Portrait

"Les changements sont des crises pour les collaborateurs"

En septembre 2005, Yves-André Jeandupeux a pris la tête des ressources humaines de la Poste. Après huit mois dans ses nouvelles fonctions, il s’exprime pour HR Today sur les nombreuxy défis qui attendent son département dans la phase de mutation que traverse son entreprise.

Un ancien vélo de la Poste figure en bonne place devant la table de travail du bureau d’Yves-André Jeandupeux. Il l’a reçu de son équipe RH au moment de son entrée en fonction. On peut lire sur le porte-lettres du vélo: «Cordiale bienvenue à notre nouveau maillot jaune.»

Porter ce maillot jaune n’est pas une mince affaire, confie Yves-André Jeandupeux qui dirige 170 personnes dans son département RH — en tout, avec les collaborateurs RH des autres unités, 500 personnes sont actives dans les ressources humaines de la Poste: «En arrivant dans cette nouvelle fonction, le saut a été important pour moi et je l’avais peut-être sous-estimé. Je le dis tout à fait humblement». Il poursuit: «Il y avait plusieurs défis à relever. Je suis le seul Romand d’un «Konzernleitung» alémanique, j’ai utilisé beaucoup d’énergie à ce passage à l’allemand.» Il a aussi dû se faire une place «comme quelqu’un qui amène de la valeur ajoutée» dans la direction. Enfin, il a dû prendre ses marques: «La pression sur les coûts que nous vivons à la Poste n’est pas un phénomène spécifique. C’est le lot quotidien d’une fonction RH dans une en-treprise aujourd’hui. Mais la concurrence et une tendance européenne à la libéralisation des services rendent le rythme très rapide.» Libéralisation? «Oui, la seule inconnue, à mon avis, est de savoir à quel moment elle va intervenir.»

La Poste n’est pas n’importe quelle entreprise privée. Yves-André Jeandupeux en a eu la confirmation depuis son arrivée. L’Office fédéral de la justice vient de déclarer illégale la volonté de la Poste de transférer le transport de colis dans une SA. Le responsable RH commente au détour d’une explication sur les cadres: «Les compétences de management requises ne sont pas très éloignées de celles du privé. En revanche, le terrain sur lequel elles s’appliquent est fortement influencé par le mandat de la Confédération pour la desserte de base qui donne le droit aux politiciens de s’impliquer dans la gestion. Il faut avoir un sens du service public qui dépasse la simple acquisition de valeur financière pour entrer dans le management de la Poste.» 

Avant de prendre ce poste, Yves-André Jeandupeux, qui habite Boudry et est père de deux enfants, a étudié la psychologie avant de travailler comme chef du personnel dans des entreprises de taille moyenne et dans l’administration neuchâteloise. Il a ensuite été partenaire associé d’un cabinet de conseil en entreprises avant de rejoindre, en 2001, la société Skyguide, comme responsable RH jusqu’en août 2005. 

Alain Rossier, directeur de Skyguide, commente l’action d’Yves-André Jeandupeux: «C’est un homme persévérant et calme. Je tiens à souligner ce dernier terme. Car il fallait beaucoup de calme et une grande sagesse pour mener les négociations avec les six syndicats avec lesquels Skyguide devait négocier. Sa formation de psychologue l’a beaucoup aidé.» Elle sert encore. 

L’évolution de la Poste est en effet durement ressentie par une partie des collaborateurs: «C’est certain, analyse-t-il, le personnel vit difficilement ces changements et — n’en déplaise à certains de mes collègues consultants — il n’est pas possible de les vivre dans le bonheur. Un changement, c’est difficile: on touche aux éléments de sécurité, aux émotions. Les collaborateurs ont souvent peur et ils sont parfois en co-lère. Le changement exige un processus de transformation personnelle. Notre rôle est de le favoriser. Nous devons permettre aux gens de revenir le plus rapidement possible dans un état de confort.»

Les RH doivent aussi exercer un rôle de monitoring: «Les changements sont générés par des besoins business. Les RH doivent maintenir un certain cadre de normes définies dans le changement.» Concrètement, ces normes reposent sur un plan social et un accompagnement efficace des collaborateurs: «Nous devons annoncer suffisamment tôt aux personnes concernées qu’elles vont perdre leur emploi et proposer un programme d’accompagnement et de replacement interne ou externe.»

Le travail du département RH commence en amont. «S’assurer que les collaborateurs gardent toujours une capacité à retrouver du travail est l’un des premiers rôles des RH. C’est une responsabilité. Elle passe par la formation continue, par les bilans professionnels, par le coaching individuel, mais aussi — tous les acteurs doivent s’impliquer — par une capacité des collaborateurs à utiliser sur la place de travail les opportunités de développer leurs compétences.»

Il ne faut pas peindre le diable sur la muraille, précise Yves-André Jeandupeux. Le personnel de la Poste est en diminution, mais pas autant que le ressentent les Suisses. «On réduit effectivement les unités de personnel, mais on licencie peu pour motif économique. Les effectifs de la maison-mère qui recouvre les activités classiques sont clairement en diminution, en raison de la concurrence. Parallèlement, la Poste se développe et achète de nouvelles sociétés, elles sont plus de cinquante en Suisse et à l’étranger.» 

Très proche de la population, la Poste est parfois soumise à la vindicte de celle-ci. Et pour le responsable RH, le travail sur l’image est extrêmement important. «La Poste est très fortement ancrée régionalement avec ces quelque 2500 offices. Si nos collaborateurs perdent leur identification à l’entreprise, ils génèrent une mauvaise image. Nous avons intérêt à nous fonder sur des valeurs RH fortes qui respectent les collaborateurs». Lesquelles? «J’en citerai trois: nous devons être un employeur responsable, avoir des règles strictes de communication qui permettent aux collaborateurs d’être les premiers informés et, enfin, traiter les dossiers avec rapidité et qualité. Nous devons avoir des rapports transparents et respectueux.»

Yves-André Jeandupeux fait effectivement preuve de transparence pendant l’interview, il répond très concrètement, sans se cacher dans des discours et en n’escamotant pas les questions. Andreas Guler, le responsable de la communication RH de la Poste y voit l’une des grandes qualités de son supérieur direct: «Il a vraiment une communication ouverte et transparente. Pour notre travail, c’est optimal. Il se laisse aussi le temps d’écouter et de comprendre avant de décider. Il incite enfin ses collaborateurs à prendre leurs responsabilités en pensant par eux-mêmes.» Thierry Gonzalez, responsable des ressources humaines de l’Etat de Neuchâtel, a côtoyé Yves-André Jeandupeux quand il était encore à l’Etat de Neuchâtel: il remarque les mêmes capacités d’écoute et de négociation en plus de la convivialité de l’homme. 

Le présent et les grands défis? Yves-André  Jeandupeux se concentre sur plusieurs projets donc l’un consiste dans la refonte complète de  l’organisation RH dans la Poste: améliorer le déroulement du business, économies d’échelles, pool, chaîne de communication interne… «Nous repartons de la vision, des orientations stratégiques, des objectifs du Conseil fédéral et nous organisons les RH sur cette base», explique Yves-André Jeandupeux. En partie aussi pour intégrer, deuxième gros dossier, les sociétés étrangères acquises par la Poste. Le dernier grand chantier tient dans un renforcement de la caisse de pension.

Portrait express

Ce qui vous ressource? La musique. 

Un bon DRH? Quelqu’un d’ouvert, qui écoute, qui aime le challenge et qui sait parfois jouer le bouffon du roi. 

Une corvée du DRH? Un licenciement pour motif économique.

Un plaisir du DRH? Résoudre le problème de quelqu’un. 

Un livre RH? Actuellement, Energiekompetenz de Verena Steiner.

Un gourou? Hervé Sarieyx qui a dit: «On ne peut pas motiver les collaborateurs, on peut créer les conditions pour qu’ils se motivent eux-mêmes.»

Un plat? Cuisine italienne et asiatique. 

Une boisson? Le vin rouge.

 

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