Portrait

Le contrôleur de gestion qui est passé dans le camp des RH

DRH de Romande Energie depuis trois ans, Claude Ruch a fait carrière dans la comptabilité, le contrôle de gestion et les ressources humaines de Swissair. Ses bonnes connaissances des réalités financières de l’entreprise lui ont permis de mieux argumenter ses projets ressources humaines auprès des décideurs.


Tout en finesse. Sa silhouette d’abord. Un mètre quatre-vingt-huit et pas un gramme de trop. Les traits de son visage ensuite. Délicats, doux même. Son regard en revanche est plutôt incisif. Claude Ruch, DRH du groupe Romande Energie, ne fait pas son âge. Avant de parler, il prend le temps de la réflexion. Toujours. Ses réponses sont clairvoyantes. Peut-être le seul indice qui pourrait nous convaincre qu’il a bel et bien soixante ans cette année. Président du CRQP (Cours romands pour les Questions de Personnel) depuis trois ans, Claude Ruch est une figure reconnue de la communauté RH de Suisse romande. Apprécié pour son regard sans concessions sur les aléas de la profession. Et pour son engagement de tous les instants pour corriger le tir. 

Dans son antre de Morges, siège central de la Romande Energie, il a, là aussi, secoué le cocotier. Parmi les réalisations de son équipe RH: une remise à plat du système de rémunération. Salaires variables, fixes, bonus. «Un monstre boulot», assure-t-il. L’année dernière, il a manœuvré pour bannir la fumée des locaux de l’entreprise: «On s’y est pris six mois à l’avance en collaboration avec le Cipret. Cela s’est très bien passé». Il a aussi mis au point un processus de traitement des dépendances. Adapté un nouveau concept de gestion de la relève. Et il faut encore mentionner des programmes de formations et de e-learning, peut-être son domaine de prédilection. «Tous ces projets ont pu être réalisés avec succès grâce au soutien de la direction», tient-il à préciser. A ses heures perdues, quand il ne coule pas des jours heureux en famille, il s’engage au CRQP. L’association est en pleine restructuration. «Nous allons lancer un nouveau programme dans quelques mois. Nous proposerons des modules plus courts, ciblés sur des sujets précis. C’est devenu nécessaire: les patrons d’entreprises rechignent de plus en plus à envoyer leur personnel RH à des formations qui ne sont pas parfaitement ciblées sur les besoins. Les programmes trop généralistes sont trop coûteux en temps et en argent. La nouvelle formule répondra à ces nouveaux besoins», confie-t-il.

Cette remise en question des besoins de la profession colle tout à fait à sa vision du métier. «Les ressources humaines doivent pouvoir prouver leur valeur ajoutée de manière très concrète. Sans cela, vous n’obtiendrez jamais le soutien de la direction. L’idéalisme pur n’a plus d’avenir en ressources humaines», proclame Claude Ruch. Et selon lui, la difficulté qu’ont les RH à argumenter leur retour sur investissement expliquerait le taux de rotation élevé que connaît la profession. «Il y a ceux qui parviennent à convaincre et qui restent et il y a les autres», analyse-t-il, un peu sèchement. Mais personne ne pourra lui reprocher de manquer de clairvoyance. Au contraire: les nouvelles méthodes de management RH qui nous arrivent des Etats-Unis et du Canada ne prônent-elles pas cette approche depuis longtemps? Lui-même en place depuis trois ans, a prouvé que c’était possible. 

Et cette approche très réaliste de la profession revient sans cesse dans son entourage. «Claude Ruch a un avis dans beaucoup de domaines. Et il a un background financier qui lui permet de discuter avec le même vocabulaire que les autres dirigeants de la société», observe Daniel Herrera, chef de la communication chez Romande Energie. Le compliment ressort également de la bouche de Georges Ryser, conseiller RH au CRQP: «On sent qu’il a été contrôleur de gestion durant sa carrière. Il a développé ces deux compétences et est parvenu à les maintenir en équilibre». Claude Ruch va même plus loin: «La fonction ressources humaines gagne à être un deuxième métier. Car c’est avec les connaissances acquises en dehors de la profession que l’on devient plus convaincant.» 

Compétent, rigoureux, fin connaisseur des réalités financières d’une entreprise, Claude Ruch est également perçu comme quelqu’un d’abordable: «Il est très à l’écoute et fait preuve d’une grande gentillesse», poursuit Daniel Herrera. 

L’intéressé apprécie moyennement le compliment: «Cela dépend des situations. Je peux être très dur avec les gens qui se montrent désagréables ou offensants. Je ne dirais donc pas que je suis un gentil.» Le personnage a de quoi intriguer. Derrière une discrétion de façade, on perçoit sa longue expérience du monde helvétique. 

Né à Lausanne en 1947, il effectue une scolarité plutôt moyenne. A tel point que son père, secrétaire de la Société suisse des employés de commerce, lui demande de revoir sa copie d’élève distrait au collège de Champittet, dirigé à l’époque par les chanoines du Grand Saint-Bernard. En vain. Imperturbable, le père l’envoie ensuite faire un apprentissage d’employé de commerce, et l’engage comme apprenti dans ses bureaux, histoire de le maintenir sous sa croupe. «Il était beaucoup plus sévère avec moi qu’avec les autres collaborateurs. Mais il avait un sens de l’éthique très fort», se souvient Claude Ruch. Son CFC en poche, les sirènes parentales lui conseillent d’aller apprendre l’allemand: «A l’époque, l’Allemagne était secouée par les brigades rouges et il était très difficile d'y trouver du travail. Alors j’ai postulé chez Swissair à Zurich. J’ai été engagé, sans savoir que le voyage allait durer 32 ans.» 

Il entre comme comptable et devient le petit Romand qui ne parle pas bien l’allemand. Mais le nouveau sait travailler. Et surtout, il aime les chiffres. Bien intégré dans la société, devenu en-tre-temps bilingue, il fait part à la direction de son envie d’aller travailler dans les antennes étrangères du groupe. Détail d’importance: il se marie en 1968. Trois ans après, la compagnie l’envoie à Paris. Le premier de ses trois fils y verra le jour. Les deux suivants naîtront à Londres quelques années plus tard. Puis en 1977, départ pour Rome. A chaque fois dans le service comptabilité de Swissair, «une entreprise qui faisait la fierté de la nation, comparable à l’époque à l’armée suisse et au cirque Knie», rappelle-t-il. La rotation de ses missions s’accompagne d’une rapide ascension dans la hiérarchie du groupe. A Rome, il s’occupe de la comptabilité de toute l’Afrique du Nord, puis de l'Italie. Et il parle désormais l’anglais et l’italien. 

En 1981, son chef lui propose Tel-Aviv: «Avec ma femme, nous étions mitigés. Le pays était très intéressant, mais en guerre et comme non-juif et non-israélien, l’intégration socioprofessionnelle s’annonçait difficile. J’ai refusé». Un mois plus tard, le téléphone sonne à nouveau: Bombay. «On était enchanté. Et après coup, c’est de l’Inde que nos enfants ont gardé le meilleur souvenir scolaire, malgré un changement du français à l'allemand», glisse-t-il. Nommé chef des finances pour l’Inde – un gros poste sachant que tous les vols pour l’Extrême-Orient transitaient par Bombay – il assure avoir vécu une expérience fantastique: «Nous voyagions beaucoup durant notre temps libre.» Ce sera aussi son premier contact avec le milieu des ressources humaines puisqu’il s’occupe également du personnel en Inde. Mais la roue tourne à nouveau deux ans plus tard quand on lui demande de reprendre les finances pour tout l’Extrême-Orient, un secteur qui regroupe tous les pays entre le Pakistan, la Corée, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Départ donc pour Hong Kong. Interrogé sur le secret de sa réussite professionnelle, il confie: «J’ai toujours été bien organisé ainsi qu'une ligne de conduite claire. Je me suis énormément investi dans mon travail en amenant souvent de nouvelles idées. Et ce succès s’explique peut-être aussi par mon ouverture d’esprit. Je me suis toujours intéressé aux autres secteurs de la société: marketing, vente, stratégie.» 

Mais déjà, les turbulences commencent à se faire sentir dans le groupe. En 1988, Swissair connaît sa première grosse restructuration. Son poste est supprimé. «Pour la première fois, on n’est pas venu me proposer autre chose. J’ai dû le chercher moi-même», raconte Claude Ruch. C’est son collègue Philippe Bruggisser, à l’époque chef du controlling, qui l’engage comme contrôleur de gestion à Genève: «Après 18 ans d’expatriation, le retour au pays a été très difficile. Nos amis avaient fait leur vie. Nous avons mis une année avant de retrouver notre rythme». En 1993, après cinq ans à écumer les comptes de Swissair, à repérer les économies possibles, Claude Ruch passe de l’autre côté de la barrière et devient chef du personnel pour la Suisse romande. Trois ans plus tard, le SR Groupe s’organise en centres de profits et Claude Ruch décroche le poste de chef du personnel de Swissair Ground Services. Le rythme des restructurations s’accélère. On lui confie la responsabilité RH de l'une des quatre divisions du groupe, SAirLogistics à Zurich. En août 1999, il fait le deuil de son employeur fétiche et quitte le groupe pour venir s’installer auprès de sa famille, restée dans le pays de Vaud. 

Commence alors une nouvelle vie. Après deux ans et demi comme DRH pour DHL (Suisse), il entre chez McDonald, toujours comme Directeur RH. La fin des années 1990 du géant américain du fast-food est marquée par un changement au niveau de la direction suisse et de fortes divergences sur certains sujets. Il en a donc tiré les conséquences et démissionné. En apprenant la nouvelle, ses trois fils lui rappellent un principe souvent entendu par leur paternel: Tu ne démissionneras pas avant d’avoir signé un nouveau contrat. «Evidemment, la manœuvre n’était pas très prudente, mais les circonstances m’obligeaient à partir rapidement», assume le père. Les dégâts collatéraux ne seront pas bien graves. Quelques mois plus tard, il entre chez Romande Energie (730 en équivalents temps plein). Son bureau de Morges donne sur le lac Léman. Par beau temps, il aperçoit même le Mont-Blanc. A sa gauche: une photo d’un avion Swissair.

Le DRH express

Ce qui vous ressource? Le sport et ma famille.

Une corvée RH? Licencier des gens.

Un plaisir RH? Gérer des projets RH qui ont un impact sur l'entreprise.

Un livre? My life de Bill Clinton.

Un gourou? Dave Ulrich. J'ai d'ailleurs participé à un de ses séminaires en novembre dernier.

Un plat? La saucisse à rôtir à l'ail.

Une boisson? Le champagne.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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