Portrait

La jeune DRH internationale qui se réalise dans l'univers des jeux vidéos

Sophie Froment est la DRH de la succursale genevoise d’Electronic Arts (EA), l'un des mastodontes de l'industrie du jeu vidéo. Depuis la cité de Calvin, cette Française de 38 ans s’occupe d’une partie des 8000 collaborateurs que compte EA dans le monde. «L’archétype même des nouveaux managers RH», estime le professeur genevois Jean-Yves Mercier. 

Et soudain, voilà que les Beatles s'invitent pour un concert dans votre salon! La classe. Et dire qu'hier soir, vos chérubins vous annonçaient déjà fièrement qu'Harry Potter, les Sims et une équipe de football au grand complet s'étaient tour à tour proposés pour s'amuser avec eux... Un rêve? Un cauchemar? Les séquelles d'une soirée trop arrosée? Même pas. Vous aviez juste oublié que l'industrie des logiciels de loisir interactif a depuis longtemps submergé la planète de ses millions de jeux vidéo. 

Une ambiance très start-up, à l'image des locaux de Google et Facebook

D'ailleurs, «The Beatles Rock Band», dernier bijou disponible sur le marché, le petit magicien de Poudlard, les personnages des Sims et FIFA football sont tous des jeux vedettes de la maison Electronic Arts, numéro deux mondial du secteur. Sophie Froment n'a, elle, rien de virtuel. C'est bien en chair et en os que la DRH de la succursale genevoise d'Electronic Arts reçoit en ses bureaux de la place du Molard, au cœur de la cité de Calvin. Le bâtiment d'EA n'affiche lui aucun luxe ostentatoire. Les locaux sont spacieux et décorés dans un style résolument design. Aux murs, une flopée d'écrans où tournent les jeux phares de la marque. Pendant leur pause, les collaborateurs de la firme ne se gênent pas pour profiter allègrement de ces installations. Une déco et une ambiance très start-up, à l'image de ce que l'on peut trouver chez Google ou Facebook.

Hormis pour des raisons fiscales, on s'étonnerait presque qu'une entreprise aux ramifications planétaires telle qu'Electronic Arts choisisse la ville du bout du lac pour ouvrir son siège pour l'international. «Genève est un lieu hautement stratégique pour qui veut continuer son implantation en Europe. C'est notre cas», résume Sophie Froment. Dans la cité de Calvin, la DRH s'occupe de près de 700 des 8000 collaborateurs que compte le géant de l'industrie du jeu vidéo. Son équipe accompagne et suit principalement les collaborateurs des métiers de la Finance, de la Localisation et du Publishing : « les équipes commerciales et marketing ». De quatre vingt en 2006, les employés de la succursale genevoise sont maintenant une centaine. Des sujets de la couronne britannique, rejoints par une bonne proportion de Genevois et de nationalités diverses. Sophie Froment a elle aussi atterri à Genève en provenance de l'Angleterre. Avec armes et bagages. «Avec mon mari et notre fils, nous nous étions installés à Londres en 2005. Nous n'y sommes finalement pas restés très longtemps...», sourit-elle. Une petite année. Des amis, taquins, leur ont d'ailleurs suggéré de ne pas défaire leurs cartons. Au cas où. Les cartons sont pourtant bien rangés à la cave. Vides. «Nous aimons beaucoup Genève et la Suisse, raconte cette passionnée de ski et de montagne. J'aime cette dimension multiculturelle, la diversité des langues que l'on entend en ville.» 

Avant Genève et Londres, Sophie Froment a travaillé huit ans à Lyon. Pour Electronic Arts, déjà. C'est en effet en 2003 qu'elle a été engagée par l'entreprise américaine pour un poste RH. «A cette époque, j'avais la gestion de sept pays: la France, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et le Brésil. S'occuper d'autant de pays, c'est plutôt rare dans une entreprise, et encore plus comme jeune RH», raconte t-elle. Depuis, sa zone géographique d'influence RH s'est passablement élargie. Aujourd'hui, de sept pays, elle est passée à la gestion de collaborateurs dispersés dans 21 nations. Ce qui implique deux à trois voyages professionnels par mois. «J'apprécie cet aspect de mon travail: le contact régulier avec les collaborateurs d'EA». Ses journées se prolongent régulièrement au-delà de 21h. 

Une disciple de Stakhanov? Une question de décalage horaire surtout. «Nous avons régulièrement des séances virtuelles, notamment avec Redwood City en Californie, lieu d'implantation de la maison mère», raconte-t-elle dans un franglais propre aux multinationales. «Comme dans toute entreprise américaine, où que vous vous trouviez, la langue de travail est l'anglais. J'avoue qu'il m'arrive parfois de chercher mes mots en français. Un comble!» Elle a certes égaré en route cette intonation chantante qui fleure bon la garrigue, mais c'est bien du sud de la France dont est originaire cette élégante et pétillante responsable des ressources humaines. 

European Business School à Paris, puis Canal + Espagne et Total

C'est pourtant à Paris que Sophie Froment a fait ses classes avant de débuter une carrière dans les RH. « J'ai étudié quatre ans à l'European Business School, à Paris. J'ai d'excellents souvenirs et notamment de mes deux stages de six mois à l'étranger.» Le principe : trois mois à l'Université et trois mois en immersion dans une entreprise. Le premier se déroule à Madrid. Chez Canal+ Espagne. Nous sommes en 1991. Avoir 20 ans à Madrid: le rêve! «Le rêve, même si le stage ne durait que trois mois, c'était intense. » En France, la chaîne de télévision cartonne déjà alors qu'en Espagne, «c'était les débuts de la chaîne. Je vous laisse imaginer l'ambiance, la créativité incroyable qui y régnait! Ça bossait mais les rapports humains étaient très importants et la hiérarchie peu marquée.» Puis, Sophie Froment enchaîne un second stage dans la perfide Albion. «J'ai adoré Londres. La culture, les gens, les pubs et la campagne anglaise». Son expérience professionnelle londonienne se déroule au département marketing de Total. «C'était une ambiance à l'opposé de Canal+. Chez Total, le code vestimentaire était différent, la hiérarchie plus marquée, bref, une atmosphère plus normative. Mais, je me suis très bien intégrée. J'ai adoré ces deux expériences.» 

A la fin de ses études en 1993, elle intègre un cabinet de gestion des ressources humaines à Marseille où elle fait ses premières armes. Elle rejoint le Groupe Coface SCRL où elle passe quatre ans. Puis, c'est le grand saut. Elle est engagée chez Valéo, le groupe industriel français spécialisé dans la fourniture d'équipements pour l'industrie automobile. Elle y restera deux ans. Sophie Froment passera deux ans encore chez le géant industriel français Alstom, spécialisé dans la production d'électricité et la construction ferroviaire. «Un parcours classique de RH généraliste», résume-t-elle. Classique, mais qui lui permet aujourd'hui de se prévaloir malgré son jeune âge d'une solide expérience. «Elle est moderne, charismatique, dynamique et internationale», dit d'elle Jean-Yves Mercier, professeur en ressources humaines à l'Université de Genève et directeur de programme en formation continue. «Sophie Froment est l'archétype même des nouveaux managers RH, poursuit Jean-Yves Mercier. Elle a d'énormes compétences professionnelles alliées à une fibre humaine très forte. Elle est intervenue à plusieurs reprises devant des étudiants MBA, et on a senti une véritable passion pour son métier. Avec un regard très frais sur les RH doublé d'un sens aigu du business.» Un sens de l'autre, une force de travail et une sagacité que lui reconnaît son ancien boss à Lyon, Philippe Sauze, actuel directeur EA pour la France, le Benelux et l'Italie. «Elle a une très grande capacité d'écoute et elle est dotée d'un fort caractère. Je trouve que c'est une excellente DRH qui maîtrise tous les rouages du métier». Tiens, et comment se juge une professionnelle des ressources humaines? «Je pense être d'une nature équilibrée. Empathique mais ferme quand il le faut.» Un héritage de ses études en psychologie, peut-être. Car non contente d'avoir suivi avec succès une business school, Sophie Froment est titulaire d'une maîtrise en sciences psycho-sociales.

Plutôt jeune, l'industrie du logiciel de divertissement n'a pas encore conquis l'ensemble de la population. Sophie Froment doit souvent expliquer à ses interlocuteurs suspicieux qu'EA n'est pas un club de jeunes geeks blafards qui passent leur temps à triturer une manette. Electronic Arts est une multinationale aux revenus plus que confortables. Rien que pour l'année 2009, l'entreprise américaine table sur un chiffre d'affaires de près de 4 milliards de dollars. Une paille. «Il y a encore quelques années, il était parfois difficile de recruter des collaborateurs pour notre pôle financier, par exemple. Certains trouvaient que cela ne faisait pas sérieux. Aujourd'hui, la perception que l'on pouvait avoir de notre société a évolué. Le secteur est reconnu et notre entreprise y joue un rôle majeur. Nous n'avons pas plus de peine que d'autres à recruter du personnel hautement qualifié.» Reste qu'il arrive parfois que des candidats à un poste chez EA craignent que leur maîtrise approximative du jeu FIFA ou NFS (Need For Speed) influence le choix de la DRH en leur défaveur. «Chez nous, le processus de recrutement n'est pas différent, raconte Sophie Froment. C'est notre culture d'entreprise qui est différente, marquée, et nous évoluons dans un monde très créatif et très compétitif. L'ambiance est à la fois relax et exigeante.» La devise de l'entreprise: «Work hard, play hard». 

Le DRH express

 
 
 
 
Un plaisir: Un bain de mer dans les calanques de Cassis. 
Une corvée: Ma «to do list». 
Un livre: Jonathan Livingston: Le goéland de Richard Bach. 
Un plat: Un tajine de poulet aux épices! 
Une boisson: Un verre d’un excellent vin rouge de Bourgogne. 
Un objet fétiche: Mon petit Yoda (Star Wars), qui ne quitte jamais mon sac à main! 
Le meilleur conseil reçu: «On a toujours le choix!» 

 

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