«Le professeur doit avoir un langage clair et compréhensible»
Directeur de l’hôpital neuchâtelois au moment de la grande fusion des années 2007-2009, Pascal Rubin a fait appel à un professeur de HES pour accompagner la refonte de la Fonction ressources humaines. Il revient ici sur les moments clés de cette collaboration.
Pascal Rubin. Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
Directeur général de plusieurs établissements hospitaliers, Pascal Rubin maîtrise l’art du franc-parler. Il nous reçoit dans la villa Zina sur le site du Samaritain à Vevey, une ancienne maison patricienne qui sert de bureaux pour la direction de l’hôpital de la Riviera. L’entretien dure à peine 30 minutes. Droit au but, il revient ici sur la collaboration avec la Haute école de gestion du canton de Vaud (heig-vd) lors de la création de la Fonction RH du nouvel hôpital neuchâtelois.
Comment a commencé la collaboration avec le pôle ressources humaines de la heig-vd?
Pascal Rubin: En 2007, nous étions en plein dans la fusion de plusieurs établisse- ments médicaux neuchâtelois et nous avions un problème RH assez important. Il y avait un manque de cohérence. J’avais engagé une psychologue du travail, Stéphanie Goldstein, qui m’a parlé du professeur François Gonin de la heig-vd. J’ai feuilleté son bouquin* et je me suis dis: «Ce type tient la route, il a une approche très concrète.»
Avez-vous pensé à engager un consultant du secteur privé?
Oui, au départ je me suis posé la question. Mais il y avait une notion d’urgence. Et surtout, je fonctionne au feeling. Si cela se passe bien avec quelqu’un, je ne vois pas l’utilité de demander une deuxième ou une troisième offre.
L’aspect coûts a-t-il été décisif?
Oui, un peu tout de même. L’offre était raisonnable. Cela dit, on engage pas un consultant juste à cause du prix. Après notre première rencontre, je me suis dit: «Celui-là, il ne va pas faire des phrases pour rien», je recherchais ce côté pragmatique.
Comment a démarré le mandat?
Par un mini audit. Nous avons fait le point de situation du fonctionnement RH de mon institution, qui était un peu sinistré. Il n’y avait pas vraiment de gestion RH professionnelle. En quelques mois, l’hôpital s’était transformé en une organisation de 2500 personnes. La structure RH n’était vraiment plus adaptée. Il s’agissait surtout de gestion du personnel: élaboration des contrats de travail, procédure en cas de dysfonctionnements, etc.
Le directeur RH Blaise Della Santa souhaitait être soutenu dans l’évolution de son département. François Gonin a ensuite créé des groupes de travail pour récupérer les problématiques, les unes après les autres. Il a vraiment accompagné les gens en les laissant s’exprimer. Il n’est pas arrivé avec des théories toutes faites et il a su tenir compte de la culture particulière du milieu hospitalier.
C’est-à-dire?
Le secteur hospitalier est cloisonné, avec des corporations professionnelles fortes: les médecins, le personnel soignant, l’administratif et la logistique. Il ne fallait pas sous- estimer ce cloisonnement. Le personnel est en majorité féminin et les contraintes de fonctionnement sont un peu différentes. D’un point de vue RH, avant la fusion, certains corps de métier géraient seuls leurs ressources humaines. J’ai décidé d’implémenter une politique RH pour tous les collaborateurs, sans différencier le soignant, du médecin ou d’un collaborateur administratif.
Donc mission pas facile pour François Gonin...
Non et cela n’a pas été tout seul au départ. Il y a eu plusieurs allers et retours. En général, lors d’un grand changement d’organisation, on réunit le personnel, on fixe un cadre et les gens s’alignent. En milieu hospitalier, on fixe un cadre, les gens finissent par s’aligner mais ils veulent toujours comprendre l’intérêt de la décision. Ils se demandent si le changement est vraiment nécessaire... Nous étions de surcroît dans un contexte de fusion, d’incertitudes, de suppressions d’emploi et de tensions entre les hôpitaux de la Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel. D’un jour à l’autre, les collaborateurs ont pu se comparer entre eux, les salaires notamment. Le contexte était donc très difficile. François Gonin a su rassembler les gens, leur faire confiance, ce qui lui a permis de récupérer la confiance des autres et d’obtenir leur adhésion.
Le corps médical également?
Il a peu touché le corps médical. Nous avions l’ambition d’aller plus loin, mais je suis parti entre-temps. Je ne sais pas ce qui est arrivé après mon départ.
Le résultat était-il satisfaisant?
Oui. Je voulais une structure documentaire et des procédures RH harmonisées à travers tout l’hôpital. Ce résultat, je l’ai obtenu.
Et sur le principe: un département RH gère toutes les problématiques RH de l’organisation...
Là aussi, le résultat est bon. Mais une fois qu’on avait défini l’organisation idéale avec les procédures idéales, il fallait voir si les gens collaient bien à cette organisation. Là il y a eu quelques problèmes, car on s’est rendu compte que certaines personnes n’étaient pas à leur place. Le chef du service de la division «paie et administration» a par exemple dû évoluer vers d’autres responsabilités. François Gonin a réussi à montrer que même avec les meilleures procédures, si les gens ne sont pas à leur place cela ne fonctionne pas.
Une fois le diagnostic posé, comment aller de l’avant?
Nous avons commencé par quittancer notre diagnostic et nos propositions auprès de la direction générale. Nous avons ensuite élaboré près de 25 procédures RH, avec une structure documentaire. Avant la réorganisation, la procédure en cas de suppression d’un poste de travail était différente sur chaque site. Entretien, pas d’entretien, PV pas de PV, etc... Mais on sait bien que dans ce genre de procédures difficiles et souvent émotionnelles, il peut y avoir un avocat, un recours au Tribunal administratif et on n’était pas du tout cohérent dans nos procédures.
Combien de temps a duré cette première étape?
La rédaction et la validation d’une vingtaine de procédures a nécessité 13 séances du groupe de travail ad hoc, séances qui se sont échelonnées sur 15 mois. François Gonin a ensuite mis en place un nouvel organigramme de la fonction personnel, avec une définition des responsabilités de chacun. Puis il a fallu voir si les collaborateurs en place correspondaient bien à ces cases. Nous avons dû procéder à certains changements.
Combien de temps a duré la mise en œuvre?
Je ne sais pas, car c’est là que les choses se sont gâtées pour moi et que je suis parti. Une nouvelle Conseillère d’Etat est arrivée avec qui je ne partageais pas la vision.
Vous pensez toujours avoir pris la bonne décision?
Oui.
Revenons à cette intervention de la heig-vd. Combien cela vous a-t-il coûté?
Je ne sais plus. Un coût raisonnable. La preuve: si j’ai oublié le coût, c’est qu‘il ne devait pas être très important.
Le retour sur investissement?
Il est complet. Il est même tellement complet que je vais le rappeler pour voir dans quelle mesure nous pouvons faire la même démarche.
L’intervention a-t-elle risqué de s’arrêter à un moment ou un autre?
Non, même si je sais qu’il y a eu des moments difficiles. La relation avec le DRH a dû se construire sur un climat de confiance dès le début. Cela s’est bien terminé, car le DRH a conforté sa position aujourd’hui. Nous lui avons donné un support documentaire et nous avons engagé un responsable de l’administratif qui permet au DRH de sortir de tous ces problèmes quotidiens. Je pense que la Fonction RH de l’hôpital neuchâtelois fonctionne bien; aujourd’hui, même une marge de progression est possible.
Quels apports avez-vous particulièrement appréciés de la part du professeur Gonin?
Il a imposé un rythme. C’est une question de personnalité. Il a tiré la démarche en avant. Dans les milieux hospitaliers, on a une certaine crainte de ce qu’un universitaire peut apporter comme solution concrète. Et il ne suffit pas seulement de se faire comprendre par un directeur général, le consultant va travailler à tous les niveaux. Le professeur doit avoir un langage clair et compréhensible. C’est essentiel.
* Yves Emery et François Gonin: Gérer les ressources humaines, éditions Presses polytechniques et universitaires, la troisième édition est parue en 2009.
Pascal Rubin
Docteur en physique, Pascal Rubin a dirigé l’hôpital neuchâtelois au moment de la fusion des 7 établissements médicaux du canton, décidée par le peuple neuchâtelois en juin 2005. Cette réorganisation a donné lieu à une série de tensions sur la répartition des missions entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds. Le tout dans un contexte de réduction des coûts et de fortes réactions populaires. Au centre de la tourmente, Pascal Rubin a endossé le rôle du patron à poigne qui ose prendre les décisions difficiles. Il défend une vision supra-régionale de l’hôpital, en préparant le terrain à la comparaison avec d’autres établissements hospitaliers de Suisse, situation prévue par le nouveau système de financement hospitalier introduit au niveau national. Soutenu par son conseil d’administration, il est publiquement attaqué par la Conseillère d’Etat socialiste Gisèle Ory, qui défend une autre vision, plus régionaliste et à l’écoute du mécontentement de la rue. Cette différence de vision se traduit par la nomination d’un nouveau conseil d’administration en 2009. Pascal Rubin démissionne quelques mois après. Depuis janvier 2011, il a repris la direction de l’hôpital de la Riviera à Vevey. Un établissement également en profonde mutation qui donnera notamment le jour à un nouvel hôpital à Rennaz (canton de Vaud) en 2016.