Portrait

Souvenirs de plaisirs dans la retraite du franc-parleur

Figure romande du métier des ressources humaines, le Neuchâtelois Michel Weissbrodt est entré en pré-retraite ce  printemps. Il laisse derrière lui une carrière passionnée dans les ressources humaines, la communication et la finance. Empowerment, rapports avec les partenaires sociaux et santé au travail furent ses terrains de prédilection. Son bilan. 

Tout semble lui réussir. Même son départ à la retraite. Ancien directeur financier de Cimo, prestataire de services pour le site chimique de Monthey, Michel Weissbrodt a mis fin à son parcours professionnel au printemps dernier. Une retraite anticipée qu'il a préparée minutieusement. «Je me considère toujours en vacances. J'ai refusé de nombreux mandats. J'ai voulu cette coupure pour prendre du recul et réfléchir à mon avenir», insiste-t-il. Pour réaliser ce portrait, il nous a reçus dans son chalet de Choëx. Paradisiaque. Bâtisse de style valaisan sans chichi. Fenêtres larges, ouvrant sur des vues splendides du Rhône et du Lac Léman. «On n'avait pas de sous au moment de construire. Mais cette simplicité nous convient toujours», glisse Pierrette Weissbrodt, femme de Michel et journaliste indépendante à temps partiel. C'est elle qui sert les cafés. Un album du saxophoniste jazz John Coltrane tourne dans le lecteur CD. En un coup d'œil, on comprend pourquoi Michel Weissbrodt apprécie sa nouvelle vie. Aucune trace de ce sentiment de vide si fréquent chez les jeunes retraités. Il l'a voulu ainsi. Comme durant toute sa carrière, il sait se fixer des objectifs et ne lâche rien avant de les atteindre. Puis, il passe à autre chose.

A tout juste 61 ans, ce Neuchâtelois d'origine est une figure du métier des ressources humaines en Suisse romande. Longtemps DRH chez l'entreprise chimique Ciba, très actif au CRQP, Michel Weissbrodt a été un phare pour de nombreux jeunes cadres, devenus aujourd'hui DRH à leur tour. Sa marque de fabrique? Il réfléchit: «Je suis un passionné». Ce n'est pas une réponse plan-plan. Plutôt une clé de lecture indispensable. Car derrière la passion, il y a le plaisir. Peut-être son cheval de bataille préféré. Comment donner envie aux collaborateurs de s'investir pour une entreprise? Comment leur procurer du plaisir, voire même du bonheur au travail. «Pendant mes années à la Ciba, j'ai fait de l'empowerment mon fonds de commerce. J'y croyais dur comme fer. Et nous avons tout mis en œuvre pour réunir les conditions du plaisir au travail: plus de responsabilité, plus de liberté, le tout dans un cadre clair. J'appelais ça de l'autonomie dirigée», s'emporte-t-il.

«J'ai tout essayé pour responsabiliser mes équipes»

Pour réaliser le rêve, il lit les spécialistes. Et tombe sur le philosophe américain Peter Kœstenbaum. Avec son célèbre modèle du diamant: le vrai leader est réaliste, éthique, courageux et visionnaire. «J'ai mené des 360° avec mon management. Résultat: nos cadres étaient réalistes, plutôt éthiques, un peu visionnaires et pas trop courageux. On a donc lancé un immense projet pour travailler sur nos points faibles. L'objectif était d'améliorer le style de conduite pour amener le personnel à être plus participatif. C'est cela l'empowerment. Réussir à mobiliser l'énergie des collaborateurs au profit de l'entreprise.» En parallèle, il mène des recherches appliquées à l'EPFL avec le professeur de psychologie du management Marcel Lucien Goldschmid. Ils publient des articles dans des revues spécialisées. «J'ai tout essayé pour convaincre mon personnel que leur avenir passait par cette responsabilité. En allant même jusqu'à leur conseiller de quitter la maison s'ils n'en étaient pas convaincus.» Une impasse? «Non, mais je suis plus sceptique aujourd'hui. Ce n'est plus possible d'appliquer ces recettes à tout le monde. Il faut reconnaître les obstacles: le sens développé du privé, le goût de l'individualisme et du petit», dit-il. De l'amertume? «Oui, j'ai été déçu. Le courage civil? J'en suis un peu revenu. J'ai beaucoup misé sur l'homme. Et j'y crois toujours, même si parfois il y a des jours sans. Tout le monde n'a pas forcément envie d'autonomie. Mais je reste convaincu que les principes d'autonomie sont durables à long terme», poursuit-il dans un élan de sagesse. Et que reste-t-il de son modèle visionnaire? «Plus grand-chose. Aujourd'hui, on va plutôt dans le sens contraire. On délègue de plus en plus vers le haut. Les décisions sont centralisées. Avec le risque que les collaborateurs ne se sentent plus concernés.» Et paf! Liberté du retraité qui ne doit rien à personne? Que nenni. Michel Weissbrodt a toujours été un franc-parleur. Il est capable de dire les réalités les plus sévères. Avec un prix à payer? «Non. On peut tout dire si on est capable d'y mettre la forme. C'est d'ailleurs souvent le problème des dirigeants d'entreprise. Ils ont de la peine à se mettre au niveau de leurs interlocuteurs.»

Bon communicateur, très apprécié par ses directeurs successifs, Michel Weissbrodt est aussi le grand spécialiste du partenariat social. Il se situe sans hésiter du côté des actionnaires. Mais avoue un immense respect pour ses homologues syndicalistes «gauchisants». Il est d'ailleurs le demi-frère d'Edwy Plenel, ancien directeur de rédaction du journal Le Monde. Négociations salariales, bras de fer au moment du renouvellement de la CCT, Michel Weissbrodt a été de toutes les batailles. Ses conseils? «Pour réussir une négociation, il faut savoir parler vrai. Etre juste et dire les choses de manière transparente. Puis, il ne faut jamais vouloir gagner une négociation. Le meilleur résultat est de se quitter sur un léger sentiment de frustration. C'est la preuve qu'il y a eu une concession de chaque côté. Si l'un des deux estime être trop gagnant, l'autre sera frustré et reviendra à la charge. La négociation est un jeu avec des règles bien définies. Il faut savoir développer ses dossiers, expliquer ses positions. Mais aussi donner la parole aux autres, donner l'impression de concéder. Par-dessus tout, il y a le respect de l'autre et de ses opinions.» Côté contenu, les objectifs sont variés. Les plus faciles sont les négociations matérielles: salaires, bonus, vacances. «C'est le principe du marchand de tapis, au final vous pouvez toujours couper la poire en deux.» En revanche, quand il s'agit de mettre sur la table un droit ou un devoir, bonjour le casse-tête. «Prenez le cas d'une revendication pour plus de pouvoir décisionnel. Il est très difficile d'entrer en matière. Si vous donnez un peu, vous ouvrez la boîte de pandore», confie-t-il. On évoque le cas Swissmetal, où c'est justement sur une décision stratégique que les positions se sont envenimées. «Oui, c'est un bon exemple. Mais c'est aussi l'exemple parfait d'une mauvaise communication de la part du patronat. Un vrai cas d'école», dit-il. 

«En le quittant, on ne repart jamais les mains vides»

Lui-même a aussi vécu des bras de fer bien trempé. Son pire souvenir est une négociation salariale chez Ciba. Pour gagner du temps, la direction décide de ne plus passer par les syndicats et de négocier directement avec les représentants du personnel. «Les délégués syndicaux se sont sentis bafoués. En quelque sorte, on leur demandait de quitter l'arène. Ça a été un drame collectif.» Mais la méthode Weissbrodt sait porter ses fruits. «D'une rencontre avec Michel Weissbrodt, on ne ressort jamais les mains vides. Même si on n'obtient rien, on a appris quelque chose», commente Giovanni Cutruzzola, représentant des employés de Ciba.

Sur le site chimique de Monthey, où Michel Weissbrodt a construit toute sa carrière, on se souviendra aussi de lui pour son engagement pour la santé des collaborateurs. «C'est une de mes grandes passions. Si je m'implique dans un domaine à l'avenir, ce sera certainement celui-là», annonce-t-il. Le contexte était favorable. Sur le site de Monthey, plusieurs métiers à haut risque et des milliers de collaborateurs. Véritable pionnier dans le management de la santé en Suisse romande (voir notre dossier de décembre 2006 «Drogues, alcool et fumée: ceux qui osent intervenir»), Michel Weissbrodt est à l'origine d'un vaste programme de gestion du stress. «En collaboration avec le médecin d'entreprise, nous avons commencé par amener tout notre encadrement devant un psychiatre. Vous n'imaginez pas le remue-ménage... On en a tiré 350 mesures pour améliorer la vie au travail et diminuer les périodes de tensions. Couplé à ce projet, ils échafaudent le programme Santox. En collaboration avec l'Institut suisse de prévention de l'alcool et autres toxicomanies (ISPA) de Lausanne et plusieurs partenaires spécialisés, il met en place un système de repérage des dépendances et un suivi médical confidentiel. Le programme est montré en exemple à travers la Suisse romande. Jusqu'à l'ériger en légende? «Non, je ne peux pas être un modèle. Mon parcours est trop atypique. Et mon succès est le résultat d'une oeuvre collective.»

Né à Neuchâtel dans une famille d'ouvriers du Val-de-Ruz - son père est laborantin, sa mère secrétaire dans un bureau d'avocat - Michel Weissbrodt est le premier de la lignée à salir les bancs de l'Université. Il boucle sa licence en économie en trois ans. Après un premier job chez Dubied (machines, mécaniques), son mariage avec Pierrette, une Valaisanne rencontrée à l'Uni, il s'installe à Monthey chez Ciba. Sa mission: revoir de fond en comble toute l'organisation du Service du personnel, simplifier la structure et gagner de la flexibilité. Au mitan des années 1970, l'industrie chimique est en plein boom. Michel Weissbrodt était le jeune loup en charge du lifting général. «On m'a regardé en chien de faïence. J'avais six mois pour poser un diagnostic. Puis on m'a confié la conduite du projet.» De fil en aiguille, il monte en grade et pose les bases d'une vraie stratégie de GRH. En plus de son cahier des charges RH, il devient le porte-parole de la société. Sa femme, journaliste, lui conseille la transparence. Son talent de franc parleur fait le reste. Michel Weissbrodt un modèle? Le parcours de ses deux fils semble l'indiquer. Le premier est psychologue du travail et consultant en ergonomie. Le second doctorant en sciences et techniques de l'environnement. Soyez tranquille, on aura encore du Weissbrodt sur la planche.

Quatre conseils à un jeune DRH

 

 

  • «Tu regarderas devant toi. Le monde change en permanence. Tu peux être fier de ton passé mais pas nostalgique.»
  • «Reste à l'écoute et mets-toi à la place de tes interlocuteurs.»
  • «Apprends à te laisser surprendre.»
  • «Garde ta bonne humeur et une certaine dose d'exubérance. Comme le disait La Rochefoucault, celui qui vit sans folie n'est pas si sage qu'on croit.»

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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