Télétravail et travail hybride: des tensions managériales en discussion
La reconfiguration de l'organisation du travail, accélérée par la pandémie, impacte le rôle du management, la notion de productivité et la cohésion des équipes notamment. Le point sur ces transformations au regard de la littérature scientifique.
Photo: Cristian Tarzi / Unsplash
Plus de deux ans après la première crise Covid-19, il nous a semblé utile de revenir sur les tensions liées au déploiement du télétravail, mais aussi avec l’installation durable d’un nouvel environnement de travail hybride, nécessitant de jongler entre périodes de présentiel et de distanciel. Nous présentons une liste de ces tensions managériales à partir du cas illustratif de l’UBP (Union Bancaire Privée), en le mettant en perspective avec nos propres recherches, et plus généralement avec la littérature scientifique concernant le télétravail et l’hybridité organisationnelle. Ces tensions correspondent à des notions clés (en gras dans le texte) qui apparaissent dans le schéma ci-contre, dont nous reprenons ci-dessous les plus importantes.
Sentiment partagé sur l’efficience
Première tension: efficience ou déficience? Le télétravail amène-t-il une plus grande productivité? Le sentiment d’une plus grande efficience est partagé par de nombreux salariés, mais pas toujours par le management. La littérature scientifique est à cet égard très nuancée, certaines études démontrant des gains de productivité individuelle, d’autres soulignant des effets pervers en matière de performance collective.
Une deuxième tension liée au télétravail est celle de la confiance et/ou du contrôle qui ont une relation étroite et ambivalente dans la relation managériale. Cette tension amène les organisations, comme l’UBP, à réfléchir aux conditions managériales et aux règles dans le cadre duquel le télétravail peut se déployer et avoir les impacts les plus positifs, tout à la fois pour les salariés et pour la performance d’ensemble.
Pas de réponses universelles
Des défis très concrets se sont présentés aux entreprises pour gérer les règles du jeu, conditions de base pour assurer un déploiement acceptable et harmonieux. Les organisations ont dû formuler des règles adaptées à chaque contexte, définir la population éligible au télétravail ainsi que des chartes, conventions ou contrats régulant les modalités de ce dernier. Elles y définissent les droits et les devoirs des employés et des managers, identifient les jours de la semaine où le télétravail est autorisé, voire interdit, ou des solutions plus flexibles comme l’UBP. Ces questions très concrètes n’ont pas trouvé de réponses toutes faites ou universelles. Les entreprises ont dû inventer leurs propres bonnes pratiques correspondant à leur fonctionnement et à leur culture. Certaines entreprises ont également lancé des projets pilotes avant de négocier et fixer ces règles.
Cohésion, frontaliers et onboarding
Certaines organisations ont mis en place des formations managériales en lien avec ces nouvelles formes de travail, pour anticiper des problématiques de management en équipes virtuelles ou hybrides ou pour sensibiliser les managers aux risques psychosociaux. Un élément sensible des équipes virtuelles et hybrides est celui de la cohésion des équipes. Nos recherches soulignent que le télétravail a soudé les équipes, parfois au détriment d’une culture organisationnelle plus globale. La littérature scientifique, quant à elle, souligne qu’il existe un seuil de télétravail – en termes de jours télétravaillés – au-delà duquel des conséquences néfastes se font ressentir en termes de cohésion des équipes et de culture organisationnelle.
Les organisations hybrides et le télétravail questionnent également d’autres pratiques RH et obligent à redéfinir les règles en vigueur concernant le travail des frontaliers. L’intégration culturelle des nouvelles recrues (l’onboarding) est aussi souvent à réinventer à l’heure du télétravail. Les entreprises remettent sur le métier des questions anciennes: comment accompagner le nouvel arrivant, lui transmettre des manières de faire, de percevoir, de sentir propres à son organisation et qui constituent une culture organisationnelle spécifique?
Nouveau contrat psychologique
Certaines études relatent des impacts positifs sur la motivation des salariés, d’autres relèvent des effets inverses, soit une démotivation, voire le développement d’attitudes de retrait face au travail et aux organisations. Mais l’offre de télétravail devient un atout pour retenir ou attirer des nouveaux talents, notamment dans un environnement où certaines organisations font face à des pénuries de personnel. Les nouvelles manières de travailler et le télétravail constituent dès lors une solution pour se démarquer de la concurrence, en termes d’image d’employeur, nécessitant que les organisations assurent une veille des pratiques de télétravail de leurs concurrents. La crise Covid-19 a induit un changement de contrat psychologique, les salariés adressent de nouvelles attentes à leur employeur, notamment des attentes de souplesse supplémentaire et de meilleure conciliation vie privée et vie professionnelle.