Portrait

Une carrière dans l’humanitaire mise au profit du management interculturel

Spécialisée dans la gestion du changement et l’approche interculturelle, Ariane Curdy met son expérience au service de multinationales, de PME ou d’organisations humanitaires. Avant de se mettre à son compte, elle a beaucoup travaillé pour le CICR ou Médecins sans frontières. Portrait d’une femme d’action passionnée par l’Afghanistan, les arts du cirque et du théâtre. 

Elle regorge de tellement d'anecdotes glanées au fil de ses interventions en entreprise que l'on pourrait en remplir un plein cahier à spirale. Elle, c'est Ariane Curdy, écotrophologue de formation et spécialiste de la gestion du changement et de l'interculturalité. Ici, pas de blagues de potache ou de gags carambar. Mais des histoires d'incompréhension mutuelle entre cultures différentes ou de méconnaissances de l'autre qui peuvent parfois avoir de lourdes conséquences sur la bonne marche d'une entreprise globalisée.

Voilà une mésaventure vécue par un directeur britannique qui vient de choisir le futur responsable du centre de recherche de son entreprise à Lahore au Pakistan. Celui-ci est jeune et brillant. Pakistanais de Karachi, il a obtenu un doctorat à Oxford, et a fait une entrée retentissante dans le secteur de la recherche commerciale. C'est donc l'homme de la situation. Mais voilà. Le partenaire pakistanais appelle pour prévenir que ce jeune doctorant, tout brillant qu'il soit, n'aura aucune chance de se faire respecter par l'équipe locale. Pourquoi? Car si pour un occidental il est hautement qualifié et correspond au poste, pour les Pakistanais, il est trop jeune et ne sera pas à même de diriger des employés plus âgés et d'une autre région que la sienne. «L'expérience plutôt que l'instruction», dit l'adage local.

«L'efficacité  d'une entreprise  ne se décrète pas. Elle se façonne»

Au-delà de l'anecdote, ce type de mésentente interculturelle est le quotidien d'Ariane Curdy. A la tête de sa petite entreprise, elle intervient aussi bien au sein de multinationales, de PME que d'organisations humanitaires. Elle compte notamment Novartis, Shell, Nespresso, Migros, le CICR ou MSF parmi ses clients. Derrière l'énumération de cette liste de partenaire se cache-t-il un soupçon de vanité et de prétention? Bien au contraire. Du récit de son impressionnante et bouillonnante vie professionnelle se dégagent sérénité et confiance en soi. Rajoutez-y un zeste de charisme indéniable, et vous obtenez un personnage passionnant. «La diversité de nationalités au sein d'une entreprise permet une plus grande créativité, proclame Ariane Curdy. Mal gérée, l'interculturalité peut être source d'incompréhension et finalement de conflit pouvant mettre à mal l'efficacité de l'entreprise. Pour bien travailler, il faut bien comprendre l'autre.» Et l'efficacité ne se décrète pas. Elle se travaille, se façonne. S'il n'était déjà propriété d'une grande entreprise de téléphonie, son slogan pourrait être «connecting people». Ce métier, plutôt récent, est même en pleine expansion. En Suisse, mais à l'étranger également.

On croit deviner l'intérêt d'Ariane Curdy pour l'interculturalité et ses méandres en se plongeant dans ses racines. De parents valaisans, elle est née et a grandi au bord du Rhin à Bâle, au confluent de trois pays, trois cultures. Mais ce serait évidemment trop simple. Le vrai déclic se produit en 1968. Ici pas question de plage et encore moins de pavé. Si la Suisse n'est pas imperméable au mouvement estudiantin et ouvrier qui fait trembler d'espoir l'Hexagone, le cocon helvétique tempère les ardeurs libertaires. La vraie révolution chez les Curdy, c'est l'introduction de la ... télévision! Le père, Guy Curdy, une gloire du journalisme sportif de l'époque, avait acquis une petite lucarne en noir et blanc pour que la famille puisse suivre les jeux olympiques de Mexico. «Deux images m'ont profondément marquée en 1968, raconte Ariane Curdy. La première, c'est les black Panthers à Mexico.» Sur le podium de la remise des médailles du 200 mètres, Tommie Smith et John Carlos, premier et troisième de cette discipline. A l'instant ou résonne l'hymne national américain, ils baissent la tête et tendent leur poing ganté de noir vers le ciel en signe de protestation de la ségrégation raciale qui sévit aux Etats-Unis. L'image fera le tour du monde. A Bâle, Ariane Curdy n'en perd pas une miette. «Le deuxième événement qui m'a profondément touchée, ce sont les images insoutenables de la guerre du Biafra, se souvient-elle. Ces deux événements  m'ont toujours accopagnée depuis». Deux événements et une quasi-certitude. Elle travaillera dans le développement.

Direction l'Allemagne. Elle y entreprend des études d'écotrophologie (étude de l'impact de l'alimentation sur l'environnement). A la fin de son cursus, elle pense trouver du travail facilement. C'est la désillusion. «Je me souviens avoir envoyé plus de 100 candidatures spontanées, sans aucun succès», sourit-elle. En désespoir de cause, elle accepte un emploi de secrétaire de direction. Puis, un jour, Médecins sans frontières lui propose d'intégrer son équipe comme nutritionniste. Au Niger. Dans ce vaste pays au sud de l'Algérie, commence une belle aventure. Professionnelle et personnelle. Première chose: elle décide de s'installer dans un village excentré plutôt que de rester cantonnée dans une grande ville. Une volonté d'immersion totale. Pas d'eau courante, pas d'électricité non plus. Une vie simple, proche de la population. Au Niger, son seul lien avec l'extérieur est une voiture. Tous les jours, elle sillonne l'arrière-pays pour rendre visite aux habitants des villages alentours. Lorsque la voiture se fait capricieuse, c'est à cheval qu'elle avale des kilomètres pour parcourir la région. Elle y restera près de deux ans.

Elle perçoit les limites du système confronté aux réalités géopolitiques

Puis c'est le grand saut au CICR. Son boulot? La sécurité alimentaire. Elle rédige des études socio-économiques sur les besoins essentiels des populations. Un travail de terrain essentiel, préalable à toute intervention. «Même si j'ai adoré travailler pour MSF, je me sentais vraiment à ma place au CICR. Le mandat de Médecins sans frontières est d'agir lorsqu'une crise survient, dans l'urgence, alors qu'au CICR on travaille plus en amont». Lucide, elle trouve pourtant quelques failles au monde de l'humanitaire. Les limites d'un système confronté aux réalités géopolitique et au flux incessant d'informations.

Comme en Somalie, ou elle est en poste à l'époque de la première guerre d'Irak. «Cela faisait une année que nous annoncions une famine imminente», se souvient-elle. Les appels à l'aide du CICR resteront sans réponse. «Les gens tombaient pourtant comme des mouches...». Il faudra attendre une année et demie de plus et le sac de riz sur l'épaule du docteur Kouchner pour que le monde daigne se pencher sur la corne de l'Afrique. «Ce fut très frustrant ...», concède-t-elle en se remémorant cette longue attente avant que l'aide n'arrive enfin à une population déjà décimée.

Après une multitude de missions où s'entrelacent l'Afghanistan, Haïti, l'Irak ou la Bosnie - une de ses plus difficiles affectations - «c'était l'époque de la guerre et des camps de prisonniers...», elle quitte l'humanitaire. Une envie de nouveaux horizons, de nouveaux défis. Insatiable, elle entreprend une formation en management et en gestion de changement. «Après avoir appris mon parcours, un professeur m'a parlé très régulièrement de l'interculturalité. Je dois avouer qu'au début, j'étais plutôt dubitative.» Puis, au fil du temps elle «ouvre» le dossier de l'interculturalité. La rencontre est fulgurante. «J'ai réalisé le défi que cela représentait pour les entreprises.» Si elle reste discrète sur les secrets de la réussite de ses interventions en entreprises, Ariane Curdy ne fait pas mystère de l'emploi des arts du cirque et du théâtre dans ses modules. «Cela permet de surprendre, de surpasser l'appréhension de certains participants. Et se renouveler sans cesse, permets d'améliorer mes manières de travailler». Elle s'est d'ailleurs fixée comme objectif de se rendre chaque année à l'école Dimitri au Tessin. Pour parfaire sa technique qu'elle utilisera dans sa profession et pour son bien-être personnel.

Pour l'heure, c'est donc son entreprise «Culture Relations» qui est son moteur. Elle pratique beaucoup la gestion de changement. Elle dit: «Ma philosophie de travail s'inspire essentiellement du Process Consultation, qui met l'accent sur les systèmes humains et les processus plutôt que sur la technologie, et de l'Appreciative Inquiry qui permet de découvrir le potentiel extraordinaire enfoui dans tout un chacun et de générer un changement positif de l'entreprise». De ses interventions surgissent parfois des situations cocasses ou révélatrices du besoin impérieux de mettre les gens en lien. «A la fin d'un module, le directeur d'une société est venu me trouver pour me remercier et me faire part d'une situation qui l'avait un peu troublé, et beaucoup amusé. Lors d'un workshop où les participants devaient se mettre deux par deux, il s'était retrouvé avec un de ses employés, étonnamment très à l'aise en sa compagnie, alors que d'autres semblaient tout faire pour éviter un tête-à-tête avec lui. La peur du patron. Finalement, il s'est avéré que l'employé imperturbable ne savait même pas qu'il était face à son boss...». Ou bien ce directeur qui, au fil des discussions, découvre avec surprise qu'il y a un sous-sol dans son bâtiment, où sont parqués les informaticiens et les apprentis...

Lors d'une fusion, son mandat dure entre trois et six mois

Ariane Curdy intervient aussi très régulièrement lors de fusions. «Je ne donne pas de conseil de management. Mais je propose des solutions pour une optimisation, pour aider au changement». Le but de ses interventions, impliquer les gens, les faire participer à l'élaboration d'un projet commun: la bonnemarche de l'entreprise. Lors de fusions, son mandat se déroule généralement entre trois et six mois. Cela comprend la préparation, la validation avec l'équipe en charge du projet au sein de l'entreprise, les interventions et workshops et la synthèse finale.»

Pour la route, voici deux gaffes culturelles classiques livrées par Ariane Curdy. En 1970, General Motors essaya d'étendre la commercialisation de son modèle de voiture «Nova» dans les pays latino-américains. Problème, «Nova» signifie en espagnol «cela ne va pas»! La marque américaine a du rapidement remédier à sa bourde linguistique. Autre exemple, celui d'une entreprise pharmaceutique qui utilisa une bande dessinée composée de trois images afin de commercialiser ses comprimés contre les maux de tête: à gauche, un homme souffrant de maux de tête, au milieu cet homme qui absorbe des comprimés, et à droite, ce même homme très souriant et visiblement soulagé des ses maux de tête. Un exemple simple et efficace de marketing. Le hic de l'histoire? Dans les pays arabes, on lit de droite à gauche. Interprétation: «Vous allez bien? Prenez nos comprimés et on vous garantit une migraine dans l'heure!»

 

Le consultant express

Un plaisir: Dormir à la belle étoile (... en Afrique). 

Une corvée: De ne pas voyager. 

Un livre: L'usage du monde de Nicolas Bouvier. 

Un plat: Les bolaanee afghans.

 

Une boisson: Le maté argentin. 

Un objet fétiche: Ma paire de pierres de boji.

Le meilleur conseil reçu: Il faut sauter dans le vide pour apprendre à voler. 

 

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