«Le psychologue doit savoir résister aux pressions»
La psychologie du travail a envahi l’univers organisationnel depuis une vingtaine d’années. Avec du bon et du moins bon.
Laure Kloetzer, devant l'Abbatiale de Romainmôtier le 24 février 2012. Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
La critique majeure qu’on pourrait lui faire est de mobiliser la partie la plus intime des individus afin d’augmenter leur productivité …
Laure Kloetzer: Je vous rejoins tout à fait là-dessus. Les injonctions contradictoires sont légion en entreprise: «Soyez autonomes, mais suivez les procédures»; «Investissez-vous, mais sans marge de manœuvre pour faire évoluer l’organisation»; «Impliquez-vous dans la relation, prenez soin de vos clients, mais en souriant comme on vous le dit, en limitant au maximum le temps que vous leur consacrez, et en leur vendant ce que l’entreprise a décidé de leur vendre, quels que soient leurs besoins» …
Est-ce que cela est vraiment de la psychologie au sens scientifique du terme?
Je ne le crois pas. La psychologie est parfois détournée à des fins de manipulation. J’ai notamment étudié le cas d’un grand cabinet de conseil qui avait réussi à «formater» ses cadres pour qu’ils n’aient plus qu’un seul objectif: passer à l’échelon salarial suivant. Pour y arriver, la direction a simplement distribué un livre qui répertoriait tous les salaires
Après quelques temps, les consultants étaient prêts à tout pour passer au niveau supérieur. Il faut beaucoup de vertu individuelle pour résister à cette pression organisationnelle.
Quels sont les autres travers de la psychologie?
La psychologie est très souvent employée pour cajoler les gens. On les écoute, on les fait parler de leurs problèmes, mais on ne change rien à l’organisation du travail. Cela permet à l’employeur d’adoucir une situation qui est particulièrement néfaste. Je doute d’ailleurs que les autres sciences humaines puissent être détournées avec autant de facilité!
Comment l’empêcher?
Notre éthique professionnelle est centrale. Les psychologues doivent être conscients de leur posture, de leurs motivations, des conséquences de leurs actes. Un psychologue doit savoir résister aux pressions et dire non à un mandat s’il pressent qu’il sera instrumentalisé.
C’est le grand problème de nombreux coachs en entreprise, ils ont besoin de mandats pour survivre et ils ont parfois tendance à fermer les yeux sur les intentions réelles de leurs mandants. Un autre risque est lié à la confidentialité des données. Le psychologue apprend beaucoup de détails sur les individus, leurs relations, et les dysfonctionnements d’une organisation.
Il doit savoir résister à un patron qui exige de savoir qui lui a dit tout cela. D’où l’importance pour nous d’être intégré dans un collectif professionnel. Cela aide à discuter des situations délicates, à rester lucides, à supporter ces pressions.