"L'enjeu est d’aider les salariés à rebondir, à réagir aux chocs"
La Lyonnaise Sylvie Roussillon travaille pour accompagner les dirigeants qui veulent allier la performance économique à long terme et la qualité du travail de leurs équipes. Son secret passe notamment par un bon équilibre de vie. Pour HR Today, elle explique cette «utopie motrice» et parle du livre qu’elle vient de publier.
Spécialiste de développement personnel, Sylvie Roussillon essaie d’aider les cadres à se situer dans un monde des affaires en évolution rapide. Elle préconise un équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Quand elle parle des cadres en perte de vitesse, elle montre que la résilience devant les épreuves de la vie est le seul moyen de se relever.
A cette professeure qui regrette de n’avoir pas créé une entreprise, on doit de nombreuses publications et un livre, rédigé avec la collaboration de plusieurs auteurs, (Pourquoi j’irais travailler, éditions d’organisation, 2003). Pas un brûlot mais un ouvrage qui témoigne d’une grande maîtrise du sujet. Elle y raconte la vie tumultueuse des cadres confrontés aux angoisses de la restructuration. Sa panacée: se donner les moyens de rebondir et tisser un réseau de relations solide, véritable fer de lance.
HR Today: Parlez-nous de votre livre.
Sylvie Roussillon: Les auteurs ont choisi un titre accrocheur. L’ouvrage se veut positif. Il veut aider les personnes à mieux comprendre le quotidien au travail et à réagir astucieusement. C’est un titre de pays riche. Il suppose que l’on a le choix entre travailler et ne pas travailler... ce qui n’est pas le cas de la majorité. Les conditions du travail ont bien changé. Elles ne mettent pas à l’abri des aléas de carrière, ne permettent plus d’assurer un avenir économique sûr. L’entreprise joue maintenant un autre rôle: l’enjeu est d’aider les salariés à rebondir, à réagir aux chocs, non seulement par la connaissance d’eux-mêmes et l’analyse de leur position sur le marché externe, mais par leur capacité d’animer des réseaux. C’est la résilience, chère à l’écrivain Boris Cerulnik. L’entreprise devrait la pratiquer aussi, en proposant des formations, des bilans personnels. Cette nouvelle orientation est en train de se mettre lentement en place.
Vous n’évoquez jamais le droit du travail dans ce livre. Est-ce intentionnel? Vous préférez le terme de pacte de management. Pourquoi?
Pour les auteurs, ce n’est pas un évitement. On a vraiment le sentiment d’une rupture par rapport à la notion de contrat de travail telle qu’elle existe dans le droit actuel. De plus en plus souvent, les équipes réelles de travail ne relèvent pas du même droit du travail. Prenez le cas d’une entreprise suisse qui a des établissements en France, en Chine, voire encore ailleurs. L’organisation du travail devient alors transversale. Les Suisses relèveront du droit du travail suisse, les Français du droit du travail en France et ainsi de suite. Il n’y a plus cette construction d’une unité d’appartenance à l’entreprise avec un même droit du travail. On est dans un vide juridique. Se pose alors la question d’un droit du travail européen, de l’entreprise européenne, mais l’Europe me paraît trop étroite pour permettre cette construction. Il y a une autre raison. Dans l’organisation actuelle du système productif, il n’existe plus d’entreprise autarcique mais une entreprise recentrée sur ses compétences clé et qui ne peut arriver aux produits ou aux services qu’elle fournit que grâce à la contribution d’autres entreprises, on parle «d’entreprise étendue». Les équipes qui travaillent pour un même projet ne dépendant jamais des mêmes conventions collectives et du même contrat de travail.
Si nous comprenons bien, il faudrait réclamer à grands cris la création d’une Europe juridique...
Exactement ou tout au moins une Europe sociale qui se fonde sur des mêmes principes. On peut citer d’autres vides juridiques à ce niveau. La protection sociale est très lacunaire, non pas pour les contrats à long terme, mais pour d’autres formes de travail qui se développent. Le vacataire par exemple, rétribué uniquement pour les heures qu’il accomplit. On le paie lorsque l’on a du travail à lui proposer. Quand on ne peut rien lui donner, on ne le rétribue pas. C’est le grand problème de la protection du travail atypique.
Le travail au 21e siècle, comment le voyez-vous? Votre compatriote Jean Boissonat, ancien commissionnaire au Plan dans «Le travail dans vingt ans» (réd.: Odile Jacob) pressent le scénario suivant: On sera alternativement en emploi-formation, en congé maternité. On travaillera à temps complet ou partiel, on fera des voyages. Tout cela sans rien perdre la couverture sociale. Qu’en dites-vous?
J’adhère dans l’ensemble totalement à cette nouvelle forme de travail. Il y aura effectivement des modalités plus variées de rapport au travail pour satisfaire à ses besoins. C’est génial car cela permet de construire un projet original. En ce qui concerne le maintien de la couverture sociale, je crains qu’elle ne soit pas vraiment homogène et donc douloureuse pour certains. L’idée d’activités alternées me paraît très intéressante pour autant qu’il existe une couverture suffisante en cas d’accidents de la vie. Supprimer le couple travail-rémunération est de l’utopie. Travailler doit rester un moyen de gagner sa vie. C’est nécessaire pour l’équilibre, mais je conçois l’existence d’autres choses dans la vie que le travail.
Vous enseignez à l’Université Jean Moulin Lyon III et à l’Ecole de Management de Lyon. Quelles sont vos attentes, quelle dimension donnez-vous à votre propre travail?
Ce que j’attends, et on va déjà dans ce sens, est que les dirigeants réussissent une performance économique et humaine sur le long terme. J’attends aussi de leurs équipes qu’elles soient contentes de travailler avec eux et qu’elles aient l’impression que leur travail a de la valeur. Mon souhait est qu’ils parviennent à un équilibre personnel qui les satisfait.
Une valeur, dites-vous, mais laquelle en premier?
Qu’ils soient fidèles à eux-mêmes, qu’ils construisent un chemin dont ils soient fiers et heureux. Cela me semble fondamental quand il s’agit de personnes inscrites dans une école de gestion, et qui sont appelées à prendre des responsabilités dans la vie économique.
Quel âge ont-ils?
L’âge et l’expérience des personnes avec qui je travaille varie sensiblement. Ceux qui ont réussi le concours d’entrée à l’Ecole de Management de Lyon ont entre 20 et 25 ans, les MBA entre 30 et 32 ans. En formation permanente, l’âge se situe entre 28 et plus de 50 ans.
Qu’enseignez-vous à l’Université?
Actuellement, j’ai restructuré mon intervention autour du «Master 2ème année» de ressources humaines qui s’adresse à des professionnels de la fonction ressources humaines qui veulent progresser dans leur métier. Ils ont donc entre 28 et 50 ans. Je suis très atypique comme professeur, car mon métier est plus l’accompa-gnement de groupes que la transmission de connaissances.
Il faut une grande ouverture d’esprit. A trente ans, on ne voit pas la vie comme à cinquante!
En effet, le regard porté sur l’existence, y compris sur l’entreprise, est très différent. C’est très intéressant pour moi. Chez les jeunes de 20 à 25 ans, je ressens une certaine homogénéité dans les attentes: apprendre pour pouvoir choisir sa carrière, conserver un équilibre avec la vie personnelle. Ce qui pèse aux moins jeunes, c’est la rapidité des changements et le manque de reconnaissance. C’est l’âge où l’on constate parfois que son métier n’a plus d’avenir, où des supérieurs plus jeune se succèdent pour vous apprendre un métier que vous maîtrisez.
Avez-vous l’occasion de côtoyer des personnes sans travail ou des personnes en contrats aidés?
Non, je rencontre plutôt des personnes qui sont en entreprise. Je n’ai que très peu de contacts avec des gens sans travail ou qui sont sous contrat subventionné. J’ai une expérience multiple à certains égards et très restreinte à d’autres.
Vous le regrettez?
Non. C’est mon choix actuel, j’ai travaillé auparavant avec des cadres en recherche d’emploi.
Sylvie Roussillon
Sylvie Roussillon possède un doctorat de psychologie (1991) et enseigne depuis 1971 à l'Ecole de management de Lyon ainsi qu'à l'Université de Lyon III, dès 1999. Elle fait aussi des accompagnements individuels pour des dirigeants et des cadres à haut potentiel. Issue d'un milieu de juristes et d'entrepreneurs, Sylvie Roussillon est née à Lyon en 1946, mariée à un psychanalyste et mère de trois enfants.