Fraude en organisation

Une feuille de route pour traverser une situation de crise sans complications

Au moment de constater une fraude à l’interne, les entreprises suisses sont très souvent prises de court. Ce manque de préparation dans la gestion de la crise peut avoir des conséquences désastreuses pour l’image de la société et pour l’enquête qui suivra la constatation du délit. Voici un plan de marche pour réussir la gestion d’une situation délicate. 

Au contraire des entreprises américaines, la plupart des sociétés suisses sont très mal préparées aux situations de crise qui résulteraient d’une fraude commise à l’intérieur de l’organisation. L’affaire du trader français Jérôme Kerviel dans la Société générale est emblématique des difficultés posées par une gestion de crise. 

Dans cette affaire, visiblement mal préparée, la banque a décidé d’envoyer son président Daniel Bouton pour annoncer l’ampleur de la fraude aux médias. Au moment de sa démission fin avril 2009, Daniel Bouton a admis au quotidien Le Figaro qu’il s’était régulièrement posé la question de son départ depuis l’éclatement de l’affaire Kerviel. 

Cette affaire montre l’importance d’avoir mis au point un plan de crise avant que l’urgence des événements l’impose. HR Today a proposé au cabinet de conseil Ernst & Young, spécialiste de la gestion des situations de crise, notamment liée à une fraude, de détailler jour après jour les différentes étapes d’un plan de crise. Voici les conseils de Michael Faske, responsable du département Fraud Investigation & Dispute Services chez Ernst & Young Suisse.

Avant que la crise n’éclate

«Rédiger un plan d’alarme. Cette feuille de route doit indiquer la marche à suivre en cas de découverte d’une fraude dans l’organisation. Elle détaillera notamment les points mentionnés ci-dessous et indiquera les personnes de contact à chaque étape. Il faut également penser à la composition d’une cellule de crise. Et donc définir à l’avance qui en fera partie. 

En général, cette cellule est composée du supérieur direct du collaborateur ou du cadre qui a commis un délit; d’un juriste ou du responsable du compliance; d’un HR Business Partner et d’un responsable de la communication. Le rôle de la communication est primordial. Il faudra donc définir à l’avance qui sera chargé de rédiger le communiqué de presse et de tenir le rôle de porte-parole. L’efficacité de cette cellule de crise dépend de la clarté de la répartition des rôles et des tâches à accomplir.»

Jour 1 

Quelle stratégie judiciaire? 

«Une fois que le délit a été constaté, il faut répartir les responsabilités au sein de la task force qui vient d’être constituée. Le juriste devra trancher la question délicate du dépôt de plainte pénale ou non. Le choix délicat de la stratégie juridique à entreprendre va conditionner tout le reste de la procédure. Une plainte pénale exige par exemple de protéger au maximum toutes traces et possibilités de preuves. Le choix de la stratégie juridique va dépendre de la gravité ainsi que de la durée de la fraude, des risques en termes d’image pour la société et de la législation en vigueur dans le pays où la fraude a été commise.» 

Comment communiquer? 

«La manière de communiquer la fraude doit également figurer parmi les priorités de la task force. Faut-il avertir le personnel et si oui par quel biais? Est-il nécessaire de communiquer à l’externe et si oui par quels canaux (communiqués ou conférence de presse)? A nouveau, le genre d’infraction et la stratégie judiciaire choisie vont influencer le mode de communication. Pour éviter la fuite de témoins ou la destruction de preuves, on choisira en général de maintenir le silence radio durant les premiers jours suivant le constat de fraude. Une société cotée est en revanche tenue à un maximum de transparence envers ses actionnaires. Dans ce cas, la question de la communication se pose de manière très aiguë. Toutes ces questions auront évidemment été planifiées en amont. D’où l’importance d’avoir réfléchi à un plan d’urgence en amont.» 

Mesures d’urgence 

«Il faut ensuite prendre une série de mesures d’urgence. Toute la question de la sécurisation des preuves sera au centre des préoccupations: e-mails, traces électroniques, droits d’accès. Il faut donc s’assurer que l’enquête, qu’elle soit menée en interne ou par la police, puisse être menée de manière optimale. La question de l’assurance va également entrer en jeu. En général, l’assureur a des exigences en termes de clarification des responsabilités. Il est donc important d’avertir l’assureur et de l’intégrer dans le processus. Pour une société cotée, elle aura l’obligation d’annoncer le cas à l’autorité de surveillance (la Finma par exemple).

Jour 2-3 

Mener l’enquête 

«Les jours suivant la découverte de la fraude, la priorité sera de mettre les preuves à l’abri: e-mails et tous les documents pouvant de près ou de loin être concernés par l’enquête. Il s’agira également de mener des interviews avec les collègues et les supérieurs directs de la personne soupçonnée. A noter que la présomption d’innocence doit être assurée. Dans certains pays, comme les Pays-Bas notamment, l’entreprise est contrainte par la loi de fournir un conseil juridique à la personne soupçonnée de fraude. La législation suisse ne le prévoit en revanche pas.»

Comprendre

«Une fois que preuves réunies, il faut essayer de comprendre comment le délit a été commis. Il s’agit de décrire le déroulement précis de la fraude en indiquant le ou les personnes impliquées, à quel degré, et avec quels torts causés. Une fois cette étape terminée, on pourra répondre de manière définitive à la question de la stratégie judiciaire à entreprendre. Plainte pénale ou civile? Demandes de réparation auprès de l’assurance? Licenciement ou non du collaborateur/cadre?»

Jour 4-7 

Bilan

«La dernière étape consiste à tirer un bilan de l’affaire. La fraude a-t-elle mis à jour des dysfonctionnements dans l’organisation ou la répartition des responsabilités? Quelles ont été les failles dans le système de sécurité de l’entreprise et comment y remédier? Comment a fonctionné la gestion de la crise? La communication a-t-elle été à la hauteur? La réponse à toutes ces questions permettra de corriger le tir et d’améliorer le processus à la prochaine occasion.»

L’intervenant

Michael Faske est responsable du département Fraud Investigation & Dispute Services chez Ernst & Young Suisse

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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