Dossier

Confier un mandat à une haute école

Les Hautes écoles spécialisées de Suisse romande (HES-SO) effectuent des mandats de développement et des projets de recherche appliquée pour le secteur privé et public. Par quels canaux arrivent les mandats? Comment définir le cahier des charges? Quelles sont les grandes étapes d’un mandat de développement? Tour d’horizon d’un dispositif complexe.

Il a déjà effectué plus de 50 mandats de développement pour le secteur privé et public en Suisse romande. Professeur de GRH à la heig-vd d’Yverdon-les-Bains, François Gonin connaît bien la relation qui s’établit entre un patron d’entreprise qui a un problème à régler et une haute école qui a plusieurs missions académiques à remplir. Pour HR Today, il détaille ici les différentes étapes du processus et donne plusieurs exemples et anecdotes.

Trouver les mandats

Pour une haute école, décrocher des mandats du secteur privé/public est une affaire de renommée et de compétences. En général, ce sont les professeurs et leurs expériences qui amènent les affaires. Avant de devenir professeur de GRH à la heig-vd (en 2005), François Gonin a par exemple travaillé pendant sept ans comme conseiller en ressources humaines du Service du personnel de la Ville de Lausanne.

Où il a notamment dirigé les travaux menant à la nouvelle politique du personnel pour les 4400 collaborateurs de cette organisation. Les professeurs HES doivent donc disposer d’un bagage théorique de haut niveau (la nouvelle loi vaudoise sur les hautes écoles de type HES, prochainement soumise au Grand Conseil, prévoit l’obligation du doctorat) et d’une expérience professionnelle de plusieurs années.

«Le bouche à oreille fonctionne aussi. Certains mandants se sont adressés à nous en ayant entendu parler des mandats réalisés dans d’autres organisations», ajoute François Gonin. En termes de timing, les hautes écoles travaillent en général sur du moyen à long terme. Un mandat urgent démarre dans le mois.

Concrètement, le premier contact sert à identifier le type de mandat (un audit en période de crise, un processus RH à développer). «Nous nous demandons ensuite si le mandat «fait sens», s’il correspond à nos compétences et si nous sommes en mesure d’apporter une valeur ajoutée. A la heig-vd par exemple, nous ne proposons pas de mettre en place des systèmes de rémunération, qui sont des mandats très techniques et spécifiques.

Nous recherchons plutôt des mandats innovants qui nécessitent un développement, voire la création de liens avec d’autres dispositifs de l’entreprise.» Pas d’assessment ou de recrutement à la chaîne donc? François Gonin: «Non, mais un recrutement délicat, suivi d’un team building et d’une réorganisation de la fonction RH par exemple. Un mandat mène souvent à un autre.»

Le réseautage est aussi très important dans l’obtention de nouveaux mandats. Les réseaux qui comptent sont les sections romandes de HR Swiss, le réseau du CRQP, les Chambres de commerce, le Groupement des entreprises multinationales (GEM) et la Fédération romande des entrepreneurs (FER) à Genève notamment. Et il faut mentionner enfin les publications et les articles dans les quotidiens romands et la presse spécialisée. François Gonin est par exemple chroniqueur régulier du cahier Emploi et Carrière du Temps.

Plusieurs types d’intervention

Les premiers mandats sont très souvent des audits lors de périodes de crise. «La situation est souvent bloquée, les gens ne se parlent
plus. Le directeur nous assure avoir tout essayé. Les collaborateurs affirment le contraire», illustre François Gonin.

Il a par exemple mené un audit sur le dispositif de gestion des compétences et la stratégie de formation d’une organisation para-publique de 1000 collaborateurs. «Après plusieurs changements organisationnels importants, le patron n’y voyait plus clair», explique François Gonin.

Les enquêtes de satisfaction sont également très demandées. Les contextes entrepreneurials sont en général moins conflictuels. Les indicateurs peuvent être un taux d’absentéisme ou un turnover élevé. «Nous essayons de créer des liens entre ces enquêtes et les pratiques RH afin de développer une nouvelle politique RH», précise François Gonin.

Le développement de processus RH est un autre axe d’intervention des hautes écoles. Typiquement, lors d’une restructuration ou d’une réorganisation d’une unité d’affaire, il faut revoir de fond en comble les processus RH. François Gonin a par exemple accompagné la mise en œuvre du Département RH de l’Hôpital neuchâtelois en 2007-2010 (voir aussi l’interview de Pascal Rubin ci-contre).

Dans cet exemple, il s’agissait d’une fusion de 7 institutions, comptant au total 2300 collaborateurs, dans un délai court. «Il fallait revoir tous les processus RH, repenser le recrutement, redistribuer les compétences et les  responsabilités RH à l’intérieur de l’organisation».

En parallèle, la heig-vd a accompagné la réorganisation de la Fonction RH de l’organisation. L’accompagnement d’une recherche action est un mandat plus typique d’une haute école de gestion. Il s’agit en général d’un projet pilote qu’il faut tester ou améliorer avant de l’étendre au reste de l’organisation.

«Les entreprises font appel à notre expertise dans des domaines RH spécifiques. Par exemple cela sera un processus d’évaluation des compétences qui doit être revu. L’entreprise nous demande d’effectuer l’évaluation du nouveau dispositif avec des recommandations d’ajustement avant de l’étendre à toute l’organisation», détaille François Gonin.

Pour un professeur, la réalisation de ces mandats permet de créer des interactions entre les différentes missions d’une haute école. François Gonin vient par exemple d’obtenir le mandat de développement du système d’appréciation du personnel d’une organisation de 3700 collaborateurs.

En parallèle, il a reçu le feu vert du fonds de recherche de la HES-SO pour lancer en 2012 un projet de recherche appliquée visant à définir les indicateurs d’efficacité, d’efficience et d’effectivité de l’évaluation des performances individuelles et collectives.

Lancer les travaux

Le lancement des travaux va dépendre de la complexité et de la méthodologie du mandat. «En général, nous commençons par une information générale aux collaborateurs concernés. Nous rédigeons le texte, l’entreprise le diffuse. Puis selon les mandats, nous démarrons les entretiens, nous rencontrons les personnes ressources.

La première phase nous permet aussi de répartir le travail dans l’équipe projet.» Quel est l’accueil réservé aux chercheurs/académiciens dans le secteur privé? «Les entreprises sont demandeuses donc elles essaient de nous faciliter le travail. Nous adoptons toujours une approche systémique des problèmes. Un gros dysfonctionnement chez un cadre n’est très souvent pas uniquement lié à une personne. Il faut aller chercher des explications dans son contexte, son entourage, ses différentes missions. C’est très souvent une combinaison de ces éléments et non une cause unique», poursuit François Gonin.

Quand une situation dégénère et se bloque, le premier objectif est de rétablir un climat de confiance pour que les processus soient plus fluides et satisfaisants, assure le professeur. Il cite l’exemple d’un processus de développement/formation qui n’était pas clair dans une organisation publique.

«Après avoir retracé l’historique de cette politique de formation, on s’est rendu compte qu’il y avait eu 4 changements de DRH depuis 8 ans…»

Sur la posture adoptée, François Gonin dit beaucoup s’appuyer sur les personnes en interne. «Mon but est que l’entreprise s’approprie ce que nous leur livrons. Nous apportons un regard extérieur, des compétences et une force de travail mais nous ne sommes pas là pour rester. En général, il est frappant de constater que les personnes qui ont les problèmes sont aussi celles qui connaissent les solutions!»

Nouer la gerbe

Le rapport de synthèse marque la fin du mandat. «Nous insistons sur la présentation de ces résultats à l’ensemble des collaborateurs concernés. Cela arrive parfois que cette dernière étape soit négligée par les mandants, puisque les problèmes ont été résolus. Mais il faut  donner ce retour aux personnes qui nous ont soutenu durant nos travaux.»

Le rapport final reprend la demande initiale, explique le contexte et les enjeux au moment de l’intervention. S’en suit une partie d’analyse avec les faits constatés. Enfin arrive la partie «Recommandations» qui doit aider l’organisation à rebondir.  François Gonin se souvient d’une présentation qui avait marqué les collaborateurs.

«Le rapport mettait à jour les différences de vision entre un directeur et son adjoint. Cette mise en lumière du fossé qui avait miné la tête de l’organisation a permis de relativiser les choses et d’aller de l’avant.»

Une fois les recommandations livrées, François Gonin reste à disposition pour aider à la mise en œuvre. «Notre objectif n’est pas de donner du poisson, mais bien d’apprendre à pêcher», sourit François Gonin.

Confidentialité

Tous les mandats de gestion confiés par une entreprise ou une organisation publique à une haute école sont confidentiels. Les exemples cités dans cet article ont été possibles car les mandants ont acceptés, dans le contrat, d’être cités comme référence client par la
heig-vd.

Pour le reste, les entreprises restent naturellement les propriétaires des informations issues du mandat. La loi sur la protection des données impose également des contraintes importantes quant à la divulgation d’informations sensibles liées à la vie des collaborateurs en entreprise.

Activer la pompe à recherche

Pour bien comprendre la place tenue par les mandats de développement dans le fonctionnement d’une Haute école, il faut prendre de la hauteur et voir l’ensemble de leurs missions académiques. On peut regrouper ces missions en 4 groupes.

D’abord la formation de base, dispensée aux étudiants. Ensuite les formations continues certifiantes, destinées à un public déjà actif sur le marché du travail et qui souhaite se spécialiser. En plus de ces enseignements, les professeurs et leurs assistants ont à réaliser de la recherche appliquée et doivent publier des articles dans les revues et les ouvrages spécialisés ou alors mettre sur pied des colloques et des conférences. Il collaborent aussi avec d’autres instituts de recherche en Suisse et à l’étranger.

Dans ce contexte à objectifs multiples, les mandats pour le secteur privé/public jouent un rôle central (voir ci-contre). Ces expériences du terrain servent d’une part à alimenter les supports de cours, les formations continues, les publications et les colloques avec des cas pratiques et des exemples.

Les mandats permettent de développer une expertise dans un domaine précis. Le professeur s’appuie sur sa connaissance du terrain et son bagage théorique pour développer et adapter les outils et les pratiques aux spécificités de chaque entreprise. Cette expertise attire les mandats suivants et peut être utilisée pour obtenir des fonds pour lancer des recherches de plus grande importance.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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