Débat

Surveiller les employés en Home Office?

La pandémie n’a pas seulement boosté le Home Office. Les outils informatiques de traçage et de surveillance ont aussi le vent en poupe. Ces techniques de surveillance restent cependant controversées.

Alexandra Gastpar, stratégies RH, HR Campus

Les modèles de travail flexibles se multiplient avec des modalités parfois très différentes. Ce qui est devenu la norme pour les indépendants et les travailleurs nomades est souvent vécu comme un changement de paradigme pour les collaborateurs d’entreprises plus traditionnelles. Le passage soudain au Home Office est un changement important pour la plupart des employeurs et employés. De plus, en 2020 cette réorganisation s’est faite sans préparation, ce qui a empêché les personnes concernées d’intégrer les fameuses étapes du changement (choc, déni, colère, etc.). Cette situation a provoqué des réactions contrastées, autant chez les employeurs que chez les employés, allant de la curiosité à la peur. Nous savons aussi que le rapport à la nouveauté et à la peur diffère considérablement d’un individu à l’autre. Ces sentiments contrastés impactent forcément la culture d’entreprise. Cela ne m’étonne guère donc que plusieurs entreprises tombent dans le piège du contrôle. Ces organisations pensent ainsi reprendre le dessus sur une situation qui leur échappe. Cela répond à leur besoin de sécurité. Le développement récent d’outils de traçage s’explique par ce besoin de contrôle. Mais c’est aussi une réponse aux nombreuses attentes des collaborateurs en termes de bien-être. Au final, ce sera la culture d’entreprise qui décidera la direction que va prendre le dispositif, entre contrôle ou bien-être. À mon avis, les entreprises expriment surtout leur désir de survie, plutôt qu’une volonté de modifier la culture d’entreprise. Personnellement, avec ou sans Covid, je préfère une culture d’entreprise basée sur la confiance. J’en ai d’ailleurs informé ma hiérarchie sans attendre. Car la transparence est aussi une pierre angulaire d’une culture de la coopération et de la confiance.

Marc Prinz, avocat, Vischer SA

Depuis quelques mois, de plus en plus d’employeurs ont autorisé leurs collaborateurs à travailler en Home Office. Certaines entreprises sont même allées plus loin que ce que recommandait le Conseil fédéral. Ce qui prouve le bon niveau de confiance qu’elles ont envers leurs collaborateurs. Mettre en place un plan de Home Office généralisé n’est pourtant pas une affaire aisée. D’une part, il faut harmoniser les processus de travail et l’infrastructure informatique. De l’autre, il faut implémenter un management pragmatique et efficace, tout en assurant une certaine forme de contrôle à distance. Sur ce plan, il ne s’agit pas seulement de surveiller la productivité, mais aussi de s’assurer le bon respect des dispositions légales de la loi sur le travail, comme l’obligation de faire des pauses par exemple. Mettre en place des outils de contrôle n’est pas condamnable en soi. À condition naturellement que cette surveillance soit conforme au droit du travail. Surveiller et contrôler en continu le comportement d’un employé est en principe interdit, sauf par exemple en cas de soupçon d’abus (art. 26 de l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail). Les employés doivent également être informés en amont de la mise en place de ces systèmes de contrôle. Cela vaut aussi pour des contrôles anonymes. À noter que si l’employeur consulte ses employés dans la phase d’implémentation d’un tel système, ces derniers auront tendance à mieux accepter la mesure. Dans certains cas, ces dispositifs de contrôle permettront d’améliorer les conditions ou les processus de travail. Par conséquent, et à condition que la mise en place d’un logiciel de contrôle soit effectuée en toute transparence et en suivant les recommandations précitées, ces dispositifs ne sont pas forcément le signe d’une méfiance des employeurs envers les collaborateurs. Au contraire, ces outils peuvent être un moyen d’améliorer leur devoir de protection et de se rapprocher de leurs objectifs commerciaux.

Florian Schrodt, marketing du personnel, Transports publics zurichois (VBZ)

Vous connaissez sans doute ce classique des slogans publicitaires: «Raider s’appelle maintenant Twix... rien d’autre ne change.» Traduction en langage RH? Depuis que je suis entré dans cette profession, j’entends très souvent que «tout est en train de changer!» La mode du jour s’appelle New Work. Soyez rassurés, je salue cette nouvelle manière de travailler et elle est plus que nécessaire aujourd’hui. Mais qu’en est-il dans la réalité? «New Work, New Normal. Rien d’autre ne change.» Du vieux vin dans des nouvelles bouteilles. Cela me fait penser à cette vieille rengaine: «La confiance c’est bien, le contrôle c’est encore mieux». Une de mes amies l’a formulé en ces termes: «Rien n’a vraiment pris forme malgré tout le sable à disposition...» Nous avons tellement de possibilités pour créer le monde du travail de demain, mais que faisons-nous concrètement? Nous débattons ici de la surveillance des collaborateurs en Home Office. Le New Work ne repose-t-il pas sur la confiance et l’autonomie? Le contrôle ne fonctionnait pas au bureau, pensez-vous vraiment qu’il va faire ses preuves en Home Office... Ne dit-on pas d’ailleurs qu’un processus de m... que l’on digitalise, reste un processus de m... Soit. Un dispositif de contrôle des collaborateurs de m... reste un dispositif de m... même une fois déployé dans les domiciles privés. Vous voyez ce que je veux dire! Nous sommes toujours séduits par la solution passe-partout, par une stratégie globale, valable pour tous. En réalité, nous avons besoin de plusieurs stratégies, chacune taillée sur mesure et adaptée aux conditions spécifiques de sa mise en œuvre. Au lieu de cela? D’aucuns sont en Home Office, d’autres encore en entreprise, car leurs tâches ne s’externalisent pas facilement. Et pour éviter une injustice, on l’inflige à tous les autres. Celui ou celle qui travaille à la maison devrait subir les mêmes contrôles que celles et ceux qui sont au bureau. Comme si le résultat d’un travail bien fait se mesurait dans une feuille Excel! C’est le retour à l’approche scientifique du travail, mais dans un contexte tertiaire. Le savoir, c’est le pouvoir. Le temps est venu de le distribuer. Pour cela, nous avons besoin de confiance. D’autant plus dans la situation actuelle. Au risque de ne pas tirer profit des promesses du New Work.

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Texte: Marc Prinz

Marc Prinz, associé, Head of Labour and Employment, Vischer SA

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Florian Schrodt, marketing du personnel, transports publics zurichois (VBZ)

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