: Un employé asthmatique est parfaitement apte à travailler en Suisse, mais c’est déjà moins sûr sous les tropiques. C’est ce genre de conditions que les bilans de santé nous permettent de clarifier.

Comment coopérez-vous avec les entreprises?

G.dK.: Nous élaborons des processus spécifiques selon l’organisation de l’entreprise et les souhaits du client. Nous avons un interlocuteur dans chaque entreprise. Idéalement, cet interlocuteur est un médecin d’entreprise afin d’éviter toute difficulté avec la protection des données liée aux informations sensibles sur le patient et aussi afin de pouvoir parler de spécialiste à spécialiste.

En Suisse, de nombreuses entreprises (même parmi les plus grandes) n’ont pourtant pas de médecin d’entreprise. En règle générale, il est remplacé par un de nos propres médecins lorsqu’il s’agit de prendre la décision adéquate. Nous coopérons aussi avec les responsables RH et les responsables de la sécurité. L’axe de la prévention est de plus en plus demandé et nous mettons en place des plans de formations pour que les voyageurs partent bien armés et sereins pour leur mission à l’étranger.

Qui décide de ce que sera la meilleure solution pour un expatrié qui a des problèmes? Vous ou votre interlocuteur au sein de l’entreprise?

G.dK.: Cela dépend du contrat. Deux questions se posent toutefois: le décideur est-il disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7? Est-il apte à déterminer si le collaborateur en Afrique souffre de simples maux de tête ou d’un début de paludisme?

La plupart de nos interlocuteurs sont tout sauf à l’aise face à une telle responsabilité. Généralement, ils suivent nos recommandations car, au final, c’est toujours l’entreprise qui assume le risque. Toutefois, dans certaines situations médicales, c’est à nous de décider de la meilleure façon d’agir.

Qui paie vos interventions?

G.dK.: Les assurances des entreprises.

L’assurance a-t-elle un droit de veto, en particulier lors d’évacuations coûteuses en avion sanitaire?

G.dK.: Cela dépend à nouveau du contrat conclu avec les entreprises. Certaines nous donnent carte blanche. Dans tous les cas, nous informons la compagnie d’assurance. Il est toutefois crucial que l’assurance ne soit pas seule à décider, car elle peut avoir tendance à considérer le cas d’un point de vue uniquement financier.

G.M.: Nous considérons aussi le contexte social. Un exemple: une femme enceinte se trouve en Afrique, elle est sur le point d’accoucher et fait face à des complications. D’un point de vue financier, le mieux est de l’amener à Johannesburg, en Afrique du Sud, où elle est certaine de recevoir un traitement médical optimal.

Mais comme sa famille vit en France, où elle trouvera également de l’aide après avoir accouché, nous avons proposé de la rapatrier en France. L’entreprise concernée a d’ailleurs accepté notre recommandation.

Les entreprises suisses sont-elles conscientes de leurs obligations mais aussi des risques encourus lorsqu’elles envoient des collaborateurs à l’étranger?

G.dK.: Elles sont pleinement conscientes de leur devoir de protection, mais parfois elles ne savent pas quoi faire concrètement lorsqu’il arrive quelque chose. Tout comme d’ailleurs elles ne sont souvent pas au fait des déplacements de leurs salariés. Demandez donc à une grande entreprise où se trouve tel ou tel de ses collaborateurs – il est très diffi-
cile pour l’entreprise de garder un aperçu des déplacements de chacun.

C’est pourquoi nous proposons un outil qui permet aux entreprises de savoir à tout moment à quel endroit de la planète se trouvent leurs employés. De plus, dans nombre d’entreprises, il n’est pas toujours clairement défini qui est responsable du Travel Risk Management.

Surveiller chaque déplacement de ses employés...?

G.dK.: Il ne s’agit pas de surveillance au sens négatif. C’est bien plus une question de gestion des risques et de certitude de pouvoir assumer son devoir de protection et de pouvoir apporter de l’aide à ses collaborateurs chaque fois que cela est nécessaire. Lors du tsunami au Japon par exemple, nous avons pu identifier le soir même plus de 700 voyageurs de différentes entreprises présentes sur la zone.

Quelle assistance fournissez-vous aux voyageurs pendant leurs déplacements?

G.dK.: Nous leur envoyons des SMS dès qu’un événement susceptible de les impacter a lieu dans leur région. Nous disposons de 200 spécialistes de sécurité, dont chacun est responsable d’une région comprenant 10 pays. Ils analysent d’heure en heure ce qu’il se passe dans chaque pays, de la grève des transports à l’alerte à la bombe en passant par les crashes d’avion ou les aspects médicaux tels que les épidémies ou l’apparition de maladies. Nos clients reçoivent alors des informations  actuelles et des conseils ciblés.

G.M.: La plupart du temps, il ne s’agit pas de bombes ou de guerres. Souvent les voyageurs sont persuadés qu’il ne peut rien leur arriver puisqu’ils ne font qu’aller en Angleterre ou aux Etats-Unis, des pays qui sont effectivement classés «low risk». Mais dans ces pays, il y a d’autres questions, d’autres habitudes à connaître. Essayez donc de vous faire admettre dans un hôpital américain sans argent comptant ou sans carte de crédit...

Un réseau international

International SOS a été créée il y a 25 ans par Pascal Rey-Herme, médecin français, et Arnaud Vaissié. Aujourd’hui, l’organisation est active dans plus de 70 pays et emploie 8000 collaborateurs dans le monde entier, dont plus de 970 médecins et 200 spécialistes de la sécurité. International SOS dispose de 32 centres médicaux, 27 centres d’assistance, 11 avions sanitaires, 68 000 entreprises partenaires et maîtrise plus de 90 langues et dialectes. De par le monde, International SOS compte plus de 9200 entreprises clientes, dont 400 en Suisse et 65 pour cent des entreprises cotées au SMI.

 

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Marianne Rupp est journaliste spécialisée en ressources humaines.

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