Le jeune loup neuchâtelois piqué aux RH à l’américaine
Roger Matthey est le Directeur des ressources humaines du groupe Metalor. Natif de Colombier (NE), il a effectué un parcours sans faute avant de reprendre la direction RH d’une véritable institution neuchâteloise. Passionné de RH à l’américaine, il parle sans langue de bois des aléas de son métier. Portrait.
Sous son flegme neuchâtelois, transperce le regard pointu du jeune loup à l’affût. Roger Matthey, 38 ans, dirige les ressources humaines du groupe Metalor, spécialisé dans le conditionnement de métaux précieux. Entré dans l’entreprise en 2001, il est l’un des artisans de la transformation stratégique de la Fonction Personnel du groupe.
Car quand la banque SBS-UBS vend cette société à un groupe d’investisseurs suisses en 1999, Metalor entame un long processus de restructuration. Des 680 employés du groupe en Suisse, Roger Matthey est prié de se séparer de 300. «Je ne vois pas le licenciement comme une corvée. C’est une décision qui vient d’en haut. Mon rôle est plutôt d’assurer que les collaborateurs sur le départ ne soient pas des laissés pour compte. Plan social, développement de compétences, programme de réinsertion sont des outils qu’il faut savoir manier dans ce genre de situation». Ses propos sont exempts d’arrogance. Roger Matthey dispose d’une sorte d’aura sociale, d’une douceur dans le verbe et dans la façon de présenter les choses, de telle sorte qu’on accepte sans broncher son récit de la dure réalité économique.
«Avant l’indépendance de la société, les ressources humaines vivaient à l’Age de la pierre, réduites à des tâches essentiellement administratives. Nous avons réussi à devenir de véritables partenaires stratégiques de la direction», poursuit-il, le regard pétillant. Il participe régulièrement aux séances de direction durant lesquelles, dit-il, son avis compte. Responsable de la sécurité, et chez Metalor depuis 16 ans, Gilles Barbier admire «le dynamisme et l’approche moderne des RH» que Roger Matthey a su insuffler dans l’entreprise.
Parmi les principaux changements que l’intéressé apporte à l’organisation RH: l’annualisation du temps de travail; un système de gestion des performances et des rémunérations; l’autonomisation des groupes de production avec des objectifs précis à atteindre; l’installation du système informatique SAP et un meilleur concept de gestion des dysfonctionnements pour soutenir les personnes démunies ou en situations conflictuelles. Et son style fait mouche. En 2004, l’Américain Scott Morrison est nommé CEO du groupe, qui compte 1200 collaborateurs à travers le monde. Lors d’un repas, il demande à Roger Matthey de se projeter dans l’avenir. «Il m’a répondu un peu nerveusement que la direction des RH du groupe l’intéressait», se souvient Scott Morrison. Une semaine plus tard, le poste était à lui. «Il faut toujours faire attention avec les demandes. Elles risquent souvent de se concrétiser», glisse avec un sourire le CEO de Metalor, qui apprécie avant tout l’engagement et le style participatif de son responsable RH. Sur sa lancée, le patron américain décide également de durcir le mode de rémunération. Si les objectifs ne sont pas atteints à 75%, les 10 à 25% de salaire lié à la performance ne sont pas versés - la barre était à 50% auparavant. A l’inverse, si les résultats dépassent les objectifs, le bonus est multiplié par 2,5 et prend donc une courbe exponentielle. «Au début, le personnel a grincé des dents. Mais aujourd’hui, le système est largement accepté et fonctionne plutôt bien», observe Roger Matthey.
L’épisode du braquage du site de Marin – une équipe du grand banditisme corse s’est emparée de 666 kilos d’or, un butin jamais retrouvé et estimé à 10 millions de francs – a secoué en profondeur la vieille maison. «Pour les RH, la grande difficulté a été de gérer l’atmosphère de suspicion qui régnait les semaines suivant le hold-up», se souvient Roger Matthey. «Après avoir mis en place une cellule de crise, nous nous sommes surtout concentrés sur la communication. La police venait régulièrement interroger des employés et il fallait éviter que les autres collaborateurs les prennent pour des suspects». Le procès de ce printemps, qui a vu deux employés de l’entreprise Protectas écoper de peines de 8 et 5 ans de prison, a permis de tourner la page. «Cela a surtout été un soulagement de savoir qu’aucuns de nos employés n’étaient impliqués», relève Roger Matthey.
Durant la Coupe du monde de football, le jeune DRH installe un écran géant dans la cafétéria de l’usine. «Plus pour lutter contre l’absen-téisme que pour créer un esprit de groupe», glisse-t-il. Toujours est-il que son idée a plu énormément auprès des diverses communautés de l’usine. Roger Matthey organise également des journées à thèmes pour fédérer les collaborateurs. «Sa capacité d’organisation est très élevée», assure Mireille Battaglia, responsable des opérations pour la division «Watch» de Metalor Suisse. «Notre CEO exige que ces «events» soient mis sur pied en interne. Les consultants coûtent trop chers. Cela m’a permis de développer de nouvelles compétences», répond modestement l’intéressé. Parmi ses idées: une journée à l’Accroland de La Chaux-de-Fonds, où les collaborateurs effectuent des parcours suspendus dans les arbres. Récemment, il a invité la division affinage du groupe dans une ferme de la région d’Yverdon. Arrivés de Hong Kong, de Taiwan, du Pérou et des Etats-Unis notamment, les participants ont dû traire des vaches avant de se farcir un repas traditionnel de la région. «Ces journées révèlent les caractères de chacun. Certains ont la peur de leur vie mais crochentjusqu’au bout pour terminer avec les autres», sourit Roger Matthey.
Natif de Colombier (NE) où son père dirige une entreprise de transport, il effectue toutes ses classes dans la région. Après un apprentissage de fonctionnaire postal, il décide de quitter le géant jaune pour apprendre l’anglais aux Etats-Unis. «J’avais l’impression de ne pas pouvoir contribuer au succès de La Poste. A l’époque, c’était une institution quasi immobile», se souvient Roger Matthey. Sur les bancs de l’Université de Californie et de San Diego, il suit des cours de «business english». C’est le déclic: «Le prof m’a donné l’envie de réussir dans le monde des affaires. Cet appétit américain pour le succès, le sentiment d’apporter quelque chose à l’entreprise ne m’a plus jamais quitté.» De retour en Suisse, il décroche un poste de gérant dans le premier restaurant McDonald’s de Neuchâtel. Il y apprend les bases de la gestion d’entreprise. Avec des collaborateurs d’horizons et de cultures variés, il apprend à gérer les conflits. Un exercice qui le fascine. Du coup, il aiguille sa carrière vers les ressources humaines.
A 24 ans, il décroche son premier poste à responsabilité RH dans un hôtel quatre étoiles de Genève. «Le patron était un tyran. J’ai dû défendre ses intérêts sept ou huit fois devant les prud’hommes. J’y ai appris tout ce qu’il ne fallait pas faire», se souvient-il. Deux ans plus tard, il jette l’éponge et entre à la TSR comme gestionnaire du personnel. «Le milieu des médias est très passionné. Je n’ai jamais rencontré d’employés aussi motivés. En revanche, ils ont souvent une vie privée chaotique. Je crois que le taux de divorce approche les 50%. L’autre problème des journalistes, c’est qu’ils croient tout savoir. Et comme c’est une institution semi-privée, le côté buisness (rapidité d’exécution et réduction des coûts) manque souvent. La marge de manœuvre des RH est donc plutôt limitée», raconte Roger Matthey. A l’époque, la TSR cherchait elle aussi à se restructurer. Mais comme le milieu est aussi très politisé, impossible d’effectuer les coupes en interne. C’est donc à grands frais que des consultants sont engagés pour faire le sale travail, poursuit Roger Matthey. D’où son envie de travailler dans l’industrie.
Après une année sabbatique à sillonner le monde avec sa compagne, il décroche le poste chez Metalor. La nouvelle résonne comme le retour au pays de l’enfant prodige. La société qui a plus de 150 ans est une véritable institution dans le canton. Passionné, il avoue travailler souvent 12 heures par jour de janvier à avril, au moment des processus RH. Il est devenu membre du Centre romand pour les questions de personnel (CRQP) «parce que la formation est à la base de tout». Et quand on lui demande si c’est toujours possible d’appliquer la méthode américaine aux habitudes économiques de la région, il fait une pause et répond: «Evidemment non. Mais nous avons instauré un rythme différent. Nous sommes devenu plus compétitifs et cela aussi grâce aux ressources humaines».
Le RH express
Ce qui vous ressource? Les voyages et le sport.
Un bon DRH? Quelqu’un qui est capable d’utiliser les bons outils RH nécessaires au développement de l’entreprise.
Une corvée RH? Tout ce qui est administratif. Les enquêtes à faire pour l’Office fédéral de la statistique sur la structure des salaires par exemple. Et en plus cela ne sert à rien.
Un plaisir RH? La satisfaction que j’éprouve lorsque j’engage quelqu’un. De voir le bonheur sur son visage.
Un livre RH? Human Resource Champions de Dave Ulrich.
Une règle d’or RH? Devenir des « business partners ».
Un plat? Du foie gras avec une sauce aux fruits de la passion.
Une boisson? Un Bas-Armagnac, millésimé 1970.