L'humour au travail

«Vous pouvez être très professionnel et ne pas vous prendre au sérieux»

Vanessa Marcié a publié un livre sur l'humour au travail. Coach, conférencière et stand-uppeuse, elle explique ici les bienfaits de l'humour au travail et donne quelques conseils pour le pratiquer. 

Parler d’humour au travail est à la mode. Comment expliquez-vous cette tendance?

Vanessa Marcié: La crise du COVID a sans doute joué un rôle. Durant la pandémie, l’humour a été un outil de résilience pour beaucoup de monde. Cette crise a aussi montré les limites du management tel que nous le connaissions. Les salariés ont commencé à questionner le sens de leur travail. Nous sommes aujourd’hui dans le monde d’après, et nous pouvons voir avec le phénomène de la Grande Démission aux États-Unis, la croissance de l’emploi freelance et l’intérêt pour la semaine de 4 jours que les salariés réclament un management et une entreprise plus humaine, où ils ont le droit d’être eux-mêmes. L’humour fait partie de ces changements. Il permet d’humaniser l’entreprise, d’en faire un lieu où on peut s’amuser et travailler avec ses collègues dans une bonne ambiance. C’est même devenu une nécessité aujourd’hui.

Selon une étude, 60% des salariés souhaiteraient plus d’humour en entreprise...

Oui, cette demande a toujours été là et les recherches montrent qu’il y a très peu de contre-indications à l’humour en entreprise s’il est bien utilisé. Mais de nombreux managers en ont peur car ils pensent que diriger implique de se prendre très au sérieux. Or pas du tout. Les deux choses n’ont rien à voir. Vous pouvez être très professionnel et ne pas vous prendre au sérieux. Au contraire, l’humour permet de créer du lien, il renforce la crédibilité et le capital sympathie d’un manager...

Quels sont les autres avantages de l’humour au travail?

L’humour est une mine d’or. Il va renforcer la cohésion de l’équipe, il permet d’établir un rapport avec l’autre et de créer un climat de confiance. L’humour permet aussi de vulgariser des concepts compliqués et d’être plus créatif. Enfin, dans des situations de stress, l’humour permet de faire baisser la tension ou de désamorcer les conflits.

Y a-t-il des métiers ou des environnements de travail plus adaptés à l’humour?

Difficile à dire. Dans l’écosystème des start-ups, qui accueillent un type de population plus jeune et avide d’une communication simple et directe, l’humour est déjà dans les codes. Mais beaucoup d’entreprises, tous secteurs confondus, viennent me voir justement parce qu’ils ont compris que l’humour était un bon moyen d’attirer et de retenir les jeunes talents. Les grandes entreprises commencent aussi à s’y intéresser. Car le management par la peur, dans un système hiérarchique et pyramidal, ne fonctionne plus...

Et des secteurs d’activité?

Il n’y a pas de secteurs d’activité plus indiqués que d’autres. Cependant, les secteurs les plus étudiés par les chercheurs sont les secteurs de la santé (notamment les services d’urgence) et l’armée. Pour ces métiers en situation de stress et de crise permanentes, l’humour permet de mieux gérer l’anxiété. C’est un exutoire qui fait baisser la tension. Chez les militaires, par exemple, l’humour contribue à créer un esprit de cohésion intense. À la guerre, votre vie dépend de l’autre, donc il faut créer des liens très forts.

L’humour est une offre de connexion, écrivez-vous, qui peut être acceptée ou rejetée par l’autre...

J’ai emprunté cette formule à deux psychologues, spécialistes du couple, qui ont développé cette idée de l’offre de connexion. Dans un couple, quand votre partenaire fait une blague, c’est le signe qu’il ou elle veut se connecter avec vous. Pareil en entreprise, l’humour est une manière d’entrer en relation avec l’autre.

L’humour se joue toujours en contexte, dites-vous. Il va dépendre du public à qui on s’adresse...

Exactement. En entreprise, l’humour doit être plus stratégique. Il va dépendre de la situation, des personnes autour de vous, de leur âge, de vos références communes... L’humour devrait d’ailleurs être enseigné à l’école car c’est un art délicat. Mal utilisé, il peut vous mettre dans de très mauvaises situations. On ne peut pas imposer aux autres ce que l’on trouve drôle. L’humour d’un Jean-Marie Bigard ne fonctionnera probablement pas dans tous les environnements. Il faut toujours se demander quelle est votre intention. Si le but est de vous connecter aux autres, évitez les blagues sexistes et vulgaires.

Vous dites aussi que pour être drôle, il faut être authen- tique. Peut-on apprendre à être authentique?

Nous vivons à l’ère de l’authenticité et de la vulnérabilité. Dit autrement, un manager doit être plus humain aujourd’hui. Dans l’ancienne école, un vrai professionnel ne devait pas montrer ses sentiments, il devait toujours être dans le contrôle et avoir une réponse à tout. Au risque de paraître froid, agressif et distant. Mais le monde a évolué. Aujourd’hui, un manager doit montrer qu’il ou elle est comme vous. Et l’humour est un excellent moyen d’être vulnérable et authentique. Il permet de réduire la distance sociale avec l’autre en partageant un moment d’humain à humain.

Être franc et authentique est donc un moyen d’être plus drôle?

Oui, mais si l’humour donne une impression de spontanéité, en réalité cela se prépare et se travaille. En entreprise, il y a des moments stratégiques où l’on peut l’utiliser l’humour, lors d’une présentation par exemple. Quand il est stratégique, l’humour vient renforcer votre leadership et votre communication.

L’humour est un art délicat, qui implique un sens du timing, le bon choix des mots, des références comprises par votre audience...

Absolument, raison pour laquelle l’humour demande un peu d’entraînement. Plus vous travaillez en amont, plus votre humour aura l’air naturel et spontané. Il faut aussi trouver votre propre style, en lien avec votre personnalité.

Comment faire pour trouver son propre style d’humour?

C’est avant tout une question de connaissance de soi. Bien se connaître permet ensuite de mieux comprendre le sens de l’humour des autres. Ce qui va vous permettre d’ajuster la communication à votre public.

Plus une personne a de l’ancienneté, plus l’humour sera important pour elle...

Les recherches montrent que nous avons tendance à perdre notre sens de l’humour vers 23 ans, quand nous entrons dans le monde professionnel, et que nous le retrouvons à l’âge de la retraite. Nous utilisons aussi plus notre humour pendant les week-ends. Il y a donc une vraie injonction invisible dans les entreprises de ne pas utiliser l’humour. C’est dommage car l’humour a une vraie plus-value au travail. Pourquoi laisser cette partie de notre personnalité sur le pas de la porte du bureau?

L’éloignement hiérarchique ne faciliterait pas l’humour...

L’humour peut être utilisé avec tout le monde, à condition de bien le faire. Avec sa hiérarchie ou avec ses pairs, on privilégiera un humour qui va nous valoriser. Quand c’est vous le supérieur hiérarchique, je conseille plutôt d’utiliser l’auto-dérision ou l’humour autodestructeur. Cela permet de réduire la distance sociale et de vous rendre plus humain.

Comment dire à son chef qu’il n’est pas drôle?

En lui donnant mon livre (rire). Les dirigeants ne se rendent souvent pas compte que leur humour n’est pas apprécié. Leur entourage ne va pas oser leur en parler et ils souffrent donc d’un biais lié à leur position hiérarchique. Pour s’en sortir, il faut créer une culture où l’humour est permis et encouragé.

Quelles sont les limites à ne pas dépasser?

Il faut éviter l’humour agressif, surtout en entreprise. L’humour agressif n’est pas intrinsèquement mauvais, mais il faut faire attention avec qui on le pratique. Cela peut passer si vous êtes en famille ou dans un cercle de confiance mais au travail vous risquez de blesser et d’humilier. L’auto-dérision n’est pas idéale lors d’une première interaction, par exemple. Si vous n’avez pas encore prouvé votre professionnalisme, la personne risque de prendre ce que vous dites pour argent comptant.

Qu’entendez-vous par «cercle de confiance»?

Ce sont des personnes avec qui vous êtes à l’aise et qui ne vont pas vous juger. Dans ces cercles, vous allez pouvoir vous entraîner. Cela peut aussi être des collègues de confiance avec qui vous allez tester votre présentation. Cela vous donnera confiance et vous pourrez ensuite agrandir le cercle en osant tester votre humour avec d’autres personnes, en externe, avant de vous lancer dans une présentation humoristique devant votre chef.

Comment créer une culture d’entreprise favorable à l’humour?

Chaque collaborateur doit maîtriser les codes de l’humour et parler un langage commun. Je conseille par exemple de commencer par une conférence où vous expliquez les tenants et les aboutissants de l’humour en entreprise. Expliquez les différents types d’humour et pourquoi certaines blagues fonctionnent mieux que d’autres. Il faut aussi briser tous les mythes liés à l’humour: par exemple que l’humour ne rime pas forcément avec manque de professionnalisme.

Cette culture implique aussi de bonnes conditions de travail, de s’assurer que les collaborateurs ont les moyens de faire un travail de qualité, que le management n’est pas toxique...

Oui, l’humour n’est pas une solution miracle pour résoudre les dysfonctionnements. Au contraire, c’est plutôt un détecteur de problèmes. Imaginez un entretien d’embauche où le recruteur ne réagit pas aux blagues du candidat. Un open space où personne ne sourit ou ne rigole. Ce sont des signaux d’alerte. L’humour au travail exige une atmosphère bienveillante et positive. Sans cette sécurité psychologique, personne ne va oser se lancer et l’humour ne sera pas bien reçu.

Vos conseils pour un manager RH?

Pourquoi ne pas tenir compte du sens de l’humour des candidats lors d’un recrutement «Racontez-moi la dernière fois que vous avez été drôle? Quel est votre humoriste préféré?», sont des bonnes manières d’aborder le sujet. L’humour pourrait aussi être une valeur affichée par l’entreprise, comme c’est le cas aux États-Unis avec la compagnie aérienne Southwest Airlines, par exemple.

Vos conseils pour un leader?

Maîtriser l’humour exige de reprogrammer votre cerveau. Plus vous serez entouré de personnes qui ont un bon sens de l’humour, plus cela va influencer votre façon de penser et de voir le monde. Nous sommes la somme des personnes qui nous entourent... Entourez-vous de personnes avec un bon sens de l’humour!

Quelles sont vos sources d’inspiration humoristique?

J’aime beaucoup les humoristes anglo-saxons: Jerry Seinfeld est le maître absolu. En France, Gad Elmaleh et Blanche Gardin, par exemple. Je conseille aussi d’aller voir des shows de stand-up et de découvrir les nouveaux talents. La chaîne YouTube du Montreux Comedy Festival est excellente aussi. Quand je suis en voiture, j’écoute l’émission «Rire et chansons» à la radio, c’est toujours un régal!

L'intervenante

Docteure en sciences de l’information et de la communication, Vanessa Marcié est coach, conférencière et chargée d’enseignement en business school. Elle pratique aussi le stand-up et donne régulièrement des conférences et des formations sur l’humour au travail en France, en Angleterre et aux USA.

Livre

Vanessa Marcié: Le pouvoir de l’humour, éd. Eyrolles, 2023, 221 pages

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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