Portrait

L’alliage explosif de la chaleur grecque et de l’efficacité suisse

Le jeune directeur du centre de compétences romand de Bedag Informatique SA est loué pour son leadership et son sens des relations humaines. En place depuis bientôt deux ans, Spyros Papadimitriou a réussi à remodeler son organisation avec une vision RH axée sur le service à la clientèle. Portrait d’un manager sensible.

C’est de la «dounamique!» En d’autres termes, de la douceur explosive. Directeur du centre de compétences romand de Bedag, Spyros Papadimitriou est, à seulement 34 ans, l’artisan d’une respectable croissance. Depuis 2001, le chiffre d’affaires de cette société de services informatiques du marché des administrations publiques a connu une progression annuelle de huit pour cent en Romandie. Quinze collaborateurs ont été engagés, ce qui porte le total à 135. Et sachant que Bedag est née sur les cendres de deux services informatiques étatiques (VD et BE), cette vivacité est d’autant plus remarquable. «Nous gagnons chaque année de nouvelles parts de marché», claque l’intéressé dont le discours n’a rien à envier aux rhétoriques opérationnelles des patrons du secteur privé.

Secret de cette réussite: un style de management ancré dans les relations humaines. «Spyros a une vraie fibre relationnelle. Quand il discute avec son entourage, il a le feeling pour cerner les choses importantes», relève Valentin Borin, 53 ans, directeur financier et administratif de Bedag en Suisse romande. Sur le terrain, cette sensibilité humaine s’est concrétisée par l’installation d’un management de proximité. «L’idée est de mettre à plat l’organisation. En créant un pool de managers-intermédiaires (10 postes, ndlr) entre la direction (5) et les équipes du front (120), nous avons réussi à augmenter notre capacité d’adaptation aux besoins du marché», explique Spyros Papadimitriou. «C’est un long processus qui a impliqué plusieurs membres de la direction. Et un coach externe nous a accompagné pour mettre en place la matrice. Concrètement, nous avons instauré des formations en management de proximité et un plan de promotion du networking interne. L’idée est de découvrir les talents et de les promouvoir.»

Mais l’opération est plus compliquée qu’elle en a l’air. Car donner des responsabilités de manager à des techniciens n’est pas sans risques: «On essaie de tirer les gens vers le haut. On les forme à la gestion du changement, à la gestion du temps et des conflits. La difficulté est de parvenir à leur donner les moyens de réussir dans leurs nouvelles responsabilités», confie Spyros Papadimitriou.

Du point de vue des ressources humaines, cette nouvelle organisation implique l’instauration d’une série de processus. Le développement d’un outil de portefeuille de projet est au cœur de l’ouvrage. Il permet de formaliser l’éclatement des responsabilités tout en gardant une comptabilité pointue de l’avancement des travaux (budgets et délais). La mise sur pied d’un inventaire des compétences est également indispensable: «Cela nous permet d’anticiper les besoins futurs et donc d’adapter notre offre en formation et de prévoir les nouvelles embauches. Pour faciliter la communication interne, Spyros Papadimitriou introduit des vidéos-conférences. Pour stimuler l’innovation, il développe un processus de valorisation des idées: «L’innovation vient d’en bas. Il faut donc réfléchir aux moyens d’encourager le personnel à avancer des propositions. Et l’innovation n’est pas uniquement technique. Les idées qui nous permettent d’optimiser notre travail et donc de devenir plus efficace valent de l’or», poursuit le directeur, avec pugnacité.

Ces nouveaux outils se couplent avec une nouvelle stratégie RH. «Nous avons pris une orientation service. Le souci de satisfaction du client doit être partagé à tous les échelons de l’organisation. Il s’agit donc d’être proactif. Toujours penser en termes de solutions sur mesure, de satisfaction et de facilité d’utilisation. Cet esprit «orientation service» doit descendre tout en bas de l’organisation», s’enflamme Spyros Papadimitriou.

C’est qu’il a le sang chaud. Né à Athènes en 1972, il effectue toute sa scolarité obligatoire dans un quartier populaire de la cité. Son père est ingénieur civil, sa mère architecte aux services industriels d’Athènes. Spyros Papadimitriou remercie aujourd’hui ses parents pour l’ouverture d’esprit qu’ils ont réussi à lui insuffler: «Nous voyagions beaucoup. Italie, France, Suisse, Espagne. Et à l’âge de sept ans, il m’ont poussé à apprendre l’anglais.» Des parents baba-cool? «Pas du tout. J’ai grandi dans un milieu plutôt conservateur. Un monde où travail et famille priment sur tout le reste. De ce point de vue, la Grèce est beaucoup plus traditionnelle que la Suisse.»

A 13 ans, présage d’une carrière de dirigeant, il est élu président du comité d’étudiant de son école. Il précise: «J’ai toujours aimé le côté relationnel de la revendication.» Bac en poche, il se décide pour un cheminement académique dans les systèmes d’information. Une connaissance de la famille lui parle de l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL) comme étant «une des meilleures universités d’Europe». D’où son apparition sur les bords du Léman.

De l’institution EPFL, il retient le côté multiculturel et international: «Cette ouverture sur le monde m’a beaucoup marqué.» Connue pour ses soirées de bonne chère et d’extravagance hédoniste, la communauté grecque de Genève et Lausanne intéresse peu Spyros Papadimitriou. Il profite de sa liberté d’étudiant pour élargir ses horizons.  Assistant à l’EPFL, il donne également des cours au Centre vaudois d’aide à la jeunesse (CVAJ). «J’ai accompagné des jeunes de 12 à 16 ans. Cela m’a beaucoup aidé à sentir les différentes visions possibles du monde. Et le contraste avec le train de vie de la communauté grecque était impressionnant. D’un côté, des jeunes avec beaucoup de volonté et très peu de moyens. De l’autre, beaucoup de moyens et peu de volonté», constate-t-il. Cette expérience au CVAJ et un goût prononcé pour les voyages – dont un pèlerinage en Inde – lui forgeront son côté «fibre humaine»: «Comment faire pour aider les gens? C’est une question que je me pose très souvent», poursuit-il.

De retour en Suisse, son aventure académique touche à sa fin: «Je voulais entrer dans la vie active de plein pied. Le concept pour le concept, ce n’est pas mon truc. En revanche, plus que des connaissances, l’EPFL m’a appris à structurer ma pensée.» Entré chez Natsoft (informatique), il travaille sous mandat à la Chancellerie de l’Etat de Vaud où le directeur IT, Davide Gostoli, le recrute en 1998.  «A l’époque, le canton développait une nouvelle application pour informatiser les processus de décision entre le Grand conseil et le Conseil d’Etat. Constatant des difficultés de communication entre les développeurs IT et les utilisateurs, Spyros Papadimitriou propose de créer une équipe de liaison d’une dizaine de personnes. L’idée s’insère dans la création d’un service informatique unique aux cinquante services de l’Etat de Vaud. Avec une approche client afin de maximiser la valeur ajoutée des services proposés. C’est également durant ces années qu’un projet de synergie entre les services informatiques des cantons de Vaud et de Berne voit le jour. «Malheureusement, certaines personnes ont mis les pieds au mur pour éviter cette réorganisation», confie Papadimitriou.

Voyant la restructuration des services informatiques de l’Etat de Vaud s’embourber, il préfère quitter le navire et entre comme consultant chez McKinsey. Parcourant le globe en long et en large, il avoue avoir vécu une période très stimulante intellectuellement: «C’était la mondialisation dans toute sa splendeur. Un réseau énorme, des télé-conférences entre New York, Londres, Francfort et Vevey. Vous avez tous les moyens pour réaliser les objectifs fixés. Mais je travaillais entre 70 et 80 heures par semaine. Et mon équilibre vie professionnelle/vie privée en a pris un coup. Le manque de contacts humains sur le long terme commençait à se faire sentir.» Il démissionne donc en 2001 et entre chez Bedag. Cette nouvelle société, créée la même année, est née sur les cendres des services informatiques des cantons de Vaud et Berne. Il s’agit dans les faits de l’a-boutissement (l’externalisation complète) de la restructuration lancée en interne trois ans auparavant. Engagé comme responsable du contact client, il entre une année plus tard dans la direction. Valentin Borin confie: «J’avais dit depuis longtemps à la direction de surveiller ce jeune manager. J’ai toujours su qu’il avait un potentiel énorme. Il a encore beaucoup de choses à apprendre, mais à 40 ans, il sera un sacré manager.»

Devenue une société anonyme (propriété du canton de Berne), Bedag doit désormais compter avec des concurrents. Spyros Papadimitriou analyse: «Cette nouvelle situation nous a obligés à reformuler notre vision. La nature du travail avait changé. Quelles prestations allons-nous offrir? Comment anticiper les besoins de nos clients? Il a fallu répondre à ces questions.» C’est à ce moment que les nouveaux processus cités ci-dessus commencent à être réalisés. La certification gestion de la qualité ISO 9001 suit la mouvance. Et en plus de cette réorganisation interne, Bedag intensifie les synergies entre les antennes vaudoise et bernoise de la société. Puis tout va très vite.

Fin 2005, le numéro un du centre de compétences de Bedag en Romandie rejoint la concurrence. La succession est réglée en interne. Peter Schmutz, CEO de Bedag, confie: «La première raison qui m’a convaincu de le nommer à la direction est l’excellente qualité de ses relations avec la clientèle. Pour nous, cette ouverture a été décisive. Et Spyros avait également un bon bagage technologique. Il est capable de nous amener des idées et de l’innovation. Ce sont des compétences clés.» Puis arriva la «dounamique».

Le manager express

Ce qui vous ressource? Disposer de temps sans programme.

Une corvée? L’inertie, le manque de décision.
 
Un plaisir? Concevoir et réaliser de nouvelle idées.
Un livre? Je lis assez peu de livres. En revanche, je ne peux pas vivre sans mon journal (Le Temps, ndlr).
 
 
 
Un gourou? Non, pas de gourou.
Un plat? Les pitas grecques.
Une boisson? L’eau.

Le meilleur conseil reçu? Attendre le bon moment pour entreprendre. Le timing est extrêmement important.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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