"A la maison, nous sommes tous et toujours en formation"
Le 1er décembre 2005, Ursula Renold était confirmée, après en avoir assuré l’intérim, dans son poste de directrice de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT). Rencontre à Berne pour faire le point sur ses visions de l’apprentissage et de la formation continue.
En reprenant la direction de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), Ursula Renold va devoir s’attaquer, de front, à plusieurs défis. Dans le domaine des Hautes écoles spécialisées (voir l’encadré), mais aussi dans celui des places d’apprentissage, de la formation continue et de l’innovation. Née en 1961, elle a étudié l’histoire, l’économie politique et la sociologie. En 1995, elle prenait la direction du service des Ressources humaines de la «Frey Akademie» de Zurich. Elle est entrée en 2000 au service de l’OFFT comme directrice de l’Institut suisse de pédagogie pour la formation professionnelle puis, dès 2001, est devenue directrice suppléante de l’OFFT. Pour HR Today, elle a accepté de dévoiler les grandes li-gnes de sa mission.
La crise de l’apprentissage en Suisse fait la une des journaux. Ursula Renold tient à la nuancer: «Il y a bien sûr une tension sur le marché de l’apprentissage. Chaque année, 5 ou 6% des jeunes ne trouvent pas de place. C’est une crise pour ceux qui, à 15 ou 16 ans, ne peuvent pas commencer de formation. Mais 94% des jeunes trouvent une place d’apprentissage ou se préparent à la formation professionnelle dans des offres transitoires. En comparaison internationale, le chômage des jeunes Suisses est le plus bas de tous les pays de l’OCDE. Du point de vue de l’économie nationale, la situation est donc assez bonne. Mais il est certain que pour des jeunes de cet âge, la situation peut devenir grave très vite. Nous devons pouvoir les intégrer.»
L’OFFT s’engage à peser de tout son poids pour améliorer la situation, explique Ursula Renold: «Le nombre de jeunes va augmenter dans les années 2006-2007 et nous devons chercher des solutions avec nos partenaires pour une augmentation du nombre de places d’apprentissage.»
Comment convaincre les entreprises? «Le principal argument est une étude qui montre que les bénéfices produits par un apprenti sont plus hauts que les coûts.» Il reste à le faire savoir, reconnaît Ursula Renold: «Si un apprenti est bien placé dans l’entreprise, il travaille comme un autre collaborateur.»
Elle parle en connaissance de cause puisque l’OFFT emploie 12 apprentis: «Lorsqu’ils ne sont pas là, nous le ressentons. C’est la meilleure preuve de leur importance. Il est essentiel de bien percevoir que ce sont des collaboratrices et des collaborateurs, et non pas des élèves. Si on leur en donne la possibilité, ils deviennent de plus en plus utiles au fil de leur formation. C’est dans cette langue que je parle aux responsables des ressources humaines. Investir dans la formation est utile à l’entreprise et non seulement à l’avenir des jeunes.»
La directrice de l’OFFT sait que toutes les entreprises ne peuvent pas engager d’apprenti. Certaines n’ont pas de travail à leur donner, à l’image d’une partie des entreprises high-tech. Mais dans beaucoup des PME, des places pourraient être ouvertes: «Souvent, les petites entreprises manquent de place, de travail ou de personnel pour former seules un apprenti. Nous leur conseillons de se mettre en réseau. Plusieurs en-treprises s’associent pour former un apprenti. Une des entreprises guide la formation, organise et administre. C’est important pour les autres entreprises du réseau qui évitent la charge administrative liée à l’apprenti. Cette innovation n’a que des avantages: l’apprenant fait la connais-sance de plusieurs cultures d’entreprise.»
Cette solution en réseau peut résoudre certains problèmes du marché de l’apprentissage: «Dans des branches «volatiles» comme l’informatique, le réseau permet à l’apprenti de poursuivre sa formation même en cas de faillite de l’entreprise.» Cette solution pourrait aussi participer à l’amélioration d’un problème structurel: «70% des jeunes font leur apprentissage dans le secondaire 2, alors que chez les adultes, c’est exactement le contraire, 70% travaillent dans les services. Pour gagner des entreprises formatrices dans les services, nous voulons promouvoir aussi ces réseaux de formation.»
La formation professionnelle ne doit pas s’arrêter après l’apprentissage. Ursula Renold en est convaincue. Mais comment convaincre les responsables des ressources humaines? Elle reconnaît qu’il n’existe pas encore d’étude disponible pour montrer le bénéfice de cet effort pour les entreprises: «Pourtant, explique-t-elle, par similitude avec la formation de base, on peut estimer que si quelqu’un est bien formé à son poste, la productivité augmente. C’est une des thèses que l’on aimerait prouver dans une étude en cours.» Elle poursuit en affirmant une autre conviction: «Avec la globalisation et les changements extrêmement rapides du marché du travail, sans formation continue, les entreprises prendront du retard.»
Aujourd’hui, continue-t-elle, la situation de la formation continue supérieure est bonne avec quelque 35000 attestations de diplômes ou brevets par année délivrées dans le pays. «Dans la formation continue en général, en revanche, la Suisse est assez faible avec seulement 40% de la population qui suit une formation dans l’année, ne serait-ce qu’un ou deux jours». Ce taux qui n’est pas assez haut, «car, à titre individuel, si vous ne faites pas de formation continue, vous régressez». Ursula Renold constate encore que dans la formation continue supérieure, les femmes sont sous représentées. Elle ne s’en accommode pas.
Dans sa carrière, reconnaît-elle, elle n’a pas eu à souffrir de l’inégalité hommes-femmes dans le marché du travail, sinon de manière anecdotique. Elle connaît bien le problème: sa thèse de doctorat en histoire portait sur l’émergence de la question de la formation professionnelle pour les femmes en Suisse entre 1860 et 1930. «Depuis, la femme peut théoriquement pratiquer toutes les professions, mais, pratiquement, les préjugés sont encore présents.» Elle parle de l’informatique: «Il y a une particularité typiquement suisse dans ce domaine – et c’est une jeune profession où les préjugés n’ont pas une source historique; en Suisse, dans l’informatique, les femmes sont incroyablement minoritaires. Ça doit changer.» Tout comme doit changer la ségrégation verticale de l’économie suisse.
Contre les quotas, elle se réjouirait que son accession à la direction de l’OFFT puisse servir de modèle: «Pour les jeunes femmes, il est important d’être motivées par des femmes plus mûres à prendre l’initiative et des responsabilités. Si je peux y contribuer, je serai contente, car le potentiel des femmes n’est pas encore intégré dans les entreprises suisses.»
Elle est aux premières loges pour analyser la situation: ses deux filles viennent de commencer une formation. L’une d’entre elles a choisi la voie commerciale, la deuxième a décidé d’entreprendre un apprentissage de menuiserie. «Elle s’est heurtée à certains préjugés en cherchant une place, mais maintenant, elle est acceptée et très contente dans son travail.»