Portrait

Le relationnel comme principe, la victoire finale en ligne de mire

Michel Pont est l’entraîneur adjoint de l’équipe nationale suisse depuis sept ans. Secret de cette longévité? Une sensibilité humaine hors du commun et le culte de la loyauté envers ses proches. Alors que  l’Eurofoot 2008 est entré dans sa phase finale, portrait du bon vivant en qui la Suisse a placé ses rêves les plus fous. 

On aurait voulu le rencontrer en chair et en os. Mais à deux mois de l’Eurofoot, Michel Pont est déjà un homme pressé. L’équipe suisse, qu’il co-dirige avec Köbi Kuhn depuis plus de sept ans est arrivée à bout portant. «L’attente du public est énorme et très irrationnelle. Mon défi est de ne laisser aucun détail au hasard jusqu’au coup d’envoi le 7 juin à Bâle stade Saint-Jacques. Puis on remettra notre âme entre les mains de onze joueurs, un arbitre et plein d’autres paramètres incontrôlables», confie-t-il, depuis son kit mains-libres, au volant de sa Chrysler Voyager. Trépignant d’impatience, motivé comme jamais, Michel Pont est dans le bouchon entre Morges et Lausanne, «comme d’habitude…», sourit-il. Il se rend à Berne pour une «grosse séance» avec Köbi Kuhn. Au programme : quelles leçons tirer de la déculottée allemande du Stade de Genève (0-4), des visites de joueurs et la préparation du stage de Lugano, dernière communion avant la messe finale. «Il faut regrouper toutes nos énergies pour tenir tête» 

Alors, fin prêt? «On sort d’une période délicate de deux ans de matchs amicaux. Ce fut une expérience nouvelle. Elle a été beaucoup plus difficile à gérer que prévu. On savait que ce serait compliqué en termes de motivation. Mais à cela se sont ajoutées de nombreuses blessures. Qui nous ont forcés à élargir le contingent. Aujourd’hui, nos solutions de rechange sont devenues les cadres de l’équipe. Il faut donc regrouper toutes les énergies pour tenir tête.» C’est le motivateur qui parle. Sa marque de fabrique: le football chevillé au corps et les relations humaines comme force de frappe. Bernard Challandes, entraîneur du FC Zurich, enfonce le clou: «C’est quelqu’un d’émotionnel, très proche des gens. Homme de partage, très persuadé, il arrive à faire passer les messages.» Son discours préféré? Michel Pont: «Dans le football, vous devez réunir des égos monstrueux. Car un compétiteur est un égoiste par définition. L’objectif est de leur faire comprendre que s’ils ne se rejoignent pas avec un objectif commun, il n’y aura pas de résultat au bout du chemin.»

Mais le feeling ne suffit pas pour comprendre le fonctionnement de ce Carougeois aux racines valaisannes de 54 ans. C’est aussi un gros bosseur. Debout aux aurores, il se gicle le visage à l’eau glacée puis s’engouffre dans la presse du jour. Une lecture quotidienne pour décharger «Köbi». Mais la pression médiatique ne semble pas le gêner pour autant: «Si vous vous laissez submerger par l’avis des autres, le très court terme d’un résultat ou d’une performance d’un soir, vous perdez vite pied. Autant les joueurs que l’encadrement ont besoin de repères. On s’appuie sur les bases de travail qu’on a mis en place depuis sept ans. C’est ce qui nous permet de relativiser la pression médiatique. Si on ne supporte pas cela, il faut vite changer de métier.» Les journaux du jour digérés, il allume son téléphone. Interviews, contacts avec les sponsors, relations publiques en tout genre. Michel Pont a le sens de la formule et le goût de l’analyse. Ses années de consultant à la TSR ont révélé son talent de franc-parleur et sa décontraction de bon vivant. 

Son téléphone éteint, il allume son ordinateur. Prépare les entraînements, osculte les statistiques de ses joueurs, met à jour les bilans de santé. Et il faut aussi visionner des matchs. Toujours avec le même objectif: digérer cette masse d’informations pour Köbi Kuhn. «La décision finale lui appartient. Je fais en sorte qu’il puisse la prendre en toute connaissance de cause.» La méthode Pont? Une bonne vista des comportements: «Je regarde tout. Un énervement excessif après un geste manqué. La position de l’entraîneur sur le banc de touche. Les acollades après un but marqué. Chaque comportement est révélateur d’un état d’âme ou d’une forme physique. Cela peut déceler de la fatigue ou des problèmes personnels.» 

«Peu importe où il se trouve, il a le don pour créer des contacts»

Et puis, il y a le contact avec les joueurs. Peut-être son meilleur atout. Eric Pont, son grand-frère, conducteur de trains aux CFF, se souvient: «Durant ses années de joueur, Michel était toujours le dernier à sortir des vestiaires. Une bonne demi-heure après les autres. Il aimait discuter avec ses coéquipiers». Ami de longue date et parrain de ses enfants, Serge Ribordy ajoute: «Peu importe où il est, il a le don pour créer des contacts. Il suffit qu’il se balade dans une cour d’école et il se met à discuter avec les gamins.» 


Interrogé sur son style de management, Michel Pont avoue être compliqué et simple à la fois: «J’ai besoin du relationnel pour responsabiliser mes joueurs. J’ai de la peine à concevoir la barrière qu’il peut y avoir entre les individus; et j’ai beaucoup de respect les gens qui me font confiance. Pareil en sens inverse. Je donne rapidement ma confiance. Mais dès qu’on me trahit, c’est fini. C’est aussi simple que ça.» Bla-bla de coach surmédiatisé? On en doute. Stéphane Chapuisat, centre-avant de légende, aujourd’hui retraité des pelouses, a bien connu Michel Pont durant ses années de mercenaire sous le maillot rouge à croix blanche. Il dit: «Tisser des liens entre Köbi et les joueurs n’est pas un rôle facile. Michel Pont le fait très bien. Il a un œil sur tout et une bonne parole pour chacun.» Bernard Challendes complète: «Son style de management est participatif, avec beaucoup d’intuition. Copain avec les joueurs mais pas trop.» 

Recette de ce succès? «Je n’ai jamais eu de plan de carrière. J’ai perdu ma mère à quatorze ans. Depuis, j’ai dû me démmerder tout seul. J’ai été à l’école du «vas-y que je te pousse». Tout s’est déclenché par des rencontres avec des personnes qui avaient un feeling pour moi. Ma rencontre avec Köbi c’était pareil. Un moment magique», répond-il, sans état d’âme. Voilà pour le fil rouge. Dans le détail, sa trajectoire a pris plus de temps à se mettre en place. Né à Carouges, petit dernier de la fratrie, Michel Pont n’est pas un féru des bancs d’école. Il est plutôt «copains d’abord» et matchs de foot dans la cour de récré. «Michel était gentil, avenant et ouvert, un enfant facile. Ce n’était pas le gars qui voulait mener pour mener. S’il était chef de bande, c’était plutôt par sympathie», se souvient Eric Pont. Sa mère était couturière, son père gendarme. Après une maturité, il décroche un diplôme de prof de sport à l’Université de Genève. Tout en démarrant une carrière de footballeur prometteuse, dans son club de sang, le FC Carouges. «Il a toujours été le capitaine de l’équipe. Son côté enseignant et un bon sens de l’humour l’ont poussé à prendre les rênes assez rapidement», glisse Serge Ribordy, ancien joueur du FC Carouges. Après un début de carrière comme attaquant, Michel Pont trouve ses marques dans la charnière centrale défensive. «J’étais le Patrick Müller de l’époque. Misant plus sur l’anticipation que l’engagement physique», précise l’intéressé. 

En 1977, il se blesse à la cheville. Sa carrière de joueur s’arrêtera là

On est dans les années septante. Carouges accède à la Ligue nationale B. Michel Pont est promis à une belle carrière. Mais alors que son équipe décroche une place en Ligue A, il se blesse grièvement à la cheville. Sa carrière de joueur ne s’en remettra plus jamais. Il sera donc entraîneur. D’abord en deuxième ligue à Perly. Puis cinq ans sur le banc de Grand-Lancy. En 1988, il monte en Ligue B avec le CS Chênois et décide de lâcher son poste de prof de sport. «J’ai commencé tout en bas de l’échelle. Je ne dois rien à personne. J’ai beaucoup bossé pour arriver où je suis. Et je n’avais pas du tout l’intention de devenir entraîneur professionnel», assure-t-il. 

Marié et père de deux enfants, dont un fils qui joue aujourd’hui au Genève Servette, Michel Pont est un homme de famille. Il va même jusqu’à ouvrir son jardin secret pour pour l’hebdomadaire L’Illustré. Daisy, sa femme depuis trente ans, tient un bistrot à Carouges. Un repère d’amitiés et de bonne chère. Fan de musique, Michel Pont aurait pu devenir rock star, acteur ou physiothérapeute, «tous des métiers où le relationnel est hyper important», dit-il. De Trust à Johnny Hallyday en passant par Téléphone, ses goûts musicaux lui vont comme un gant. Pas le genre d’homme à sombrer en pleine «mid-life crisis». Vraiment? «Je l’ai comme tout le monde. Mais je ne veux pas emmerder les gens avec ça. Tout va très vite dans la vie. J’essaie de profiter de chaque moment. Je n’ai plus l’âge à me marteler la tête pour des bricoles. Je profite du privilège d’être en bonne santé, d’avoir une famille et une certaine liberté.» 

Soit. Mais il a aussi d’autres chats à fouetter: les espoirs de tout un pays. Son plus gros défi?Bernard Challandes: «Il est dans le même bateau que toute l’équipe. Le défi sera de faire un bon Eurofoot. Jusqu’à maintenant, tout le monde se tient à carreau. Mais bientôt, il y aura le feu. Il faudra être encore plus présent et encore plus fort.»

Michel Pont, passes courtes

Ce qui vous ressource? Mon chez moi.

Une corvée? (pause) Je ne trouve pas (rires). Le manque de temps.

Un plaisir? Une bonne bouffe.

Un livre? Tout ce qui se rapporte aux comportements humains.

Un objet fétiche? Un petit soleil qui sourit. Je le vois chaque fois que j'ouvre mon portemonnaire.

Un plat? Le gratin de patates.

 

 

Une boisson? Un bon vin rouge.

Le meilleur conseil reçu? Force-toi à ne pas faire à l'autre ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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