Son modèle de gestion des compétences rencontre un succès international
Le consultant français Guy Le Boterf a écrit une trentaine de livres sur la gestion des compétences. Consulté par les plus grandes organisations internationales et la plupart des sociétés du CAC 40, il est devenu une légende vivante de la formation continue d’adultes en France. Il a donné une conférence à Tramelan en novembre dernier.
Guy Le Boterf, novembre 2009, Tramelan. Photo: Aldo Ellena/arkive.ch
Il a noué sa vie avec la compétence. Depuis plus de trente ans, le consultant français Guy Le Boterf affine son sujet. Comment définir la compétence? Comment l’évaluer? Comment l’intégrer intelligemment dans une politique de gestion des ressources humaines? Du coup, dans le milieu de la formation professionnelle d’adultes, il est devenu incontournable.
Et ce n’est pas son CV qui dira le contraire: consultant au Bureau International du Travail (BIT), à l’Union Européenne et à l’UNICEF; expert de l’UNESCO, conseiller auprès du président de la Société de Développement International Alphonse Desjardin (le plus important groupe financier coopératif du Canada). Et avec cela, il écrit. Auteur de plus d’une trentaine de livres sur les compétences professionnelles, traduits en allemand, anglais, italien, espagnol et portugais, Guy Le Boterf parcourt aujourd’hui la planète pour partager son expérience et distiller ses conseils.
En novembre 2009, de retour du Portugal, il a fait une halte au cœur des Franches-Montagnes, invité par le Centre Interrégional de Perfectionnement (CIP) de Tramelan. L’auditoire est plein à craquer. La presse locale sur le qui-vive, quoiqu’un peu circonspecte devant ce consultant senior (il ne parle pas de son âge) qui est intarissable sur une notion assez vague pour le commun des mortels. Lui arbore un d ces sourires qui trahit la satisfaction du travailleur arrivé au bout de son œuvre. «Nous sommes très fiers de l’accueillir», glisse quant à elle Carmen Tedeschi, assistante de direction au CIP. C’est elle qui organise la soirée. Elle sert aussi de courroie de transmission entre Guy Le Boterf et la poignée de journalistes venus couvrir l’événement. Quand on lui annonce qu’HR Today souhaite rédiger un portrait de son invité, elle met les petits plats dans les grands. Et ne laisse plus rien au hasard. Ce sera donc une heure d’entretien en aparté.
La poignée de main est chaleureuse et le regard lumineux. L’interview se déroule en trois parties. Son parcours, sa vision des DRH et ses dernières recherches sur la gestion des compétences. Commençons par la fin. Les travaux de Guy Le Boterf sont connus depuis longtemps*. Il est à l’origine d’un modèle de gestion des compétences qui rencontre un succès international. Pierre angulaire de son modèle: le lien entre compétence et les situations professionnelles.
Pour illustrer cette définition, Guy Le Boterf recourt volontiers à l’image du pilote de ligne: anxieux avant de prendre l’avion, un passager demande si le pilote est assez compétent pour effectuer le vol. L’hôtesse de l’air assure que oui et lui montre une liste de connaissances et de savoir-faire techniques du pilote... «Et bien moi à sa place, pointe Guy Le Boterf, je ne monterais pas dans l’avion! Ce ne sont pas une liste de connaissances et de savoir-faire qui m’inspire confiance. C’est la capacité du pilote à mettre en œuvre une ‹pratique professionnelle› pertinente».
Chez Le Boterf, la compétence est donc toujours liée à la capacité à gérer une gamme de situations. Dans un de ses derniers ouvrages, il explique que la partition du violoniste soliste est la compétence requise alors que l’interprétation est la compétence réelle. La nuance peut sembler infime, mais elle devient énorme lorsqu’on l’applique à un modèle de gestion des compétences en organisation.
Les mises en situation simulées pour estimer une compétence in situ
Car comment l’évaluateur va-t-il s’y prendre pour réussir à mesurer «la capacité d’agir avec compétence» d’un salarié? C’est sans doute une des conséquences les plus importantes du modèle Le Boterf: les évaluations en situations simulées. Des pratiques qui tentent justement de vérifier les compétences d’un candidat in situ.
Guy Le Boterf a également beaucoup travaillé sur la prise de recul et la capacité à raconter une pratique professionnelle sous forme de récit. Il détaille: «Ce que l’on attend de plus en plus d’un professionnel, c’est non seulement qu’il soit capable d’agir dans une situation mais aussi d’expliquer comment et pourquoi il agit de telle sorte. C’est important pour la confiance qu’on pourra ou non lui accorder.»
La capacité à narrer une pratique professionnelle est donc plus révélatrice qu’une simple liste de compétences techniques ou comportementales à évaluer. La prise de recul et la capacité à formaliser sa pratique professionnelle deviennent également très utiles dans le domaine de la formation. Puisqu’elle permet de donner «vie» à une pratique professionnelle souvent très aride dès qu’on la transcrit dans un manuel. «C’est un excellent cadre de référence pour mettre en place une politique de formation», assure André Mazzarini, responsable de la formation du CIP.
L’autre grand terrain de recherche de Guy Le Boterf est la compétence collective. Le lendemain de sa conférence jurassienne, il a d’ailleurs fait une halte à Neuchâtel pour conseiller l’Office des tutelles sur le travail en réseau. Guy Le Boterf estime qu’il devient de moins en moins possible d’agir seul avec compétence sans coopérer avec les autres. A cela plusieurs explications: la complexité croissante de notre économie (réussir un projet ou un produit implique aujourd’hui de réunir une quantité de savoirs très disparates); le besoin constant d’innovation (l’économie est en changement perpétuel – pensez à la situation du secteur horloger aujourd’hui), le développement du travail en mode projet et en équipe.
«La direction RH doit créer une politique de gestion cohérente»
Il assure que ce décloisonnement touche également les départements RH. «On retrouve de plus en plus une équipe réduite au sommet, mais qui aura à effectuer un travail de prospective plus stratégique». Quant à la mise en œuvre d’une démarche compétence, elle repose en grande partie sur l’encadrement de proximité, dit-il. «La direction RH doit par contre créer une politique RH qui intègre un ensemble cohérent de décisions concernant le recrutement, la formation, la mobilité, la reconnaissance et la rémunération…».
Le problème en France, poursuit-il, c’est qu’il n’y a pas assez de continuité sur ces questions. «Il suffit d’un changement de DRH pour que l’immense investissement réalisé pour mettre en œuvre une telle démarche tombe à l’eau. Réussir une politique RH de qualité demande du temps. Toujours repartir à zéro constitue une énorme gaspillage.»
Lui, en revanche, assure qu’il n’est pas parti de rien. Son père dirigeait le service social des Ateliers et Chantiers de Bretagne, entreprise de construction navale à Nantes. Il a développé avec son épouse l’important réseau des «bibliothèques pour tous» sur le territoire français. Troisième d’une fratrie de quatre, il étudie l’économie, la sociologie, et la psychologie à Nantes où il devient responsable de l’association des étudiants et milite déjà pour changer les méthodes de formation à l’université.
Après ses études, il part en Afrique comme coopérant. Première halte en Côte d’Ivoire, qui vient d’accéder à l’indépendance. Il sourit en évoquant ce souvenir: «J’étais professeur de philosophie et j’enseignais la logique d’Aristote à des élèves dont le grand-père se transformait en panthère pendant la nuit…». Son périple africain se poursuit en Mauritanie, au Niger et au Burkina-Faso (qui s’appelle alors la République de Haute Volta) pour réaliser des formations de cadres administratifs et techniques.
Il travaille ensuite en France au sein de «Peuple et culture», un mouvement d’éducation populaire qui a fortement inspiré les méthodes de formation des adultes. En 1971, il rejoint la société Quaternaire éducation qui venait d’être fondée par deux ingénieurs des mines, Pierre Caspar et François Viallet, proches collaborateurs de Bertrand Swartz – le grand spécialiste français des questions de formation des adultes – et lance avec eux le concept «d’ingénierie de la formation» dans le sillage de la loi sur la formation continue lancée par Jacques Delors. On leur confie notamment la mise sur pied de plusieurs grands instituts de formation d’ingénieurs et de techniciens en Algérie.
En 1973, il épouse une Allemande, ethnologue et diplômée des langues orientales. Guy Le Boterf part ensuite en Amérique latine comme expert de l’UNESCO. Leur fille naîtra au Guatemala. A son retour, il participe activement au développement de la société Quaternaire et lance des filiales en Espagne, au Portugal, en France. Les mandats prestigieux s’enchaînent. Jusqu’en 1996 quand il décide de créer la société «Le Boterf Conseil». Une sorte d’apothéose. De nombreuses sociétés du CAC 40 sont clientes, de L’Oréal à France Télécom. Partout dans le monde, on l’écoute religieusement. D’Amérique latine au Cana-da, en passant par l’Espagne, le Portugal et la Lituanie. Jusqu’au fin fond des Franches Montagnes jurassiennes.
1 Parmi les ouvrages de Guy Le Boterf les plus représentatifs, citons: «Construire les compétences individuelles et collectives: Agir et réussir avec compétence», Paris, éd. d’Organisation, 2006, 271 pages et «Repenser la compétence», Paris, éd. d'Organisation, 2008, 140 pages.
Guy Le Boterf express
Un plaisir? Voyager en travaillant.
Une corvée? Travailler avec des gens insupportables. J’ai la chance de ne pas le faire.
Un livre? Je lis beaucoup, surtout de la littérature. S’il faut citer un titre, ce sera «Le Poisson-Scorpion» du Suisse Nicolas Bouvier.
Un plat? Les huîtres.
Une boisson? Le très bon vin.
Un objet fétiche? Non, je ne crois pas.
Le meilleur conseil reçu? De chercher ma propre façon de m’exprimer ou d’agir sans en copier une autre.