Portrait

Le gourou américain entré dans le panthéon des créateurs de valeur

Qui ne connaît pas Dave Ulrich? Devenu une icône dans le monde des ressources humaines, ce professeur-consultant-écrivain américain a modifié en profondeur le rôle et l’image de la GRH dans les organisations. Portrait d’un homme acharné de travail et investi d’une mission régénératrice. La création de valeur erigée en principe. 

Sa patte restera gravée à jamais dans l'histoire du métier des ressources humaines. Impossible d'ouvrir un ouvrage spécialisé en GRH sans tomber sur ce patronyme germanique au prénom de série B américaine. Ulrich. Dave Ulrich. Un nom qui résonne comme celui d'un prophète. Depuis son «Human Resource Champions» publié en 1996, ses livres font régulièrement le tour du monde. Son modèle est devenu un classique. Une matrice qui rythme les cursus universitaires et les thèses de doctorats. Telle une valse à quatre temps, il proclame en 1996: «Devenez des partenaires stratégiques, des experts administratifs, des champions des questions du personnel et des agents de changements». Une lame de fond qui a bouleversé l'image des gestionnaires RH dans les organisations. Parfois critiqué pour son sens développé du retour sur investissement et du quantifiable - une tendance très anglo-saxonne - il est surtout le premier à avoir posé un regard critique sur les aléas de la fonction RH. Il secoue le cocotier et dit tout haut ce que de nombreux caciques chuchotaient depuis longtemps dans les cafétérias. Exit donc les formules stéréotypées genre: «Pour faire des RH, il suffit d'aimer les gens.» Avec Dave Ulrich, la fonction RH entre dans une nouvelle dimension. Comprendre les enjeux du business. Se fixer des objectifs clairs et se battre pour les atteindre. En résumé: créer de la valeur. Avec lui, la fonction RH se décloisonne et pénètre dans les autres départements clés des organisations. La finance, le marketing, la vente, la R&D. Il conseille aussi de s'intéresser aux acteurs clés qui entourent une entreprise: ses clients, ses actionnaires, ses partenaires publics. Bref, grâce à lui, la fonction RH a pris de la bouteille.

En 2001, Business Week le classe meilleur consultant de la planète

Du coup, il est entré dans le club très glamour des gens les plus influents du business international. En 2000, le magazine Forbes le classe parmi les cinq meilleurs business coach du monde. L'année d'après, Business Week le consacre meilleur consultant en management de la planète. Il sera donc un gourou. En novembre dernier, il était en Europe pour une tournée de conférences. Neuf jours, sept pays. Tout le monde se l'arrache. Invité à Zurich par la ZfU International Business School, il a fait un tabac. Pour un cachet à cinq chiffres qu'il préfère garder secret. La moitié moins que Bill Clinton, chuchote-t-on dans la salle. Mais avec Ulrich, vous avez droit à deux jours de séminaires intensifs. Le hic, c'est qu'avec son emploi du temps hyperchargé, il a fallu tirer un trait sur l'entretien de deux heures, comme c'est l'usage chez HR Today. La première rencontre se fait donc par mail. Il répond dans l'heure. Son phrasé est soigné et va droit au but. La crise des subprimes américains? Il y voit une défaillance du leadership. Un manque de vision, de courage et d'intégrité. «Un bon leader doit sortir de son bureau pour aller découvrir le marché dans lequel il évolue. Puis il adaptera ses produits en fonction. Et non l'inverse. Et comment faire confiance à un patron qui empoche des bonus à six chiffres alors que les affaires vont dans le mur», écrit-il dans un papier au vitriol, publié dans la presse spécialisée américaine en pleine débâcle des marchés financiers.

La virulence des propos peut choquer. C'est simplement le ton d'un homme intègre. Lui-même a refusé des jobs à un million de dollars: «C'était un mandat d'une année. J'aurais dû démanteler toute une organisation, licencier des milliers de personnes. Pour me retrouver après un an dans ma villa, avec mon million de dollars, mon chien et ma déprime? Mais j'avoue que j'y ai réfléchi un instant», plaisante-t-il devant son auditoire zurichois, accroché religieusement à chacune de ses anecdotes. Une autre? L'année dernière, une très grande banque américaine lui propose le poste prestigieux de directeur du développement et formation. Il dit non, ne se sentant pas en phase avec la culture d'entreprise. Comme conférencier par contre, il est impressionnant. Sur l'estrade, il bouge dans tous les sens. Allume et éteint constamment le rétroprojecteur. Fouille dans sa mémoire d'éléphant pour ressortir les meilleures anecdotes. Au moment des questions-réponses, il trottine d'une table à l'autre. Ecoute, réfléchit et répond consciencieusement à chaque question qu'il a déjà dû entendre des centaines de fois. Et il y a son physique de basketteur. Un mètre nonante, sec. Par mail, il avoue pratiquer une heure de basket trois fois par semaine, vers six heures du mat. Professeur à la Ross School of Business de l'Université de Michigan depuis 1982, il enseigne les RH à des volées de chanceux pour un salaire de fonctionnaire. Il est aussi consultant dans la prestigieuse firme qu'il a co-créé, le RBL group.

«Je ne connais personne qui écrit plus vite que Dave»

Ici en Europe, on le connaît surtout à travers ses livres. Il les écrit tôt le matin, dans les avions et les chambres d'hôtel. «Je ne connais personne qui écrit plus vite que Dave, dit de lui Wayne Brockbank, ami de longue date, professeur de leadership à l'Uni de Michigan et coauteur du livre «The HR Value proposition». Il écrit en une demi-journée ce que la plupart des gens écrivent en deux jours. Il s'appuie sur un remarquable réseau d'amis avec qui il échange de vastes quantités d'informations. Il fixe des objectifs clairs et très agressifs. Et il est quasiment toujours le premier à les atteindre. Son autodiscipline devrait être érigée en modèle.»

L'intéressé avoue une vraie fascination pour l'écriture: «C'est quelque chose de très privé. Puis, tout d'un coup, cela devient éminemment public. C'est parfois inconfortable quand mes idées ne plaisent pas. Mais je fais tout mon possible pour ne pas être sur la défensive. J'essaie de rester constructif et d'intégrer les critiques dans mes schémas de pensée.» On lui demande s'il engrange d'énormes droits d'auteurs. Il répond: «Pas vraiment. Je gagne environ un dollar par livre vendu. En partie parce que les royalties ne sont pas très élevées et en partie parce que je coécris la plupart de mes livres.» Sa motivation est ailleurs assure Wayne Brockbank: «Il trouve son plaisir en clarifiant ses idées sur le papier et en aidant les autres à améliorer leurs connaissances et à optimiser leurs capacités de réussite.» On est en plein rêve américain. Du travail acharné, une discipline de vie quasi monastique et le culte des résultats. Dave Ulrich affiche d'ailleurs clairement sa foi. Il est un membre actif de l'Eglise de Jésus Christ et des Saints des derniers jours, une communauté de Mormons qui revendique plus de 13 millions de fidèles à travers le monde. En 2002, il va même jusqu'à quitter son groupe de consulting pour s'occuper d'une mission de Mormons au Québec. Ce qui provoque l'incompréhension de plusieurs de ses collègues. Lui assume sa décision. Usé par ses tournées de conférences - il a accumulé plus de 8 millions de miles aériens - il prend du poids et subit une embolie à la jambe. Il est à deux doigts de manquer le mariage de sa fille en Californie. C'est le déclic. Il plaque tout et part vivre dans une petite maison au Québec pour aider une communauté de 9000 fidèles. Il dira plus tard dans une interview au magazine Fast Company: «Si vous êtes croyant, il faut y aller jusqu'au bout.»

«Mes parents sont positifs et résilients. Je leur dois tout»

Elevé dans une famille de Mormons à Kansas City dans le Missouri, son père est fonctionnaire dans le service social, sa mère très active dans la communauté religieuse de la ville. Il dit avoir reçu de cette éducation un sens aiguisé du service à la communauté et un goût développé pour le travail. «Mes parents sont des gens positifs et résilients, je leur dois énormément», écrit Dave Ulrich toujours via e-mail. Il commence par étudier les comportements en organisation à Brigham Young (Université mormon dans l'Etat de Utah). Pour sa thèse, il enquête sur la capacité du département de littérature anglaise à créer des générations d'écrivains. Sa conclusion est sans concession: c'est plutôt non. Et le fait que l'école réengage la plupart de ses doctorants empire le problème. Les professeurs d'anglais lui demandent d'aller voir ailleurs, agacés par ce jeune étudiant à la langue bien pendue. Ce sera la quête de sa vie. Comment devenir une organisation créatrice de valeur? Partant, il bifurque vers les ressources humaines. Persuadé que ce sont les femmes et les hommes de chaque entreprise qui sont les facteurs clés de la création de valeur.

Retour à Zurich. Le séminaire touche à sa fin. Dave Ulrich demande à son auditoire de tirer le bilan de la journée. On profite de ce bref moment de répit pour aller le saluer. Il nous regarde droit dans les yeux. Sa poignée de main est douce et chaleureuse. «Je suis le journaliste qui vous a écrit des mails». Il sourit: «Ah! Oui. Merci d'être venu. J'espère que vous arriverez à en tirer quelque chose.»

Le Dave Ulrich express

Ce qui vous ressource? Le sport, ma famille, la lecture et ma foi.

Une corvée? Les vieilles questions auxquelles j'ai déjà apporté des réponses. Un service médiocre. Les gens emplis d'eux-mêmes.

Un livre de chevet? Il y en a tellement... si je dois en choisir un ce sera un des Livres de la Bible.

Un gourou? J'ai appris énormément en rencontrant différentes personnes. Il est difficile d‘établir une liste exhaustive. J'essaie d'écrire des livres avec les gens que j'admire. Wayne Brockbank, Norm Smallwood, Ed Lawler, Steve Kerr, Ron Ashkenas, CK Prahalad. Mais mon meilleur ami et collègue reste ma femme. Elle est non seulement une personne magnifique mais aussi une source de réflexion impressionnante.

Un plat? Le chocolat... dans toutes ses formes: solide, liquide, avec ou sans noisettes.

Une boisson? L'eau fraîche.

Le meilleur conseil reçu? Apprends, amuse-toi et vis le moment présent.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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