Les trois champs majeurs de la psychologie du travail
Ethnographe du quotidien et clinicienne de l’activité, la psychologue du travail Laure Kloetzer résume ici les trois champs principaux de la psychologie dans l’entreprise.
La psychologie est sans doute la science humaine la plus souvent associée au monde du travail. Elle est d’ailleurs une des voies majeures de formation professionnelle qui mène vers le métier de gestionnaire RH. Titulaire d’un Master en management des hommes et des organisations de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris et d’un doctorat en psychologie du travail, Laure Kloetzer s’est spécialisée dans l’ethnographie des organisations.
Installée à Romainmôtier depuis 2007, elle a notamment publié un roman fiction inspiré de ses travaux*. Elle donne ici quelques clés pour comprendre les apports majeurs de la psychologie à la vie en organisation.
L’observation du travail
«La façon dont les gens travaillent est sans doute un des secrets les mieux gardés de l’Amérique», glisse Laure Kloetzer en citant David Wellman. Aucune ironie dans ses propos. La psychologie du travail est avant tout un moyen d’observer et de comprendre ce qu’est réellement le travail.
L’analyse du travail permet de mesurer l’écart entre le prescrit et l’effectif. L’observation permet alors de repenser les problématiques sous un autre angle. En allant voir ce qui se passe sur le terrain, les chercheurs appréhendent le travail dans ses aspects les plus concrets, situés, singuliers, ce qui permet d’obtenir une lecture beaucoup plus fine des phénomènes.
Laure Kloetzer donne l’exemple d’une recherche qu’elle a effectué sur le mentorat. L’entreprise mandante souhaitait comprendre comment fonctionnait le mentorat dans son organisation, afin de développer des formes de mentorat les mieux adaptées à leur activité, à leur culture d’entreprise, et à une transmission de connaissances transgénérationnelle.
Les chercheurs ont commencé par établir une cartographie globale des pratiques existantes. Dans une deuxième phase, ils ont choisi certaines situations intéressantes et les ont analysées dans le détail, afin d’en obtenir une compréhension plus précise.
«Nous avons constaté un grand décalage entre ce que l’entreprise savait du mentorat et les pratiques réelles. Pour les mentors, cette démarche leur a permis de prendre conscience de leur manière de travailler, afin de développer leurs pratiques, de formaliser leur savoir-faire et de le transmettre à leurs collègues débutants.»
La psychologie comme analyse du travail a donc permis de quitter les représentations abstraites pour arriver à une expérience riche, détaillée, et donc opératoire. Cette méthode qualitative est utilisée dans plusieurs domaines, lors de la création de référentiels de compétences, pour la conception de situations et d’outils de travail, ou pour la forma tion professionnelle par exemple.
La santé au travail
La santé physique et psychique est un champ de travail pour les psychologues depuis le début du XXème siècle. Les premières recherches ont été conduites chez des ouvriers, victimes de la «folie rationnelle» du taylorisme, chez des téléphonistes, où elles ont révélé la sociogénèse des troubles mentaux, mais aussi sur le personnel de maison, avec l’exposé remarqué du psychiatre Le Guillant sur «les incidences psychopathologiques de la condition de bonne à tout faire».
Ces travaux ont montré que la santé de ces populations était passablement affectée par leur activité professionnelle. La recrudescence des troubles musculosquelettiques (TMS), l’émergence des risques psychosociaux, ne vont pas démentir ces résultats. Mais le lien entre santé et travail n’est pas mécanique.
Plusieurs paramètres sont à mettre dans la balance: les individus, avec leurs ressources et leurs faiblesses, les conditions de vie et de travail, et enfin ce que ces individus arrivent à faire de ces conditions dans leur activité elle-même. Et la psychologie peut être mobilisée de différentes manières dans chacun de ces champs.
L’approche classique va se concentrer sur les conditions de travail, avec des options connues: normaliser, en les encadrant légalement, améliorer ou compenser financièrement les mauvaises conditions de travail. L’autre courant majeur encourage le repérage des individus fragilisés et leur accompagnement individuel. Une alternative à ces deux courants est de ne pas dissocier le sujet et la situation, et de centrer l’analyse sur l’activité réelle des travailleurs.
«Ce qui fatigue les gens au travail, c’est moins ce qu’ils font que ce qu’ils n’arrivent pas à faire, comme le rappelle Yves Clot. La psychologie que je défends en revanche vise à transformer l’organisation en partant des exigences du réel. La dimension collective du travail est, dans cette approche, extrêmement importante. Lors d’un travail de recherche en ergonomie conduit par le Docteur Sandrine Caroly sur l’activité des guichetiers à la Poste française, nous avons par exemple découvert que le collectif joue un rôle essentiel dans la capacité à surmonter les difficultés.»
Le coaching et l’accompagnement
Très à la mode depuis une vingtaine d’années, le coaching ou l’accompagnement est une pratique qui recourt énormément à la psychologie du travail. «Pour le meilleur et pour le pire», pointe Laure Kloetzer.
Le positif d’abord. Un cadre qui a la tête dans le guidon peut, grâce à un coaching, prendre du recul et se repositionner dans son action. Un coaching qui permet de souligner les dysfonctionnements d’une organisation est également positif. La face sombre de l’accom pagnement sont les coaching prétexte.
«Le coaching est parfois utilisé comme un coussin compassionnel, afin d’amortir les chocs que le travail produit, au lieu de modifier les aspects mêmes de l’organisation qui causent des difficultés», explique Laure Kloetzer. Le coaching peut être instrumentalisé afin de préparer le chemin à un licenciement. Personne ne le dira haut et fort, mais envoyer un cadre en coaching avant de le licencier, est un bon moyen de prouver que l’organisation avait tout essayé.
«Car si l’entreprise n’est pas prête à se remettre en question ou à changer ses pratiques managériales, tous les coaching du monde ne serviront à rien», assure-t-elle.
* L.L. Kloetzer: Cleer. Une fantaisie corporate, éd. Denoël, 2010, 353 pages