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Parmi les fabuleux outillages de développement inventés par les théoriciens du management, il en est un au statut bien particulier qui n’a pas recueilli encore toutes les faveurs éclairées de notre profession. C’est que le 360 degrés feed-back fascine et fait peur. Dans les colloques et les congrès, par delà les bla bla habituels des vendeurs de rêve, on l’évoque à mi-mot, comme s’il s’agissait d’un fils illégitime qu’il conviendrait de cacher tout en reconnaissant ses mérites. Creusons; la piste semble périlleuse, donc intéressante.
La libération du joug strictement hiérarchique
L’histoire du management se confond, sur un point, avec l’histoire de l’électricité et plus particulièrement de la semi-conduction et des diodes. Les diodes, comme le rappelle le philosophe des sciences Michel Serres, sont des dispositifs laissant passer l’électricité uniquement dans un sens. Le management, d’inspiration militaire, poursuit bel et bien le même mouvement: la donnée d’ordre s’effectue du haut vers le bas. Or le 360 degrés feed-back vient troubler ces pratiques en faisant éclater les remparts des diodes et des semi-conducteurs. Ce faisant, il renverse la perspective classique. Désormais l’information peut circuler du bas vers le haut et le chef peut bénéficier de feed-back de la part de collectifs spécifiques (généralement les subordonnés, les pairs, les supérieurs, auxquels se rajoute l’auto-évaluation). C’est ainsi que le 360 degrés est généralement perçu comme un instrument de libération hiérarchique – le jeu est davantage ouvert – et de développement personnel. Jusque-là, tout est parfait et nous sommes fascinés.
L’emprisonnement subtil et symbolique
Relisons les travaux du grand historien Michel Foucault, un auteur qui ne figure pas au programme des MBA rankés annuellement par le Financial Times. Dans un ouvrage publié en 1975, Foucault remarque que du XVIème au XIXème , un ensemble de technologies et de procédures a été mis au point pour quadriller, contrôler, mesurer, «dresser» les individus, les rendre à la fois dociles et utiles. Quelques exemples qui illustrent ce passage entre l’Ancien Régime et le XIXème siècle? La naissance des collèges (et autres internats-pensionnats-orphelinats), la construction d’hôpitaux (appelés alors Hôtel-Dieu) et d’asiles, l’organisation d’ateliers de travail, l’avènement d’une morale disciplinaire (le bien, le mal), le développement de l’Etat avec son cortège de statistiques administratives encadrantes, l’extension de la science juridique, l’essor d’examens de toute nature, etc… Dans ces efforts de corsetage du social, la naissance des prisons est à examiner de près.
L’architecture panoptique (pan en grec, tout; opticon en grec, voir)
Dès la fin du XVIIIème siècle (très exactement en 1787), le philosophe Jeremy Bentham proposa dans un ouvrage «un principe de construction destiné à maintenir sous surveillance n’importe quel individu», faisant ainsi naître la prison moderne. Il s’agissait d’un dispositif architectural très simple:
- Le bâtiment périphérique est circulaire.
- Les cellules accueillant les individus à surveiller occupent la circonférence.
- La tour de contrôle de l’inspecteur se situe au centre du dispositif. Grâce à un ingénieux et pervers système d’ouverture et d’éclairage, les prisonniers peuvent être observés à tout moment, sans jamais savoir s’ils le sont réellement ou non (sur l’illustration, la prison de la Roquette à Paris).
Est-il nécessaire de poursuivre plus avant la démonstration?
Bien sûr que le 360 degrés est le fils illégitime des noces barbares de Bentham et du management moderne faussement participatif: instrument de disciplinarisation et de normalisation, il avance à pas feutrés sous le masque du développement personnel. Personne n’en n’est dupe, mais on comprend mieux pourquoi la peur se lit sur les visages des managers lorsque l’épreuve du 360 degrés s’inscrit sur leurs agendas.
Pour aller plus loin, se référer à