Créer une dynamique collective

Comment reféconder la dynamique collective enrayée par le travail hybride

Depuis la pandémie et la généralisation du télétravail, les dirigeants·es peinent à recréer une dynamique collaborative. L'atomisation de la société explique aussi l'affaiblissement du collectif. Tour d'horizon des enjeux pour réenchanter le travail en équipe.

Efficace mais pas inspirant. Depuis la diffusion à grande échelle du travail hybride, les organisations ont gagné en productivité mais perdu en lien social. Cet effet collatéral du télétravail impacte surtout les nouvelles recrues (onboardées à distance) et les équipes formées durant la pandémie. «Le télétravail et le full remote déshumanisent le travail», note Fabrice Gatti, directeur du cabinet Mamkle (coaching, conseil et formation) et qui vient de publier un livre dont l’intention est de «reféconder la pensée managériale et les organisations». «Nous sommes dans l’illusion de l’efficacité, mais avons perdu beaucoup d’informations en cours de route. Le travail hybride rigide n’est pas favorable avec la dynamique collective, la performance et le bien être», poursuit-il.

Rejet des organisations contrôlantes

Il estime que le télétravail a été vécu comme une libération par certains salariés qui travaillent dans des organisations contrôlantes. «Le Home Office permet à ces collaborateurs de se ressourcer et d’avoir un meilleur équilibre de vie. De manière contradictoire, cela nuit au besoin de relation et à la dynamique collective, car ils ont l’impression de ne plus avoir besoin de ces moments informels, si importants pour la performance et l’appartenance.»

Interdépendance

Dans un monde en accélération, de plus en plus instable et imprévisible, cette intelligence collective est un ingrédient essentiel de la survie des organisations. Fabrice Gatti: «À part de rares exceptions, l’interdépendance des tâches et des rôles est aujourd’hui devenue la norme. C’est de plus en plus difficile de travailler tout seul. Cela montre la nécessité de rompre avec les pratiques classiques comme les silos et les objectifs individuels.»

Collectif vs collaboratif

Cet engouement pour travail collaboratif concerne surtout le secteur tertiaire où le travail exige de coconstruire des solutions pertinentes pour les clients. Dit autrement, les frontières entre l’organisation et le marché sont devenues poreuses. Cela dit, pas tous les métiers impliquent un travail collaboratif. Comme l’explique la consultante Sibylle Heunert, spécialiste des dynamiques collectives depuis 20 ans (lire aussi son interview ici), c’est la première question à se poser: avons-nous des tâches communes à réaliser? Ce n’est pas toujours le cas. En plus de cette dimension collaborative, il faut soigner le collectif. Cette deuxième dimension concerne la régulation du groupe, l’ambiance dans l’équipe et le fait de convenir de certaines règles communes et de s’y tenir.

Sécurité psychologique

«Les individus ont besoin de se sentir appréciés, d’appartenir à un groupe avec un objectif commun qui dépasse les aspirations individuelles. Cela ne peut se créer que lorsqu’on entretient des contacts physiques réguliers», poursuit Fabrice Gatti. Créer un contexte où les individus vont se sentir en confiance est l’ingrédient numéro un des équipes performantes, selon une célèbre étude de Google publiée en 2012. Selon cette étude (Projet Aristote), les cinq ingrédients sont la sécurité psychologique; la co-dépendance (dependability en anglais); la clarté des structures et des buts; le sens et l’impact. La sécurité psychologique est le thème du livre d’Amy Edmondson: The Feerless Organization, paru en 2018. Professeur de leadership à la Harvard Business School, elle montre comment ce cadre de travail sécurisé est la clé pour mettre l’organisation dans une dynamique apprenante.

L’action collective est politique

Ce besoin de collaboration s’explique aussi par l’analyse stratégique de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1). Les deux sociologues du travail ont montré que les individus disposent toujours d’une marge de manœuvre. Il ne faut donc jamais sous-estimer le pouvoir des acteurs. Ce pouvoir est exercé par les individus dans les zones d’incertitudes de l’organisation, ces espaces de liberté entre les normes, la structure et les systèmes. L’action collective a toujours une dimension politique. Il faut donc tenir compte de l’avis des individus en les incluant dans le processus décisionnel et la définition des objectifs et de la vision.

Reconnaissance et feedback

Dans un livre élaboré grâce à 400 entretiens avec des managers (2), le consultant et formateur français Ludovic Girodon insiste aussi sur ce besoin de reconnaissance des individus. Un des rôles clés du manager est de remercier et de donner du feedback régulier. Il conseille de prendre 30 minutes par semaine pour faire le point avec chaque membre de votre équipe. Et pour chaque feedback correctif, il faudrait en donner cinq à six de positifs.

Règles communes

Fabrice Gatti souligne lui aussi l’importance du dirigeant dans un collectif. Son rôle est fondamental pour garantir une bonne dynamique collective. Il ou elle doit déterminer avec ses équipes les règles de fonctionnement du groupe. Il explique: «Les principes directeurs régulent de manière implicite et explicite la dynamique du groupe. Ils sont peu nombreux et définissent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas au niveau comportemental, tout en orientant les décisions et les choix.» Il faudra ensuite en être le garant et sanctionner les comportements déviants si besoin. Sir Alex Ferguson, entraîneur légendaire de l’équipe de foot anglaise Manchester United, était connu pour mettre le respect des règles du groupe au-dessus de la performance individuelle de ses stars. «Si les comportements individuels dégradent le collectif, c’est au leader de les sanctionner, sinon il n’y a pas de sécurité pour agir.»

Prévisibilité et exemplarité

D’autres comportements vont favoriser cette dynamique collective: la prévisibilité et l’exemplarité. Fabrice Gatti: «La confiance ne se décrète pas. Elle va résulter de ces règles convenues ensemble et du comportement irréprochable du leader.

Ce dernier doit être prévisible et exemplaire. Prévisible implique qu’il ou elle traite tout le monde à la même enseigne, pas de favoritisme ou d’exceptions à la règle. L’exemplarité implique de réduire au maximum l’écart entre le discours et la réalité. Ce sont des exigences à démontrer au quotidien. La prévisibilité des comportements de chacun est une condition essentielle pour une action collective performante et basée sur la confiance.»

Vision positive de l’humain

Enfin, Fabrice Gatti (3) conseille d’adopter une vision positive de la nature humaine. «Cela va créer un environnement capacitant. Un environnement qui va favoriser le sentiment de compétence et d’autonomie tout en permettant aux relations humaines de se développer. Il conclut: «Le fonctionnement optimum d’un groupe ne vient pas de la compétence de chacun de ses membres, mais de la qualité de son action collective. Or, la qualité de cette action repose sur le degré de confiance que chaque individu est prêt à accorder aux autres.»

(1) Michel Crozier et Erhard Friedberg. L'acteur et le système. éd. Seuil, 1977, 503 pages

(2) Ludovic Girodon. Dream Team. 2019, auto-édité, 306 pages

(3) Fabrice Gatti. L'autruche et le curieux. éd. Enrik B., 2023, 449 pages

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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