Portrait

Trajectoire de rêve pour femme d’exception

La Lausannoise Chantal Gaemperle fait une brillante carrière dans les ressources humaines. Après Merrill Lynch et Nestlé, elle a été nommée DRH du groupe LVMH à Paris et membre du comité de direction. Huit mois dans ses nouvelles fonctions, elle revient sur sa trajectoire unique de femme romande.

Elle est «LA» star de la communauté RH de Suisse romande. Et depuis sa nomination en mars dernier à la tête des ressources humaines du groupe de luxe LVMH à Paris, elle est carrément devenue une icône. Prononcez le nom de Chantal Gaemperle et les yeux de n’importe quel RH de Suisse romande s’illumineront. Tous se cherchent des affinités avec cette femme à la trajectoire de rêve. Dans son bureau parisien de la clinquante rue Montaigne, à deux pas des Champs-Elysées, on la découvre fidèle à sa réputation. Elle déboule comme un ouragan avec trois quarts d’heure de retard. La pièce se remplit d’une énergie quasi palpable. Silhouette élancée. Robe Vuitton, chaussures Fendi et montre Chaumet, or rose et diamants. Son phrasé donne le ton: «Je vous prie de m’excuser. J’étais en entretien avec une femme formidable. Je ne pouvais pas lui couper la parole.» Pour meubler notre attente, son assistante nous avait montré son bureau. Quelques affiches de la dernière campagne Vuitton. Trois cactus rares. Sur le bord de fenêtre, une demi-douzaine de magnums de Moët & Chandon. Et scotchés sur les vitres, des photos du lac Léman. «C’est une surprise de mon équipe. Un clin d’oeil pour mon 45ème anniversaire», sourit-elle.

A Paris depuis huit mois, elle a vécu des débuts intenses. «La première semaine a été très dure. J’ai dit au président Bernard Arnault: je ne pense pas que tout le monde aurait survécu. Mais quand on est tout en haut, on est isolé». Elle dit être entrée dans une vie de cour. Où l’apparence est déterminante, la hiérarchie et ses codes très présents. Un chauffeur particulier l’attend 24 heures sur 24. Elle est invitée sans arrêts. «J’ai eu la chance de vivre la célébration des 60 ans de Dior en compagnie de Monica Bellucci et de Sharon Stone.» En juillet, elle assiste au défilé Dior Haute Couture Automne-Hiver 2007/2008 à l’Orangerie du Château de Versailles. Le soir de notre entretien, elle dînait avec Bernard Kouchner. Elle adore. Mais assure n’avoir pas changé pour autant. C’est même peut-être sa première qualité. «Chantal est fidèle à sa ligne. Elle a toujours assumé ses choix jusqu’au bout. C’est pour cela qu’elle peut compter sur un réseau très fidèle», assure son frère Philippe Gaemperle, chef de la formation pour l’UBS en Suisse romande. Proximité et sensibilité donc. Le style suisse en quelque sorte. Elle acquiesce: «Je sais m’adapter et rester moi-même, peu importe mon interlocuteur». Son arrivée à la direction des ressources humaines de LVMH a fait du bruit. Son prédécesseur occupait le poste depuis plus de vingt ans. Le style a changé. La vision aussi.

Bâti par l’homme le plus riche de France (le magazine Forbes estime la fortune de Bernard Arnault à 26 milliards d’euros), le groupe LVMH (Louis Vuitton – Moët Hennessy) englobe une soixantaine de marques de luxe. Tous des produits haut de gamme dans des secteurs divers: vins et spiritueux, mode et maroquinerie, parfums et cosmétiques, montres et joaillerie et distribution sélective. Le groupe est également actif dans les médias. Le jour de notre visite à Paris, LVMH annonçait l’acquisition du quotidien économique Les Echos. A-t-elle été consultée? «Le président est à l’écoute de ses dirigeants. En ce qui me concerne, je le vois deux à trois fois par semaine. C’est un homme qui sait poser les bonnes questions et qui admet le débat. Il s’entoure d’ailleurs de personnalités affirmées qui osent le challenger. C’est une âme d’artiste avec des qualités de gestionnaire hors du commun.» Chantal Gaemperle ne le cache pas: travailler avec Bernard Arnault a été une des raisons qui l’a poussée à re-joindre LVMH. Elle ajoute: «Quand je l’appelle, il est toujours disponible.»

Dans cet univers de luxe et de création artistique, le positionnement des RH est finement calibré. Il s’agit avant tout de fidéliser des talents hors pair. «Nous travaillons avec des artistes. Si nous les perdons, nous perdons des clients. Ma mission principale est donc d’assurer la péren-  nité de l’organisation, par l’attraction et la rétention de talents, qui font souvent la différence. Je travaille sur les compétences et j’essaie de créer des ponts entre les bonnes pratiques de nos secteurs. Chaque marque dispose de son identité, spécificités et culture, à moi de voir ce qui peut être utilisé de manière transversale et ce qui doit rester propre à chaque marque.» La question de l’image est aussi très importante. Elle est sous-jacente au rendement. A noter qu’en 2006, LVMH a généré 15,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et un bénéfice de 3,17 milliards d’euros.

Depuis son arrivée, elle voyage beaucoup. Elle revient d’un séjour au Japon. Et s’envole la semaine suivante pour New York. «Avant d’entrer dans l’action, il faut comprendre l’organisation. Rencontrer les gens et cerner les valeurs de chaque marque». Le groupe est très décentralisé. Avec plusieurs cultures d’entreprises. «Le défi est de maintenir ensemble ses différentes politiques au niveau global. Tout en soignant chaque univers comme il se doit. Pour garder les talents. Et pour entretenir l’image que les marques projettent vers l’extérieur», poursuit-elle. Mais la vraie valeur ajoutée de Chantal Gaemperle est sans doute sa capacité à inscrire son action dans le futur. «Je me considère comme un agent du changement. J’estime d’ailleurs que le vrai rôle des RH est de provoquer et de ne pas verser dans la complaisance qu’offre souvent le succès.» Mais son caractère bien trempé ne suffit pas à expliquer son succès. Elle est aussi une bosseuse. Caroline Ferretti-Huber, son assistante personnelle, nous confie: «Elle a une immense capacité de travail. Elle arrive le matin à 8 heures et repart après 20 heures. Et elle travaille en toute transparence. Elle sait impliquer ses équipes.» De la langue de bois? On en doute. Partout où Chantal Gaemperle a oeuvré, elle a conquis son en-tourage. Quand la presse annonce son entrée chez LVMH, elle a reçu 46 messages de félicitation. Le résultat d’une carrière déjà bien remplie.

Membre de la direction RH du groupe Nestlé pendant six ans, elle a réussi son intégration tout en amenant du changement. Et des proches assurent qu’elle était partie pour reprendre la DRH du groupe. Une opportunité qu’elle préfère laisser de côté pour se lancer dans l’aventure LVMH. Au moment de partir, ses collaborateurs lui ont offert un album-photo rempli de dédicaces. «C’est la preuve que si vous restez fidèle à vos opinions, les gens vous respectent», poursuit-elle. Chez Nestlé, elle participe à l’évolution de la culture d’entreprise vers plus de résultats. Elle met en place un programme de leadership pour l’équipe de direction. Moins ancré dans la hiérarchie et plus sur l’innovation et la capacité à communiquer. Elle professionnalise les techniques de recrutement et développe un processus de repérage des talents. Sous l’ère Gaemperle, le talent pool de Nestlé est multiplié par 5. Elle relance aussi un plan de succession au niveau mondial. Les postes concernés passent de 39 à 1200: «Comme DRH, il faut savoir objectiver l’avenir.» Avide de conceptualisation, elle sait aussi ancrer ses visions dans la réalité et l’action.

Rampe de lancement de sa carrière: six ans comme DRH pour la Suisse au groupe bancaire Merrill Lynch. Où elle a fait, là-aussi, forte impression. A tel point que le groupe lui crée un poste sur mesure de DRH pour l’ensemble des unités dans le monde. Le transfert doit se faire en automne 2001. Mariée et mère de deux enfants, elle cherche un appartement à New York. Son mari démissionne de son poste chez SAP et la voiture familiale est vendue. Mais la chute des marchés boursiers et les attentats du 11 septembre changent la donne. «Les Américains sont très sensibles à la marche des affaires. A la moindre baisse de régime, ils sont capables de changer tous leurs plans.» Le coup est dur à encaisser. Surtout qu’elle avait déjà refusé une belle offre de Peter Brabeck. Mais le téléphone n’a pas pris longtemps avant de sonner. Six mois plus tard, elle entrait chez Nestlé.

Restent ses années de formation. Enfance à Lausanne. Son père travaille dans les arts graphiques et sa mère est directrice administrative au conservatoire de musique de Lausanne. Et prof de yoga à ses heures perdues. Elle dit avoir eu une enfance privilégiée. Après un diplôme de culture générale, elle part apprendre l’allemand puis l’anglais à Heidelberg et Chicago. De retour à Lausanne, elle démarre une école de commerce. Puis travaille durant quatre ans dans l’immobilier. «Je faisais l’entier de la gestion des clients.  J’adorais mon travail et j’ai eu envie d’aller plus loin.» Elle décide donc de s’inscrire à l’Uni. En sciences politiques à Lausanne. Mais elle a pris goût à l’indépendance. Alors elle finance ses études en travaillant durant son temps libre. Au CHUV et chez Manpower notamment. Self-made woman. Ces expériences diversifiées lui sont utiles encore aujourd’hui, assure-t-elle. Parcours courageux de femme battante. Avec de grosses ambitions. Après une licence en sciences sociales et politiques et un certificat en droit et psychologie du travail, elle s’inscrit pour un post-grade à l’IDHEAP de Lausanne. Thème de sa thèse: l’appréciation des performances des fonctionnaires de l’Etat de Vaud. «C’est là que je me suis rendue compte de l’aspect central des ressources humaines.» Le point de départ d’une longue carrière. Arrive son assistante: «Il faut terminer. Votre prochain rendez-vous vous attend. Elle nous remercie. Enfile une fourrure. Et repart au pas de charge. Fidèle à elle-même.

Le DRH express

 
 
 
 
 
 
Ce qui vous ressource? Ma famille, mes amis et la vie en Suisse.
 
Une corvée? Les journées à 24 heures.
 
Un plaisir? Travailler en équipe.
 
Un livre? Difficile de faire un choix. Je lis tout le temps.
 
 
Un gourou? Non.
 
 
Un plat? J'adore bien manger et Paris offre une diversité formidable.
 
 
Une boisson? La finesse d'un bon champagne.
Le meilleur conseil reçu? Ne pas croire que les collaboarteurs avancent au même tempo que le mien. La clé est de travailler au même rythme que l'organisation. Savoir suffisamment s'adapter pour être crédible et suffisamment critique pour faire avancer les choses.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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