Le grand manitou de la communication non-violente raconte son entreprise idéale
Auteur du best-seller «Cessez d’être gentils, soyez vrais!» le psychologue belge Thomas d’Ansembourg est devenu un grand spécialiste du développement personnel et de la communication non-violente. De passage à Martigny lors d’une tournée de conférences, il analyse les enjeux de la communication en entreprise et parle de son entreprise idéale.
Thomas d'Ansembourg, Martigny, Février 2010. Aldo Ellena/arkive.ch
Voici donc le pape du parler vrai. Nom: d’Ansembourg. Prénom: Thomas. Signe particulier: auteur du best-seller «Cessez d’être gentils, soyez vrais!». Un livre de 250 pages vendus à 400 000 exemplaires. Pour les non-initiés, l’auteur y raconte comment renouer contact avec son for intérieur. Comment prendre le temps de s’écouter tout en restant ouvert à son entourage.
La plupart des conflits humains seraient causés par ce grand écart. Il dit: «Nous avons appris à nous couper de nous-mêmes pour être avec les autres.» Nous voilà donc en plein dans un sujet RH. Communication et gestion de conflits en organisation. Mais notre vérité intérieure peut-elle vraiment coïncider avec les objectifs de notre entreprise? C’est pour tenter de répondre à cette question que nous sommes allés le rencontrer.
De passage en Valais en février dernier pour une série de conférences sur la communication de couple (gérer les tensions et les conflits sans agression ni soumission), il nous accueille chez des amis, à Martigny. La maîtresse de maison ouvre la porte et le sourire de Thomas d’Ansembourg jaillit déjà par-dessus son épaule. Il nous fixe du regard et nous sert la main amicalement. Il apparaît plus petit que l’impression dégagée dans ses bouquins. Pantalons en velours côtelé et jaquette en laine ouverte aux trois-quarts. Détendu, visiblement habitué au rituel médiatique, il s’assied au bord du canapé et se met à l’écoute.
«On assiste à une valorisation extrême du salaire et du bonus»
On attaque d’entrée de jeu. Comment dire la vérité à son supérieur hiérarchique dans un contexte de peur dominante, liée à la crainte de perdre son emploi? Il réfléchit quelques secondes avant de contre-attaquer: «Mais ne risque-t-on pas en échange de perdre sa vie? On assiste aujourd’hui à une valorisation extrême du salaire, des bonus et de la grosse voiture. C’est un piège. Beaucoup de personnes se mentent à elles-mêmes. A ne pas s’écouter, elles risquent de se retrouver sur la sellette à quarante ans: stress, épuisement intérieur, burnout… Mais prendre conscience de soi-même et de son élan de vie n’est pas facile. Développer l’estime de soi est un apprentissage. C’est la clé fondamentale de notre bien-être».
Le thème est posé. On croirait entendre le grand écrivain catholique Julien Green qui notait en 1933 dans son journal: «La vérité intérieure est la seule qui soit vraiment essentielle; le reste, si beau, si séduisant soit-il, n’est que de l’accessoire.» Fermons la parenthèse et revenons à la charge. Prenons un père de famille, la situation économique actuelle est difficile, est-ce vraiment raisonnable pour lui d’affronter son patron pour une question de vérité intérieure?
Il répond: «Dans le contexte actuel, je suis d’accord. Mais est-ce bien comme cela que l’on veut continuer à faire des affaires? Les patrons n’ont-ils pas besoin d’authenticité? Je travaille avec des dirigeants qui réalisent la richesse d’être en accord avec leurs vraies croyances, leur vraie nature. C’est là que se trouve l’expression de la créativité et du vrai rendement.»
Le vocabulaire est bien choisi. Rendement, créativité, richesse. Des mots recueillis auprès des managers qu’il accompagne depuis quelques années. Il les aide à créer des liens dans les équipes. Il travaille aussi sur l’estime et la confiance en soi. Des mandats effectués surtout dans le Nord de la France.
Il expose: «Les patrons savent très bien donner des conseils. Ecouter par contre, c’est plus difficile. Mais permettre à son personnel de s’exprimer, c’est lui laisser trouver son vrai pouvoir. Retrouver cet élan de vie ne s’apprend pas dans les livres, c’est seulement quelque chose dont il faut faire l’expérience.»
Quand il démarre une mission de conseil en entreprise, il commence toujours par le patron. «Tout dépend de leur capacité à se remettre en question. Souvent il faut que le manager ait pris des coups. Turnover élevé, absentéisme anormal, parfois un incident de santé ou une relation conjugale qui se dégrade. C’est le coup classique: le manager qui réalise la perte de son humanité quand sa femme est partie», confie-t-il.
Des situations de vie dramatiques qui sont autant de nouveaux départs. Lui les aide à remonter la pente et à devenir des managers plus humains. Pour y arriver, ils puisent dans ses outils de communication non-violente. Apprendre à formuler un message en respectant l’autre: «Soit je suis gentil et je ne dis rien, mais alors je deviens une cocotte-minute qui risque l’explosion ou le burnout; ou alors je balance de façon agressive. Je les aide à trouver une voie mitoyenne. C’est un apprentissage. Cela prend du temps.»
Mais le monde des affaires n’exige-t-il pas des décisions rapides? «Oui, mais l’enjeu du temps est comparable à une ressource naturelle. Il faut la préserver. Donner du temps pour la qualité du discernement offre un grand retour sur investissement.»
D’accord pour les managers seniors qui ont déjà roulé leur bosse. Mais qu’en est-il des jeunes cadres dynamiques qui sortent des grandes écoles. Les jeunes loups? «Les jeunes managers d’aujourd’hui sont très sensibles. J’en connais plusieurs qui dégagent beaucoup de richesse et d’enthousiasme. Ces gars peuvent compter sur la confiance de leur personnel. Mais cette confiance ne tombe pas du ciel. Cela se construit, cela se travaille.»
Passer d'un système pyramidal vers un système d'organisation circulaire
Psychologue de formation, Thomas d’Ansembourg sait aussi parler comme un sociologue. Selon lui, l’humanité doit sortir d’une vision binaire du monde des affaires. Il dit: «Soit on est productif et il faut négliger l’humain, soit on est empathique et économiquement pas viable. Cette vision est fausse.»
Un exemple? Il cite Barack Obama et ses groupes d’intelligence collective, «un modèle émergeant». Il prédit aussi que nous sommes en train de passer d’un système pyramidal vers un système d’organisation circulaire. A ce sujet, il évoque le modèle de Jean-François Noubel, ce spécialiste français du développement personnel qui a créé un réseau de R&D basé sur la recherche intégrale. Une méthode qui «met en jeu tous les plans de l'être: matière, corps, sensations, mental, plans supérieurs de conscience, âme, masculin et féminin, yang et yin, intelligence conceptuelle et émotionnelle», écrit Jean-François Noubel sur son site (noubel.com).
De son côté, Thomas d’Ansembourg estime qu’on est en train d’entrer dans une ère de profonds bouleversements. Idéaliste? Le ton de sa voix s’élève: «Il faut bien démarrer quelque part. Qui va décréter ce changement? La seule voie d’accès est par l’intérieur, et donc par l’individu. La personne qui apprend à se connaître trouve la maîtrise de son orientation. C’est ce que j’appelle l’intériorité citoyenne et transformante. Un mot, je vous l’accorde, qui est peu familier dans une revue RH.»
On lui fait remarquer que les DRH sont souvent réticents à aller trop loin dans la vie personnelle de leurs collaborateurs? «D’accord, mais ils ont tout de même besoin que les équipes fonctionnent normalement. Qui a envie de travailler avec des personnes obnubilées par leur ego? A l’inverse, qui a envie de travailler avec des gens sans estime de soi, qui ne prennent jamais la parole? Il y a donc un enjeu d’intériorité au service de l’entreprise.» La boucle est presque bouclée. Reste encore à parler de lui.
«Elle a mis de côté sa passion de l'art pour sa famille. Elle en est morte.»
Basé à Bruxelles, marié et père de trois enfants, Thomas d’Ansembourg est issu d’une famille bourgeoise, traditionnelle et catholique. Son père était directeur d’un organisme de développement économique et forestier à temps partiel. Sa mère artiste peintre et musicienne. «Une femme très gentille qui a mis de côté sa passion de l’art pour être au service de sa famille. Elle en a fait un cancer.»
Cet épisode dramatique a clairement marqué son parcours. Et l’émotion de l’entretien monte de plusieurs crans quand il évoque son enfance. Très jeune, il se demande «pourquoi tant de bienveillance peut se transformer en conflit en l’espace de deux secondes». En quittant le cocon familial, il embrasse la carrière d’avocat, avec l’objectif de devenir spécialiste en gestion de conflits.
«J’ai compris plus tard que si le droit fixe le cadre d’un conflit, il n’est pas au cœur du malentendu.» Tout en étant ensuite juriste dans une banque internationale à Bruxelles, il choisit de consacrer ses weekend et vacances à travailler avec des jeunes de la rue pendant dix ans. C’est là qu’il découvre l’importance des sentiments. Lui-même avoue n’avoir pas été doué: «J’avais développé une peur de l’engagement affectif.»
Il entame alors une psychanalyse. En ressort transformé. Et décide de devenir thérapeute. Pour se former, il travaille aux côtés du psychanalyste jungien Guy Corneau, un autre pape du développement personnel au Canada. Thomas d’Ansembourg se spécialise en communication non-violente et en analyse systémique. En 1996, il publie son best-seller.
Aujourd’hui âgé de 52 ans, il vit essentiellement de ses livres et de ses tournées de conférences. L’entretien est terminé. On le remercie. En sortant, la maîtresse de maison lui demande si tout va bien. Il répond: «Là, si je m’écoute, je dois passer au cabinet.»
Thomas d’Ansembourg express
Un plaisir? Etre avec mes enfants et ma femme.