"Ne pas mélanger les tâches stratégiques et administratives"
Vice-présidente des Ressources Humaines Européennes de Procter&Gamble (P&G), Luisa Delgado a participé à la création du «HR Shared Service Center» de la firme à Newcastle. Aujourd’hui, P&G a vendu ses opérations de «Shared Services» à IBM, un contrat global monnayé à 400 millions de dollars sur dix ans. Interview.
HR Today: Quand avez-vous décidé de créer un «HR Shared Service Center»?
Luisa Delgado: La décision a été prise en 1999/2000. A l’époque, P&G était en train de revoir sa stratégie de business afin de mieux optimiser son échelle globale. En Europe occidentale, nous étions organisés à travers 17 pays. Suite à notre réorganisation, nous avons créé des «Global Business Units» et établi notre centre européen ici à Genève. C’est dans ce contexte que nous avons construit un «HR Shared Services» global.
Pour quelles raisons?
D’abord, nous cherchions à améliorer l’efficacité de certains processus RH et donc de réduire leurs coûts. Le second objectif était d’améliorer la qualité de nos services, en les confiant à des spécialistes plutôt que de les éparpiller à travers plusieurs pays. Et finalement, nous cherchions une innovation de processus globale, ciblée et supérieure à celle qui pouvait se développer de manière décentralisée.
Mais depuis vous avez vendu votre centre à IBM...
Oui, nous avons conclu que nos «Shared Services» auraient, sur le long terme, l’opportunité de servir d’autres clients, ce qui aurait nécessité un management spécialisé. Et comme vous savez, nous sommes actifs dans le développment, la production et la commercialisation de biens de consommation (voir l’encadré). Conduire un «Shared Services» n’est donc pas notre «core business».
Aujourd’hui, IBM s’occupe de plusieurs de vos tâches RH. Comment s’assurer qu’ils le font dans votre intérêt?
C’est une question clé. La première chose à faire est de n’externaliser que les services et leurs procédures. Tout ce qui concerne les questions stratégiques, la gouvernance, notre savoir-faire stratégique RH et ce qui nous différencie de nos concurrents n’a pas été externalisé. Pour résumer, nous avons gardé le contrôle du contenu et IBM se concentre sur l’exécution de services spécifiques pour nos employés.
Est-ce suffisant?
Le partenariat avec IBM a été très clairement défini. C’est une autre condition du succès. En outre, nous avons mis sur pied une «Customer Care Organization». Il s’agit d’une petite équipe de nos collaborateurs qui travaillent avec IBM pour assurer que les tâches externalisées sont effectuées selon les contrats (les «Service Level Agreements»). Ils effectuent des «assessments» et des contrôles de qualité et de quantité.
Quels changements pour le personnel RH resté chez P&G?
Aujourd’hui, nos RH participent beaucoup plus au «business leadership» de P&G. Avec une mission clé. Nous concentrons nos efforts sur le «Strategic Business Partnership» et les «Centres of Expertise». Nos 150 collaborateurs RH à travers l’Europe Occidentale ont dû développer de nouvelles compétences: développement de stratégie business, design de l’organisation, développement de talents et management de performance. Avec cette transformation, nous avons aussi pu nous dédier au développement de nouvelles politiques RH visant à augmenter la motivation de notre personnel. Nous avons notamment introduit la flexibilité du temps de travail avec des concepts tels que «location free» ou le travail à temps partiel, qui sont administrés via IBM. En somme, toute la transformation organisationnelle vers les «Shared Services», impliquant les cadres, les employés et le personnel RH a permis de développer la contribution RH au business d’une manière claire et visible. Mais tout ça prend du temps. Six ans après, je crois pouvoir dire que nous avons réussi.
Quels seraient vos conseils à une société qui voudrait externaliser ses tâches RH?
Il faut commencer par clairement définir les tâches qui seront externalisées et celles qui ne le seront pas. En ce qui nous concerne, nous avons choisi d’outsourcer les processus dits d’«Employee Services»: les services de relocation, «payroll», administration de voyages, notes de frais et administration de bénéfices. Il ne s’agit donc pas de responsabilité RH au sens stratégique, mais bien des services du personnel. Ensuite, il est nécessaire de commencer par standardiser ces processus à travers les pays pour qu’ils puissent être administrés de manière centrale. Cela peut paraître évident, mais en Europe, on a encore trop tendance à travailler avec l’idée que chaque pays est différent, plutôt que de voir d’abord ce qui les unit.
Conseilleriez-vous d’externaliser directement les services RH?
A mon avis, c’est trop risqué. Le risque étant de ne pas bien séparer les tâches que vous voulez laisser à un tiers de celles que vous allez garder en interne. Et il faut du temps pour trouver cet équilibre. Une fois cette étape derrière vous, l’externalisation est un pas assez logique à franchir.
L’interviewée
Luisa Delgado est Vice-présidente des Ressources Humaines Européennes de Procter&Gamble. Entrée dans la maison en 1991, elle a notamment travaillé au Portugal, en Angleterre et en Belgique dans les RH et en Relations Publiques. Licenciée en droit, Luisa Delgado s’est spécialisée en droit financier et en études européennes.