Statut et stature
Il est des personnes à qui l’on érige une statue, souvent des personnages qui ont marqué leur époque. Il est des personnes qui brillent par leur statut, eux sont plutôt sans époque. Ils ont un titre, un métier et une position. Ils suscitent respect, courbettes et soumission. Dans le passé, cela concernait des fonctions désignées: le médecin, le notaire, l’avocat ou l’enseignant. Ce statut assurait un certain «entre-soi», où se retrouvait une élite bourgeoise. C’était un cercle fermé, à l’abri des convoitises.
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Aujourd’hui cet élitisme est toujours présent, malgré la démocratisation des études et la mixité grandissante des organisations. Tout organigramme consacre des statuts, et y rattache une certaine autorité statutaire. Ces statuts donnent accès à un niveau de salaire, à des privilèges (une caisse de pension mieux dotée, un véhicule de fonction) et des contacts privilégiés avec les autres de la même caste sociale (frais de représentation à l’appui). Aucun doute, les signes extérieurs sont moins visibles, mais le découpage social est toujours là.
Et voilà que cette élite du haut de la pyramide se trouve confrontée à des exigences de management participatif, pouvant aller jusqu’à l’holacratie. Changement de mode? Non, pire, retournement radical! Là où le statut a pour vertu de mettre en zone de protection, quasi inattaquable, le management participatif demande l’ouverture, la rencontre, le partage, l’exposition de soi à ses collaborateurs. Deux mouvements inconciliables, irréconciliables.
Alors certains luttent pour conserver leurs privilèges. En s’accrochant à leur statut, ils minent l’ambiance au travail, provoquent la démotivation des collaborateurs et les chuchotements critiques dans les couloirs. En réaction, le peuple singe, se déguise et se moque des puissants du monde. Ils font carnaval.
D’autres élites choisissent l’autonomisation et la responsabilisation des acteurs. Cette tactique permet en réalité de protéger la hiérarchie des petits soucis, face à des collaborateurs de plus en plus vindicateurs. Le statut se joue dans son bureau du 5e étage, à l’abri du bruit de la populace, cette fois-ci trop occupée pour faire carnaval.
Cultiver l'appartenance
Le leadership participatif fait appel à un autre champ lexical, celui de l’appartenance. Rassembler des personnalités différentes, offrir à chacun sa part, sa participation, c’est aller à la rencontre, dans une ouverture d’esprit totale. Et accueillir l’apport de l’autre, que ce soit un point de vue différent, une compétence insoupçonnée, une opposition. La réussite des leaders participatifs est de montrer aux générations X, Y, Z, qu’ils sont les bienvenus. La meilleure recette de la fidélisation?
Mais la recette ne semble pas toujours à disposition du manager. Elle recèle trois ingrédients majeurs, à choisir en version bio et fair-trade de préférence: l’écoute, la sécurité intérieure et la conviction. L’écoute semble une évidence, et pourtant une maxime dit fort justement que «la plupart des gens écoutent pour répondre, non pour comprendre».
Car pour comprendre, le deuxième ingrédient est indispensable. Ce n’est qu’avec une forme de confiance radicale que le leader peut rencontrer des idées divergentes, des avis contradictoires, et faire naître le dialogue. Dès qu’il se sent pris à parti, il perd cette capacité d’accueil. La nuance est fine entre la mise en cause et la remise en question. La mise en cause ébranle les fondements, elle est désagréable. La remise en question vient interroger, pour mieux consolider. C’est la nuance entre le statut, qui refoule et réfute, et la stature, qui intègre et adapte.
Intégrer et adapter nécessite le troisième ingrédient: une base solide, une conviction de la mission de son entreprise, un sens profond. C’est la différence entre les petits personnages, qui aimeraient être grands, et les grands personnages, qui savent se faire petits devant leur mission.