Le sang chaud qui est monté à la tête du personnel de l’OMC
Directeur des ressources humaines à l’Organisation mondiale du commerce depuis une année, le Cubain Miguel Figuerola incarne la nouvelle mission des ressources humaines au XXIe siècle: être un partenaire stratégique de la direction. Depuis son arrivée, il a engagé une réorganisation complète du département RH.
L’emploi du temps surchargé et le flegme des Caraïbes. Miguel Figuerola, directeur des ressources humaines à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis une année, est un homme pressé au sang chaud. «J’ai une heure à vous consacrer. Une heure à me détendre en votre compagnie», amorce-t-il en distribuant les cafés. Ange gardien des 800 collaborateurs de l’OMC, ce Cubain de 44 ans dégage une impression de tranquillité qui contraste avec les paquets de dossiers empilés sur son bureau. Accueil chaleureux donc. Car pour Miguel Figuerola, obtenir la confiance de ses interlocuteurs est sans doute son meilleur atout. «Je préfère donner des responsabilités et partager l’information avec mon équipe que de les utiliser pour mieux commander», résume-t-il dans un anglais légèrement pimenté par son accent espagnol.
Arrivé à Genève en août 2004, il découvre un département des ressources humaines obsolète. Les traces de plusieurs décennies de gestion trop administrative. «J’ai commencé par lancer un audit interne dans ma division (l’équipe RH compte 19 employés, ndlr). Il fallait recentrer les missions et redistribuer les cartes. Ensuite, j’ai conduit moi-même les réorganisations nécessaires», explique Miguel Figuerola, qui démontre par-là que déléguer ne rime pas forcément avec «perte de pouvoir». Certains postes sont remodelés et d’autres sont créés. Le secteur «recrutement et administration» est scindé en deux. Et il confie à sa responsable de nouvelles tâches. «Il a vu chez chacun de nous ce que nous faisons de mieux. Responsable du recrutement et de l’administration, je me suis vue confier le service relatif aux politiques et à la gestion des carrières», explique Pascale Goye qui ne tarit pas d’éloges pour son nouveau chef. «Excellent communicateur, il délègue beaucoup. C’est le champion de l’empowerment», poursuit-elle.
Le rafraîchissement de l’organigramme conduit par Miguel Figuerola répond également à d’autres objectifs. Car l’homme est un vision-naire. «Je vois le département des ressources humaines comme un partenaire des différents bureaux qui composent l’OMC». Et quand Pascal Lamy accède au sommet de l’organisation en septembre 2005, une de ses premières décisions est d’intégrer les ressources humaines à son bureau de directeur général, confortant du coup la vision de son chef du personnel. «J’ai une séance avec Pascal Lamy une fois par mois. Pour lui, il n’a aucun doute que son personnel lui permettra d’atteindre les objectifs fixés. Nous sommes de vrais partenaires», assure Miguel Figuerola qui ne manque pas une occasion pour dorer le blason de son nouveau patron.
Exemple concret de ce nouveau rôle des RH dans l’organisation: Miguel Figuerola est directement impliqué dans un processus planification des successions. Une étape majeure que devra traverser l’organisation dans quelques années. «Nous essayons d’être pro-actif par rapport à cette planification et non plus seulement réactif. Cela implique du «talent management», la col-lecte de données et tout un travail préparatoire à cette planification des successions qui ne se faisaient pas du tout sous l’ancien régime», détaille Miguel Figuerola.
Dans une organisation internationale comme l’OMC, le monde tourne un peu différemment. «Contrairement au secteur privé, nous n’avons aucun compte à rendre à nos actionnaires. Nous sommes au service des 148 pays membres de l’organisation». Le risque de la bureaucratisation plane donc en permanence au-dessus de la structure. Pour lutter contre ce danger, Miguel Figuerola a opté pour une stratégie de mobilité. «Avec des collaborateurs très bien formés qui occupent le même poste depuis des dizaines d’années, ce n’est pas facile d’introduire le changement. Nous y gagnerons en efficacité. Je veux insuffler plus de motivation et maintenir la flamme allumée», s’enthousiasme-t-il, avec l’œil pétillant du chef qui vient d’accéder à une nouvelle fonction. Et selon Keith Rockwell, porte-parole de l’OMC, en une année Miguel Figuerola «a travaillé dur pour obtenir un plus gros budget pour la formation. Cela afin d’améliorer les performances de son staff et élargir leurs horizons».
Mais le chemin à parcourir est encore long. Et on ne change pas du jour au lendemain un mammouth de 800 employés. Concrètement, le sommet de Hong Kong de décembre s’annonce comme un tournant décisif pour Miguel Figuerola et son équipe. Le rôle principal de l’OMC étant de fournir un cadre de négociation aux pays membres, ils n’ont que peu d’influence sur le résultat des pourparlers, précise Miguel Figuerola. Qui tente ainsi de changer la perception de «grand méchant loup» qui colle à la peau de l’OMC. «Nous avons un sérieux problème d’image. Il faudra bien le résoudre un jour», poursuit-il. En attendant, lui et ses collaborateurs – qui sont en majorité des juristes et des économistes – se concentrent sur leur mission. «Nous sommes là pour permettre à tous les pays membres d’accéder à la table des discussions avec les mêmes moyens. Mais une fois à table, les règles du jeu de la négociation prennent le relais. Et nous n’y pouvons rien si le poids de certains pays comptent plus que d’autres».
Des dizaines de nationalités mais une seule langue: l’anglais. Voilà le décor RH d’une organisation internationale. Et Miguel Figuerola se fond à merveille dans le paysage. Né à Cuba en 1961, il a grandi entre Hong Kong, la Hongrie et l’Australie. Issu d’une famille de diplomates de carrière, Miguel Figuerola décroche un diplôme en management des systèmes organisationnels à Cuba en 1984. Interrogé sur ses rapports avec l’hermétique régime cubain de son enfance, il préfère évoquer sa famille restée dans son pays natal. Il épouse une Cubano-canadienne avec qui il aura deux enfants. Sa fille aînée vit actuellement au Canada, le pays de sa dernière mission avant son transfert à l’OMC de Genève. «Cela fait partie des désavantages d’une carrière dans les organisations internationales, vivre une vie de famille est difficile».
Ses études terminées, il se lance dans l’indus-trie pharmaceutique – sa seule expérience dans le secteur privé. Mais rapidement, il opte pour une carrière dans les organisations internationales. En 1991, au sein de l’UNDP (le programme de développement des Nations Unies) il travaille sur le terrain en Guyane britannique, puis au Nigeria. A chaque fois il s’intéresse à la gestion du personnel. Il intègre ensuite la Haute commission des Nations Unies en matière de réfugiés. Le jeune directeur RH y effectue deux missions en Zambie puis au Guatemala. Ces expériences sur le terrain lui ont permis d’acquérir son intelligence émotionnelle. Et de faire de lui un fin connaisseur des difficultés des pays en développement. Un savoir qu’il compte bien mettre au service de l’OMC. Cet ancien humanitaire serait donc passé dans le camp des justiciers? «Vous savez, les lanceurs de pavés divisent le monde entre bons et méchants. Mais la réalité est bien différente», soupire-t-il en guise de conclusion.
Le RH express
Ce qui fait un bon DRH? Sa capacité à communiquer et à comprendre les autres.
Un livre RH? Thriving on Chaos de Tom Peters.
Ce qui vous motive? La vie, les gens, la famille.
Ce qui vous énerve? La malhonnêteté.
Ce qui vous ressource? Voyager à travers ce beau pays qu’est la Suisse.
Etes-vous ambitieux? J’aspire à l’excellence, à être un meilleur être humain, un meilleur père, un meilleur époux.
Une musique? Queen.
Un plat? La chasse.
Une boisson? Le vin rouge.