«Il faut parfois réfléchir à ses habitudes»
Enseignant la philosophie à l’université de Fribourg, Bernard Schumacher a créé en 2004, avec les professeurs Eric Davoine (GRH), Paul Dembinski (éthique des finances) et Patrice Meyer-Bisch (IIEDH), une cure de philosophie pour cadres. Le succès de cette formation est notamment lié aux constants allers-retours effectués entre les textes classiques et les cas pratiques.
Le philosophe Bernard Schumacher. Photo: tous droits réservés.
En quoi la philosophie donne-t-elle des clés pour maîtriser la complexité de la vie en organisation?
Bernard Schumacher: L’art de la philosophie permet tout d’abord de réinterroger les problèmes sous des angles différents. Il faut sortir de la procédure pure et questionner ce qui va habituellement de soi. Le deuxième apport majeur de la philosophie est de clarifier les définitions.
Qu’est-ce que l’autorité, le pouvoir, la liberté, le respect? Cela peut être très utile de clarifier ces questions pour une organisation. Cela permet de se mettre d’accord sur des notions qui peuvent être comprises de manière très différente. La philosophie augmente la capacité de se mettre à la place de l’autre.
Elle y parvient par une introspection qui se termine par plus de compréhension de l’autre. Quelles sont mes valeurs? Est-ce que je décide vraiment de ce que je veux faire? Enfin, la philosophie questionne la finalité de mon action et si cela correspond à mon identité fondamentale (’connais-toi toi-même’) à l’aide d’une dialectique argumentative.
Reprenons ces apports un à un. Remettre en question les procédures dites-vous …
Oui. Les procédures sont nécessaires, soyons bien clairs. Mais il faut parfois savoir les remettre en question. Ou plutôt, si les procédures sont des outils, la philosophie ne l’est pas du tout. La philosophie permet de sortir la tête du guidon et de prendre conscience de cette course effrénée dans laquelle nous sommes tous plongés.
L’action est fondamentale. Mais le recul par rapport à cette action l’est tout autant. La prise de distance permet de mieux habiter son rapport à son travail et son existence. La philosophie est un art. C’est un art qu’il faut exercer.
La philosophie permet de clarifier des définitions. Donnez-nous un exemple?
Prenez le cas toujours difficile de la nomination d’un collaborateur à un poste de cadre. La philosophie va se demander ce qui fonde l’autorité d’un chef dans une culture d’entreprise bien précise. Est-ce la compétence, le leadership, la tradition? Ces questions ne sont pas abstraites. Elles concernent la définition du pouvoir et de l’autorité dans une situation bien particulière.
Comment la philosophie résout-elle le paradoxe du temps court de l’opérationnel et du temps long de la vision stratégique?
Ce paradoxe est le propre de la vie humaine. Parfois, vous devez transformer la réalité en très peu de temps. Pour y arriver, vous prenez appui sur des habitudes. Mais de temps en temps, il faut aussi prendre du recul et réfléchir à ses habitudes. Prenons l’exemple des vacances. A quoi servent-elles? A se divertir ou à faire le point? Les deux sont importants. Prendre du temps pour soi peut sembler une perte de temps. Mais si en fin de compte vous savez mieux pourquoi vous travaillez, vous avancerez beaucoup mieux.