Apports et limites de l'intelligence artificielle dans les métiers RH
L'arrivée de ChatGPT et des nouvelles générations d'IA générative impacte plusieurs processus métier. Comment est-ce que cela fonctionne? Quels sont les risques et quelles sont les applications concrètes pour les métiers RH?
Photo: DR
C’est le sujet de l’année 2024. Depuis la sortie initiale de ChatGPT d’OpenAI en novembre 2022, la nouvelle génération d’IA, dite générative, s’est diffusée à travers le monde en six mois. Le terme «intelligence artificielle» date pourtant de 1956. Comme souvent avec les progrès technologiques, les scientifiques ont progressé lentement avant de franchir un palier quand ils ont découvert les Large Language Models (LLM), cette nouvelle génération d’IA qui fonctionne sur le modèle d’un réseau de neurones. Les LLM peuvent faire des synthèses, des classifications, des analyses de sentiment, des traductions, de la génération de contenu ou répondre à nos questions. «Jusqu’ici l’humanité a utilisé sa raison et ses croyances pour avancer et expliquer le monde. Aujourd’hui, avec l’IA elle peut désormais prédire certains événements, le rapport à l’information et l’équilibre géopolitique changent», écrit Eric Schmidt, ancien CEO de Google, dans un livre qui annonce une nouvelle ère pour l’humanité (1). Comment cette IA générative va-t-elle impacter les métiers RH et quels sont les risques de ces nouvelles applications? Tour d’horizon.
Elle dépasse notre entendement
Avec sa puissance de calcul, la nouvelle IA n’est pas seulement capable de traiter une immense quantité de données, elle peut aussi voir des aspects de la réalité humaine que nous n’avons jamais vu. Elle dépasse donc parfois notre entendement. Elle est hyper puissante et impossible à comprendre. Il se pose alors quantité de questions de société, philosophiques, spirituelles et éthiques à propos de l’utilisation de l’IA et de l’impact qu’elle aura sur l’humanité.
Pas d’IA générale
Selon Stéphane Roder, fondateur de AI Builders et auteur d’un livre sur l’intelligence artificielle en entreprise (2), «depuis l’arrivée de ChatGPT, tout le monde accepte désormais que l’IA fera partie de notre quotidien». Il ne croit en revanche pas à l’avènement d’une intelligence artificielle générale, comme l’on prédit certains. Cette IA générale, capable de répondre à tout, serait très compliquée à créer, avec des risques d’erreurs trop importants.
Consolidation du marché
Entraîner un LLM coûte cher et exige des données de qualité. «Une LLM a besoins de visionner une image 1 million de fois pour une marge d’erreur de 3% alors qu’un enfant le fait en 4 vues seulement», écrit Stéphane Roder. Il estime que ChatGPT utilise probablement 8 LLM différents avec 175 milliards de paramètres et 500 milliards de mots. Conclusion: nous nous dirigeons vers un marché avec une série de grandes IA (ChatGPT, Copilot ou Mistral par exemple) et des milliers de petites IA construites sur mesure pour des tâches bien précises. Toujours selon Stéphane Roder, 80% des IA RH seront disponibles sur le marché via le Cloud et 20% devront être développées en interne avec des IA en open source.
Risques et limites
Il faudra aussi tenir compte des nombreuses limites de l’IA. Elle n’a par exemple aucune capacité réflexive sur les résultats qu’elle produit. Elle va donc parfois donner des résultats absurdes. L’IA n’explique pas non plus comment elle arrive à sa conclusion. Elle applique une méthode, s’entraîne et produit un résultat. Mais elle a besoin de l’humain pour réguler la pertinence et la dimension éthique de ses productions. Elle va aussi intégrer les biais humains. La qualité des données qu’elle utilise est une autre limite majeure. «Garbage in, garbage out», rappellent les experts. En 2017, le géant Amazon avait dû suspendre sa plateforme de recrutement qui discriminait les femmes. L’autre grand risque est lié à la protection des données. Les grandes IA du marché sont américaines et chinoises. Ces plateformes ont donc la mainmise sur toutes les données que vous leur fournissez.
L’IA et le travail
Les applications de l’IA générative au travail sont nombreuses. Elles vont par exemple transformer les services à la clientèle, la production de contenu, l’automatisation des processus métier et l’analyse de textes notamment. Dans le marketing, elle est utilisée pour drafter des documents ou créer des campagnes de publicité. Elle permet aussi de déployer des ressources ou calculer des budgets. Selon Matthieu Corthésy, formateur en IA et auteur du livre «ChatGPT en entreprise» (éd. Diateino, 2024), ChatGPT est en train de perdre la bataille des entreprises: «On assiste aujourd’hui à un shift silencieux et massif vers Copilot de Microsoft, qui résout en partie les craintes liées à la protection des données».
«Pensez grand, commencez petit»
Matthieu Corthésy conseille aux RH de commencer par réfléchir aux besoins métiers. «Il s’agit de ne pas être trop ambitieux. Pensez grand et commencez petit. La formation est clé. Permettre aux collaborateurs d’utiliser de l’IA sans les former en amont, revient à leur donner une Porsche sans permis de conduire.»
Administration du personnel et paie
Dans les ressources humaines, les applications concrètes de l’IA impacteront l’administration, la rémunération et le recrutement. Dans l’administration du personnel, les Chatbots boostés aux LLM vont améliorer l’expérience utilisateur. La gestion de la paie, un processus très complexe, sera facilitée par l’IA générative, capable de tenir compte des différents contrats, des parts variables, des changements réglementaires et des assurances sociales. «L’IA permettra aussi de prédire les absences et de gérer le staffing de manière plus fine et proactive», note Stéphane Roder. Elle sera aussi une aide à la décision lors d’une promotion.
L’IA dans le recrutement
Dans le recrutement, le parcours de consultation des offres d’emploi va s’inverser. Le candidat fournit son CV sur la page emploi de l’entreprise et l’IA lui proposera les postes ouverts. Les responsables de recrutement utiliseront ChatGPT pour rédiger des descriptifs de postes et des certificats de travail. En Suisse romande, l’application MyCerty utilise de l’IA pour rédiger des certificats de travail de manière automatisée.
Assistant pour recruter dans la tech
La start-up américaine TechScreen utilise l’IA pour aider les recruteurs à mener des entretiens et évaluer les profils dans la tech. Le CEO Mark Knowlton nous explique le modèle en visioconférence depuis Boston: «Notre plateforme utilise l’IA pour suggérer des questions pertinentes au recruteur. L’IA analyse les réponses du candidat et vérifie si les informations sont à jour. Le recruteur reçoit ensuite un rapport détaillé, garde la main sur le processus et sur la décision finale. Accessible via une plateforme Saas, cette solution coûte 70 dollars par mois.
Méthode pour penser le futur
L’IA générative permet aussi de dynamiser la créativité et de penser des scénarios du futur. Dans un ouvrage collectif (3), Xavier Comtesse et Giorgio Pauletto proposent une méthodologie de prospective en intelligence collective et artificielle. «L’IA aide au processus créatif et permet d’améliorer l’efficacité et la productivité des workshops», explique Giorgio Pauletto par téléphone. La méthode du Prompt Futur Thinking est un mix entre le design thinking, le future thinking et le prompting, qui est l’art de poser des questions à l’IA afin d’optimiser la qualité de ses réponses.
Itératif et interactif
«Cela nous tenait à cœur de permettre aux PME de mettre le pied à l’étrier de l’IA», explique Giorgio Pauletto. Avec ce livre, notre intention est de démocratiser les techniques de la prospective et de montrer comment l’intelligence collective peut être augmentée par l’IA. Dans le domaine RH, cette méthodologie permet par exemple d’identifier des tendances émergentes et de qualifier ces changements en termes de processus. Nous proposons aussi une vision sur les compétences humaines nécessaires à la collaboration avec l’IA: la créativité et l’empathie par exemple. Nous voyons aussi apparaître des spécialistes en gestion du changement.»
(1) Henry Kissinger, Eric Schmidt et Daniel Huttenlocher, The Age of AI, éd. John Murray, 2021, 266 pages.
(2) Stéphane Roder, Guide pratique de l'intelligence artificielle dans l'entreprise, éd. Eyrolles, 2024, 276 pages.
(3) Xavier Comtesse et Giorgio Pauletto (sous dir.), Prompt Futur - Savoir penser demain, éd Georg, 2023, 192 pages.