La chronique

Adulescence, quelle essence?

Il a déjà coulé beaucoup d’encre sur la génération Z, mais s’est-on demandé de quelle planète ils viennent? Quelle est l’essence de leur vie, au-delà de leurs comportements dans le monde du travail?

Cette génération est celle des enfants désirés, planifiés, attendus. Celle des enfants rêvés, idéalisés. Les parents ont révisé la notion d’éducation, en mode communication non-violente et écoute active (C. Rogers), adoubé de psychologie positive (I. Filliozat). Un changement nécessaire, au vu des souffrances psychologiques endurées par des générations précédentes. Et pourtant, cela mène à mettre l’enfant au centre, à l’individualiser, sans confrontation au vis-à-vis ou à la norme. Chacun est invité à «être soi», sans plus prendre une place dans une famille, une fratrie, réduite souvent d’ailleurs à sa plus simple expression. L’intégration sociale n’est plus un sujet d’éducation, et l’appartenance se joue sur un mode virtuel.

Car la génération Z, c’est aussi la fin des grandes fratries, des familles nombreuses où chacun devait assumer sa part pour que la maisonnée fonctionne. La naissance faisait autrefois entrer dans un rang, dans une place, au sein d’une microsociété familiale, élargie par les cousins du même âge pour les dimanches et vacances. Tout était question de vie de groupe.

Un groupe, cela implique des négociations, des désaccords et des débats, des bagarres et des réconciliations. Il y a le leader, le clown, l’infirmier et le bouc émissaire, chacun prend une place. Puis les jeux de rôles ouvrent d’autres perspectives – gendarmes et voleurs ou papa-maman, comme des occasions de tester d’autres positions, d’autres compétences sociales, d’autres émotions aussi. Cela apprend à faire partie d’un certain ordre social, avec ses règles du jeu, ses débordements et ses rappels à l’ordre.

La génération Z, elle, grandit dans des familles cellulaires, enfant unique, petite fratrie, sans ces multiples possibilités de jeux. La vie sociale est axée sur la performance, les clubs de sports et cours d’anglais, du moins pour la classe économique qui peut se le permettre. Il reste peu de place pour l’expérimentation, pour les interactions sociales libres, parfois crues, parfois riches.

De nombreux jeunes arrivent ainsi à l’aulne de la vie professionnelle, ou à leur premier poste de manager, avec une certaine pauvreté d’expériences sociales, couplée à un surinvestissement de la performance. Cette génération Z envahit petit à petit les bureaux, un peu perdue dans ce monde réglé, policé, qu’elle ne connaît pas. C’est comme un effort d’acculturation qui lui est demandé, de s’intégrer aux us et coutumes locaux, arrivant d’une autre planète. La montée en puissance des programmes d’on-boarding montre la conscience de l’enjeu.

Mais avec quel succès? Car il ne s’agit pas simplement de fournir des outils à l’intégration, lorsque l’on rencontre des collaborateurs pour qui la notion même d’intégration est inconnue, avec toute la part de négociation, mais aussi de renoncement, que cela comporte. Les horaires, les planifications de vacances, les coups de main en cas de maladie, l’implication dans des tâches parfois inattendues peuvent devenir source de difficultés ou de conflits avec le management. La non-obtention d’avantages ou de promotion également.

On ajoutera que cette génération entre de plus en plus tard sur le marché du travail, après des années de transition, stages, écoles de culture générale ou voyages. Elle passe ses années de grande adolescence, formatrices de la personnalité, dans la suite de cette recherche de soi, là où les générations précédentes les passaient dans un contexte d’initiation professionnelle.

Alors quelles recettes pour les adulescents qui prennent place dans les entreprises? L’école se défend de suppléer au «manque» d’éducation des parents. Cela devient-il le rôle de l’employeur que de mener ces adulescents à l’âge adulte, à la maturité des interactions sociales et au désinvestissement de la performance narcissique?

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Ariane de Rham est aujourd’hui Directrice de l’ESSIL, école supérieure formant les éducateurs sociaux à Lausanne. Son profil est pluriel. Après une première carrière en tant que pasteure, elle a effectué une formation en gestion d’entreprise. Depuis, elle développe et met en place les outils de management et RH les plus divers, les projets stratégiques de développement et les outils pratiques. Elle a travaillé pour les Oeuvres sociales de l’Armée du Salut, pour la Fondation Le Repuis et pour la Fondation Jeunesse et Famille.

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