Dossier

Les académiciens au chevet des entreprises

Les organisations publiques et privées se tournent fréquemment vers une université ou une haute école pour résoudre des problématiques de GRH. Interventions de conseils, mandats de développement ou recherche d’expertise sur un sujet précis, ces partenariats se développent de plus en plus. Notre enquête.

Balayons d’entrée de jeu les commentaires des caciques qui affirment qu’un mandat effectué par une haute école, qu’elle soit universitaire ou de niveau HES, est une solution risquée. Ce reproche repose sur les stéréotypes souvent entendus à propos de l’inefficacité des institutions académiques quant à leur capacité à tenir le rythme du business: délais d’attente trop longs, méthodologie lourde et restitution des résultats dans des rapports savamment écrits mais inutilisables sur le terrain.

La réalité que nous avons découverte durant cette enquête est bien différente. Le nombre d’interventions et de mandats de développement en GRH effectués par les hautes écoles en Suisse romande est impressionnant (plusieurs centaines en cours).

Cette richesse académique et la masse de transfert de savoirs et de technologie qui en découle chaque année répondent par contre à des logiques assez disparates. Les financements sont hybrides, le ratio entre les recherches fondamentales (sans financements privés) et les mandats facturés aux clients varient d’un institut à l’autre.

Ces différences expliquent aussi la féroce concurrence qui se joue entre les écoles. Selon plusieurs témoignages, le milieu universitaire est un vrai panier de crabes. Et les luttes de pouvoir pour obtenir des financements ou des pôles de compétences sont monnaie courante.

La différence entre les universités et les hautes écoles de gestion (HEG) est sans doute le thème qui chauffe le plus les esprits. Les universités sont considérées comme une élite académique, avec plus de projets de recherche fondamentale, plus de fonds et des meilleurs professeurs (ces derniers y sont aussi mieux rémunérés).

Les HEG revendiquent quant à elles leur proximité du terrain et leur capacité à comprendre les besoins de l’entreprise. Les positionnements sont donc différents. Nous avons décidé ici d’accorder plus de place aux HEG dans ce dossier. Nous avons aussi délimité notre enquête aux mandats et les collaborations entre entreprises et hautes écoles sur des sujets RH concrets (processus ou dispositifs de gestion).

Parfois considérés comme une concurrence déloyale face au secteur privé du conseil en ressources humaines, les hautes écoles le sont-elles vraiment? Angelo Vicario, directeur du cabinet de conseils aux entreprises Vicario Consulting SA, ne le pense pas:

«Nous travaillons plutôt main dans la main. Le milieu du consulting RH en Suisse romande est petit et nous croisons souvent des professeurs universitaires ou HEG lors d’appels d’offres. Leur valeur ajoutée est le bagage académique et la rigueur de leurs méthodes d’évaluation. Ils ont par contre parfois un ancrage dans le terrain qui est beaucoup moins fort que nous. Nous sommes confrontés aux entreprises en continu et devons réagir rapidement à leurs demandes. Il y aura donc toujours une place pour les deux approches. Notez aussi que nous venons d’engager deux consultants qui sont aussi chargés de cours au niveau académique. Le privé apprécie donc aussi les apports des chercheurs.»

Il faut relever également, et cette tendance concerne autant les milieux universitaires traditionnels que les milieux HES, que la Confédération exige de plus en plus de polyvalence et de compétences «terrain» de la part des professeurs. Ces derniers jouent donc un rôle central dans la capacité d’une académie à effectuer des mandats pour le secteur
privé/public.

C’est d’ailleurs très souvent par les professeurs qu’arrivent les affaires et grâce à eux que les pôles d’expertise se développent. On peut classer cette collaboration entreprises/hautes écoles en trois champs.

Interventions ponctuelles

Une intervention ponctuelle doit résoudre un problème précis d’une entreprise. Cela peut-être un processus RH à mettre en place, un audit à effectuer à la suite d’une crise ou d’un gros dysfonctionnement, mais aussi l’évaluation d’un processus de recrutement ou d’un plan de formation.

Ces interventions sont facturées au mandat (avec un tarif horaire ou journalier, voir ci-contre). Ces frais rémunèrent le travail accompli et permettent aussi, le cas échéant, de lancer d’autres recherches. En général, les mandats arrivent via les professeurs qui ont une expérience du terrain ou une activité annexe de consultants et via leur réseau.

Les HES sont plus actives dans ce domaine. Les universités apprécient moyennement ce type d’intervention et refusent souvent les petits mandats (assessment, recrutement à la chaîne, bilan de compétences). Ces mandats sont répétitifs et donc peu utiles du point de vue académique. Les chercheurs n’apprécient pas cette posture de consultant, qu’ils vivent comme inféodée à leur mandant.

Ils tiennent à leur liberté de recherche. Cela dit, certaines institutions ont développé de vrais pôles de compétences avec des outils performants. L’IDHEAP de Lausanne dispose par exemple d‘une longue expérience dans les politiques et l’organisation de la fonction RH. L’Université de Fribourg est reconnue pour ses audits de la culture organisationnelle ou ses évaluations de processus de recrutement.

La heig-vd a développé des compétences pointues en matière de systèmes d’appréciation des prestations du personnel ou de gestion de l’innovation. Pour la vision complète de ces pôles de compétences, voir notre carte de la Suisse romande ci-contre.

Coopérations/partenariats

Lorsque les thèmes de recherche se complexifient et ouvrent des champs d’investigation moins connus, les entreprises apprécient de s’associer à une haute école pour mener des enquêtes prospectives. Typiquement: quel sera le rôle des réseaux sociaux dans les processus de recrutement et avec quel effet sur la marque employeur sur le marché du travail dans cinq ans?

Ces sujets intéressent aussi les instituts de recherche puisqu’ils apportent des éléments inédits qui peuvent se transformer en expertise si la recherche porte ses fruits. En général, ces partenariats publics-privés sont des cofinancements. Une partie des fonds est versée par l’entreprise, voire un pool d’entreprises.

L’autre part du gâteau est apportée par la haute école, via des financements propres, nationaux ou européens. La HEC Genève a mené plusieurs partenariats de ce genre sur le changement organisationnel. HEC Lausanne l’a fait également sur le leadership et les rôles des stéréotypes en organisation.

Les HES le font couramment au travers de projets CTI (Commission de la Technologie et de l’Innovation – dont 50 pour cent du budget doit venir de l’entreprise). Il s’agit là bien de thèmes avant-gardistes qui permettent aux professeurs de publier des résultats dans les revues spécialisées. Pour les entreprises, ces recherches plus avancées – et donc plus chères – sont réservées à des sociétés de grande taille.

Masters/enquêtes

Dans le dernier wagon, on trouve tous les Master ou les travaux de fin d’études, effectués par des étudiants en formation de base ou par des personnes actives mais en formation continue. Le MASRH de Genève est très actif sur ce terrain. Ils publient près de 30 travaux de Master par année d’un très bon niveau.

Pareil pour l’IDHEAP ainsi que toutes les autres hautes écoles et universités. Les sujets sont en général beaucoup plus pointus, sur des problématiques concrètes rencontrées en entreprise. Les travaux sont également menés à une échelle plus réduite à cause du peu de moyens et de temps à disposition.

Peu et mal connus du grand public, ces travaux sont en réalité une vraie mine d’or de bonnes pratiques, d’indicateurs statistiques et d’enquêtes souvent très bien menées sur des sujets chauds de la vie en entreprise.

HR Today a déjà publié plusieurs interviews d’auteurs de Master sur le rapport entre âge et performance, le leadership ou la situation des femmes dans les postes de dirigeants en milieu universitaire notamment. Pour une entreprise, ces mandats ont l’avantage d’être relativement bon marché (il faut tout de même compter le prix de la formation) et concernent des problématiques de GRH qu’ils ne traiteraient normalement pas, faute de temps.

Les chercheurs apprécient aussi ces travaux puisqu’ils permettent d’alimenter des projets de recherche plus vastes et puisque ces travaux de Master sont d’excellents outils de prospection pour découvrir des champs de recherche encore inexplorés. 

Tarifs et financements

Confier un mandat à une université ou une haute école n’est pas gratuit. Pour éviter du dumping salarial et une concurrence déloyale avec le secteur des services aux entreprises dans le privé, des tarifs minimaux sont imposés. Le tarif horaire minimal est fixé à 160 francs.

Un professeur expérimenté demandera entre 200 et 300 francs de l’heure. Le tarif horaire d’un bon consultant du secteur privé varie entre 200 et 400 francs l’heure. A noter qu’il existe aussi une différence entre le secteur public et privé.

Le secteur public paie en général 2000 francs/jour alors que le secteur privé paie ses consultants entre 2500 entre 3000 francs jours. «Ces prix ont tendance cependant à baisser», note un consultant qui préfère rester anonyme. Ces tarifs sont uniquement valables pour des mandats de développement et des interventions ponctuelles.

Les recherches appliquées ou les partenariats répondent à d’autres logiques. Typiquement, une entreprise qui s’intéresse à un champ de recherche proposera de prendre en charge les frais d’exécution des travaux. Pour les chercheurs, l’aspect financier permet donc d’alimenter la pompe à recherche. Ils disposent aussi d’autres canaux pour lever des fonds. Le Fonds national suisse (FNS) est une source de revenu importante. Et il y a aussi des financements internes à la HES-SO ou des fonds européens. 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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