Espaces de sécurité

Les groupes de parole protégés, une manière de grandir en toute sécurité

L'apprentissage tout au long de sa carrière est au centre du travail du futur. Plusieurs formats en petits groupes avec des règles  strictes ont fait leur apparition en Suisse romande. Tour d'horizon.

 

«Nous poussons les participants dans leurs derniers retranchements»

Gregory Feret, président d’EO Suisse romande (Entrepreneur Organization), un réseau mondial d’entrepreneurs qui se réunissent plusieurs fois par année en petits groupes pour partager leurs expériences et apprendre collectivement.

«Nous proposons à nos membres une zone de sécurité pour partager. Les entrepreneurs sont souvent seuls et isolés. D’autres ont peut-être vécu les mêmes choses et nos groupes peer to peer permettent de partager ces expériences.

La règle numéro 1 est que tout doit être basé sur l’expérience. Les conseils sont interdits. Les échanges sont très cadrés. Il s’agit de parler de son expérience, des résultats obtenus et des apprentissages. Le tour de parole et limité à 3 minutes par personne et les sujets peuvent toucher autant la vie professionnelle, familiale que personnelle. Par exemple: «Je n’aime plus mon épouse, que dois-je faire?» ou «Je dois ouvrir une usine en Chine, comment procéder?» Il y a beaucoup de sujets RH aussi, un problème avec un associé ou un souci de cashflow pour payer les salaires par exemple.

Nos groupes de 6 à 10 personnes se réunissent une fois par mois. À titre d’exemple, un groupe d’entrepreneurs lausannois se réunissent régulièrement depuis 9 ans. Le format des rencontres peut varier. Il peut s’agir d’une présentation sur un thème particulier. Nous attribuons aux orateurs des coachs afin de préparer leur intervention. Il s’agit d’aller au fond de la problématique. Nous poussons nos membres à aller dans leurs derniers retranchements.»

Lien: eo-suisse-romande.ch

«À chacun de trouver sa propre solution à son propre rythme»

Geneviève Morand, entrepreneure, conférencière et présidente de la fondation Muse pour la créativité entrepreneuriale. Elle a créé les cercles d’entraide Rezonance, qui réunissent en moins de 3 ans déjà 50 dirigeants et managers, 4 facilitateurs et une vingtaine d’experts.

«C’est la qualité des gens réunis autour de la table qui prime avant tout. Il doit s’agir de personnes qui boxent dans la même catégorie. Aucun conflit d’intérêt, des secteurs d’activité différents et une totale liberté de propos. La confidentialité totale des échanges est également indispensable. Nous n’avons d’ailleurs jamais eu de problème avec cette confidentialité.

En tant que facilitatrice, je propose un petit protocole. Le processus est très simple et les formats des échanges peuvent varier. Nous faisons par exemple des visites d’entreprises, des rapports d’étonnement ou des présentations en profondeur. Nous limitons le nombre de participants à 12 par groupe pour garantir la qualité d’attention.

Au bout de quelques mois, les participants se connaissent bien. Ils voient les évolutions chez l’autre. Notre philosophie est la suivante: chacun est porteur de sa propre solution. Comme on est toujours plus clairvoyant pour l’autre que pour soi-même, nous recommandons la lenteur et le silence. Il faut être très respectueux de l’intégrité de l’autre. Les conseils sont par exemple interdits. À chacun de trouver sa propre solution à son propre rythme.

Aujourd’hui, nous avons cinq cercles en activité en Suisse romande. Nous envisageons de passer à 10 cercles cette année. Les groupes se réunissent sept fois par année et nous réunissons tous les groupes 5 fois par an pour des journées thématiques. Le tarif d’inscription est de CHF 3200.- Le thème 2022 sera «Craquer le code du management». Informations sur www.rezonance.ch ou par mail à gmorand@rezonance.ch»

À lire: Geneviève Morand: L’art de l’entraide, éd. Jouvence, 2013, 140 pages

 

«Le contenu devrait être libre et la logique hiérarchique proscrite»

Sibylle Heunert Doulfaker, psychologue du travail et des organisations FSP-PSY4WORK.CH, conseillère en organisation, Superviseur-Coach et accompagnatrice de cercles de cadres en Suisse romande.

«Les groupes de cadres que je mets en place peuvent se faire au sein d’une même organisation ou à l’extérieur, en réunissant des participants d’entreprises et de secteurs différents. Le psychanalyste hongrois Michael Balint est à l’origine de la méthode. Il a notamment créé le dispositif original, connu sous le nom de «groupe Balint». L’idée est qu’on apprend beaucoup plus en échangeant avec ses pairs. C’est la logique de l’intervision (et non la supervision). Utilisée à l’origine dans le domaine des soins, cette méthode, d’origine psychanalytique permet de «penser et de panser». Depuis une trentaine d’années, cette pratique est entrée dans le monde du business.

La démarche est la suivante: j’exprime une situation problématique pour moi, les autres vont résonner (caisse de résonnance) et partageront ce que cela évoque chez eux. Pour que la dynamique fonctionne, il faut respecter quelques règles: 1. Si le groupe rassemble des personnes d’une même organisation, vous ne pouvez pas retrouver deux niveaux hiérarchiques différents. 2. Dans un groupe mixte extra muros, il faut éviter la présence de secteurs d’activité concurrentiels. 3. Le nombre de participants idéal est de 6 à 8. Ce nombre permet à chacun de contribuer activement. 4. Il existe aussi une méthodologie pour conduire la discussion, avec les étapes et le timing. En résumé, il faut éviter le syndrome de la machine à café (critiquer un collègue dans son dos) et le mur des lamentations (se plaindre de tout ce qui ne va pas dans son organisation). Des rôles sont également attribués aux participants. 5. Les principes de la collaboration sont par exemple: confidentialité, respect des différences, curiosité bienveillante, oser poser des questions ouvertes et humour. 6. Durant les trois ou quatre premières séances, cela aide de recourir à un facilitateur professionnel. Cette personne pourra ensuite s’effacer quand le groupe aura trouvé son rythme. Selon mon expérience, 80% de ces groupes durent au moins pendant 2 ans.

Mon conseil serait également de ne pas mettre ces groupes en place comme une offre de formation. Ces groupes doivent être introduits au plus près de la pratique ou être constitués à l’issue d’une formation de cadre, comme une manière de poursuivre l’apprentissage entre pairs. Le contenu devrait être libre et la logique hiérarchique proscrite. Le but est d’instaurer rapidement de la sécurité psychologique dans les échanges.» Lien: syllogos.ch

«S'appuyer sur son réseau pour développer ses connaissances»

Stefanie Moser accompagne les humains et les organisations vers le futur du travail avec sa société de conseils Trans4m. Elle a introduit en Suisse la méthode WOL (Working Out Loud) et elle collabore régulièrement avec son fondateur, John Stepper.

«L’apprentissage auto-digéré sera au centre du travail de demain. Se contenter d’un diplôme de fin d’étude ou d’un CFC (certificat fédéral de capacité) ne suffit plus, il faut désormais se former tout au long de sa vie. Dans un monde de plus en plus complexe, cet apprentissage passe par le réseau et l’intelligence collective.

La méthode WOL (Working Out Loud) s’adresse autant aux entreprises qu’aux individus. Elle permet de s’appuyer sur son réseau pour développer ses connaissances et entrer en profondeur dans un sujet. C’est sans doute le principal avantage du WOL: elle permet d’allier des objectifs de développement business avec des objectifs de développement personnel. L’autre avantage est que les participants se supportent sur ce chemin d’apprentissage pour une certaine période avec estime et générosité. En anglais, on parle de «social learning». Une certaine pression du groupe aide à rester dans le coup.

J’ai mis en place plusieurs programmes WOL, autant en entreprise qu’en dehors. Pour la plupart des participants, c’était la première fois qu’ils vivaient la sécurité psychologique en milieu professionnel. D’un point de vue personnel, c’est un bon moyen pour travailler sur un projet qui vous tient à cœur. Pour les entreprises, cela permet de briser les silos et faire circuler les connaissances dans l’organisation. WOL est une méthode pour partager les connaissances de manière structurée. Elle permet d’aller vers une culture d’entreprise apprenante. Comme les participants peuvent allier des intérêts personnels avec ceux de l’entreprise, la motivation devient intrinsèque et les individus s’approprient beaucoup mieux les projets.

Concrètement, un cercle WOL dure 12 semaines, avec 4 à 5 participants. Le groupe se réunit une fois par semaine pendant une heure. Une série de 30 exercices sont proposés, cela va de compétences à acquérir, de réflexions sur le thème du travail, de partages de connaissance et de réseau. C’est une nouvelle manière de travailler. Cela exige de la curiosité, de l’ouverture, l’envie d’échanger dans un groupe et de partager avec les autres.» Contacts: stefanie.moser@trans4m.ch et Susanne Zimmermann (s.zimmermann@c-t-c.ch) ou via le Meetup WOL en Suisse romande.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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