Portrait

Le stratège RH qui stimule le centre de recherche Nestlé

En place depuis à peine six mois, Jérôme Dano est en train de revoir le fonctionnement des équipes du Centre de recherche Nestlé, à Vers-chez-les-Blanc. Après un début de carrière en France, il se fait un nom chez le géant de Vevey grâce à ses qualités de stratège. Rencontre avec un DRH efficace et passionné.

Un doux mélange de gentillesse et d’efficacité. Derrière des airs d’enfant de chœur, Jérôme Dano est un homme passionné d’organisation et de stratégie RH. A seulement 36 ans, ce Breton pure souche est le responsable des ressources humaines du prestigieux Centre de recherche de Nestlé (CRN), à Vers-chez-les-Blanc. Sa mission: adapter la structure des ressources humaines du CRN aux demandes du marché de l’alimentation. Un défi de taille, sachant que dix pour cent des 650 employés du centre sont remplacés chaque année. Retour sur un parcours en flèche.

Un tableau lumineux accroché au hall d’entrée du CRN attire l’œil du visiteur sur cette citation de Louis Pasteur: «La connaissance appartient à l’humanité». Un centre de recherche scientifique au service de tous? «Evidemment, nous ne sommes pas des enfants de chœur, nous attendons des retours sur nos investissements», sourit Jérôme Dano. «Mais Nestlé attache une très grande importance au sérieux et à son prestige scientifique. Nous voulons être autant un pôle de connaissance respecté et reconnu, qu’une entreprise qui développe de nouveaux produits». Pour suivre la demande du marché, le centre lance chaque année des dizaines de projets de recherche. «Cela explique notre turn-over élevé. Les projets durent en général deux ans, puis il faut se réorienter», explique-t-il avant de nous guider au premier sous-sol dans «le couloir des ressources humaines».

L’endroit, choisi pour sa discrétion, est occupé par une petite dizaine de collaborateurs. «Notre rôle en tant que RH est de donner à la direction les moyens d’accomplir sa stratégie», explique Jérôme Dano. Concrétement, l’objectif est d’accélérer le rendu des projets de chaque groupe de compétences scientifiques, pour suivre la demande du marché. Les groupes de recherches étant déjà performants, Jérôme Dano décide de stimuler la gestions des projets. Avec son équipe RH et les schientifiques concernés, il redéfinit les fonctions de chacun. Puis propose des plans de formation en conséquence. «C’est un processus complexe. Renouveler des fonctions provoque des incohérences. Mon rôle est justement de les éviter. Je me demande sans arrêt où va l’organisation. J’essaie d’avoir mon senti», confie Jérôme Dano.

Sur les 650 employés du CRN, 300 sont des scientifiques. «J’ai pris du temps à m’adapter au milieu. Ce sont des gens doués d’une intelligence supérieure à la moyenne. Au début, je ne comprenais souvent pas ce qu’ils essayaient de me dire», sourit-il. Et comment se passe la cohabitation avec ces ego parfois surdimentionnés? «J’ai appris à les apprécier pour leur qualité intellectuelle. Vous savez, parfois nous devons choisir quelqu’un parmi un très petit nombre de candidats. Dans certains domaines très pointus, cela arrive même qu’il n’y en ait qu’un seul. Alors vous comprenez, si je ne le trouve pas très fort au point de vue des relations sociales, j’évite de le dire. Dans ces cas-là, mon rôle sera plutôt d’évaluer les risques.» Patron du CRN, Peter Van Bladeren a choisi Jérôme Dano pour son ouverture d’esprit. «Et c’est un garçon qui a du caractère», ajoute-t-il, le sourire en coin.

Car en plus de ce chaudron bouillonnant de matière grise, Jérôme Dano doit compter avec une cinquantaine de nationalités. «Pour une multinationale qui fait beaucoup de recherche, travailler dans la diversité est une évidence», explique-t-il. Autour de la machine à café, on le surprend en train d’échanger quelques mots d’anglais avec un chercheur Indien. La langue de Shakespeare serait-elle devenue monnaie courante dans le centre? «C’est vrai, l’anglais est une langue de référence ici. Mais pour réussir une intégration, nous poussons les employés étrangers à apprendre le français. Et la langue ne suffit pas. Je viens de lancer par exemple un programme de communication. Il faut que chacun prenne le temps d’aller à la rencontre de l’autre», détaille Jérôme Dano qui parle couramment l’anglais et l’allemand.

Mais le stratège, lui-aussi, est un étranger en Helvétie. Originaire de Bretagne, il passe son enfance au bord de l’océan. Un père électricien et une mère postière, il grandit avec un frère qui travaille aujourd’hui pour une société pétrolière française. Après son bac, Jérôme Dano entre à l’université de Rennes, en faculté d’économie. «C’est le côté multidisciplinaire qui m’attirait», répond-il, tout en avouant avoir été peu studieux durant ces «belles années». Mais rapidement, il veut voir autre chose. A 23 ans, après une année d’études à Augsburg en Allemagne, il s’installe à Paris, pour y décrocher un diplôme à l’Ecole Supérieure de Commerce. Titre de son master: «Management des hommes et des organisations». Il vient d’avaler l’hameçon des ressources humaines. Elles ne le lâcheront plus.

Commence alors une carrière fulgurante. Après une année de consultant et son service militaire, il décide de quitter sa patrie. «Mon objectif a toujours été de partir à l’étranger. C’est peut-être à cause de mon origine bretonne. Et mon arrière-grand-père était «Cap Hornien», glisse-t-il, l’œil malicieux. Sa première escale sera le Luxembourg. A 29 ans, il y devient assistant de direction RH d’une société active dans l’industrie des matières plastiques. «Le défi était d’adapter l’organisation RH de l’entreprise à sa nouvelle stratégie». Un travaille qui le passionne et où il se sent bien: «Je suis un généraliste. Ce que j’aime dans mon activité, c’est passer d’un aspect juridique à un entretien d’embauche pour finir avec une réflexion stratégique».

Deux ans et demi plus tard, il postule chez Nestlé France, avec toujours la même ambition de quitter son pays. Après à peine six mois à un poste de recrutement, les portes de la hiérarchie s’ouvrent déjà devant lui. La firme lui propose de reprendre la direction RH d’une usine Maggi à Itancourt (dans l’Aisne). A 29 ans, le voilà responsable des ressources humaines de plus de 400 personnes. «Le travail me passionnait mais je n’ai pas beaucoup aimé le Nord de la France», note celui qui avoue apprécier particulièrement le cadre de vie de son domicile de Lutry. 

Alors que son rêve de partir à l’étranger commence à s’effriter, son patron l’appelle un soir pour lui proposer un poste au siège social de Vevey. «Je ne savais pas très bien de quoi il s’agissait. Mais je me suis dit: il faut saisir cette chance et je suis parti.» Au bord du lac Léman, sa mission consiste à mettre à niveau toutes les pratiques RH des filières de Nestlé à travers le monde. «Ce fut un travail gigantesque que nous avons entrepris en équipe. Imaginez des mots simples comme «effectif». Eh bien, ils n’ont pas du tout le même sens suivant le pays dans lequel vous travaillez», explique-t-il. Pour y arriver, des représentants RH de nationalités diverses se retrouvent à Vevey pour accorder leurs violons. Jérôme Dano se voit rapidement confier l’équipe en charge de l’organisation du management. «Ce fut une expérience très dure. Mais cette problématique a toujours été mon dada. J’aime avec passion cette tâche qui consiste à créer des ponts entre les différents secteurs d’une entreprise. Accorder la recherche scientifique avec le commercial, par exemple.»

Son mandat terminé, il décide de retourner sur le terrain. On lui propose alors de reprendre la direction RH de l’usine Nespresso à Orbe. «J’ai commencé par refuser. Ce n’était qu’une usine de quarante personnes. Je pensais que j’allais casser ma carrière», se souvient Jérôme Dano. Mais le directeur d’alors, Stefan Nilsson, insiste. Autour d’une bière dans un bar de Vevey, il lui parle du projet d’usine ultra-moderne pour lequel Nestlé est prêt à investir beaucoup d’argent. «Jérôme a beaucoup de volonté et c’est un excellent leader. Non seulement il accepte le changement, mais il le provoque et l’encourage», relève Stefan Nilsson. «J’ai accepté. D’autant plus que ma femme allait accoucher. Et je me voyais mal lui annoncer un départ pour les Etats-Unis ou l’Asie», se souvient, de son côté, Jérôme Dano. En deux ans, il forme, et intègre dans l’usine, 70 nouveaux employés. «J’ai choisi un système dit de «boule de neige». En misant sur une série de petites équipes qui se sont agrandies elles-mêmes avec le temps.» Ce pari gagné, on lui propose la direction des ressources humaines au CRN de Vers-chez-les-Blanc.

Pour terminer l’entretien, Jérôme Dano nous emmène d’un pas décidé à la cafétéria cossue du CRN. Au menu: saucisse à rôtir et légumes. «La preuve que Nestlé sait également apprécier les produits du terroir», sourit celui dont le fond de l’assiette peine à voir le jour. C’est que le stratège est également un grand bavard. «C’est vrai, je suis plutôt quelqu’un d’extraverti. Je fais mes opinions en discutant», concède-t-il. Et à part la parole, les qualités d’un bon DRH? «L’écoute, la capacité d’adaptation, une certaine liberté d’esprit et un esprit positif bien développé, énumère-t-il. Le métier a un côté ingrat. Sans l’optimisme, vous ne tenez pas la rampe.» Et quand le serveur vient proposer les cafés, sa réponse est toute faite: un Nespresso pardi!

Le RH express

Estimez-vous être un bon DRH? (Rires.) Après six mois, c'est encore trop tôt pour le dire.

Ce qui vous stimule dans les RH? En agissant avec les collaborateurs et les organisations, contribuer au changement pour réaliser une stratégie.

Ce qui vous donne le blues? La mauvaise volonté et le cynisme.

Ce qui vous ressource? Cela dépend des périodes. En ce moment, c'est clairement ma famille.

Etes-vous ambitieux? Si ambitieux veux dire sans cesse à la recherche d'un meilleur poste, alors non. Mais si cela signifie avoir envie de réussir des défis auxquels je crois très fort, alors oui, je le suis. C'est une réponse de Normand, ça.

Un livre RH? "Des hommes à gérer", de Bernard Galambaud. C'est un bon collectif sur le management et les aspects humains et organisationnels.

Un gourou RH? Non, je ne crois pas aux gourous.

 

Une corvée RH? Le effectifs.

Et à quel animal ressemblez-vous? Au bonobo (un singe, réd.).

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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