Interview

«Les managers sont aujourd’hui dans une course qui n’a pas de ligne d’arrivée»

Auteur d’un livre sur le burnout des managers, Chris Christiansson s’inspire des méthodes de récupération des sportifs d’élite pour aider les dirigeants à se maintenir en bonne santé.

L’accélération du rythme est devenue la norme. Avec quels effets sur la santé mentale et physique des managers?

Chris Christiansson: Quand vous êtes passionné par votre travail, la réaction physiologique du corps sera de dégager beaucoup d’énergie. Mais si vous ne récupérez pas correctement, après un certain temps, ce flux intense d’énergie deviendra la norme et le risque d’accident ou d’épuisement va augmenter. Nous l’observons aujourd’hui dans le ski professionnel. Les compétitions s’enchaînent, le rythme est de plus en plus soutenu et les accidents se multiplient.

Quels sont les signaux d’alarme avant un épuisement?

La respiration est un bon indicateur. Quand votre respiration devient plus courte, moins profonde, c’est le signe que vous entrez en hyperactivité. La quantité d’oxygène qui arrive dans le cerveau diminue et cela va dérégler votre bien-être psychologique. Si vous êtes en permanence en sur régime, après un certain temps, vous ne saurez plus quel est votre état normal.

Vous comparez les managers d’aujourd’hui avec des sportifs d’élite. Comme eux, ils devraient apprendre la récupération active, que vous enseignez dans votre Active Recovery Academy…

Oui, les athlètes ont appris à récupérer après des efforts intenses. Sinon, ils ne tiendraient pas le coup. Les managers sont aujourd’hui dans une course qui n’a pas de ligne d’arrivée. Nous leur apprenons par conséquent à intégrer la récupération dans leur journée. Le matin par exemple, nous conseillons de commencer avec dix ou vingt minutes de cohérence cardiaque. Cette technique permet de créer un équilibre physique et psychologique.

Pourquoi est-ce si important de commencer sa journée par ces rituels?

Trop souvent, les gens démarrent leur journée en cinquième vitesse. Alors que le corps humain, comme une voiture, a besoin de démarrer lentement et de permettre au moteur de s’échauffer. L’addiction aux écrans tôt le matin est facteur de risque. Il est donc préférable de commencer sa journée avec quelques respirations profondes avec un moment de calme. Cela dit, nous recommandons aussi de faire des micro-récupération durant la journée.

Qu’entendez-vous par micro-récupération?

Après avoir terminé une activité, vous pouvez faire un petit tour à l’extérieur, manger une pomme ou observer le ciel. Ce contact avec la nature est très sain. Une étude japonaise a montré les effets bénéfiques d’une promenade en forêt ou dans un parc par exemple. C’est aussi pour cela que nous faisons nos retraites à Rougemont (canton de Vaud), dans la nature.

Quels sont les autres conseils pour un manager hyperactif?

Il ou elle devrait apprendre à écouter son corps et à sentir quand il est dans une phase d’énergie, avec son point optimal, et éviter de le dépasser pour entrer dans des périodes de surmenage. Il faut savoir s’arrêter au bon moment. Selon une étude Gallup de 2018, 93% des managers entrent régulièrement dans des phases de surmenage. Ils doivent donc apprendre à varier la vitesse. A l’image d’un apprentis-conducteur. Vous ne pouvez pas rouler sans cesse à 120km/h.

Quelles sont les causes organisationnelles de ces dysfonctionnements?

Il y a plusieurs dimensions. C’est difficile à pointer un élément. Cela peut être la culture d’entreprise, un manager toxique ou la concurrence entre les collaborateurs. La multi-activité et les processus peuvent aussi être des facteurs de stress. Et l’arrivée de l’IA va renforcer ces difficultés car le rythme et la pression vont augmenter. Enfin, un manager est souvent contraint par les exigences de sa direction et les besoins de ses équipes.

Comment s’en sortir?

Nous essayons d’optimiser leurs compétences personnelles d’un côté, en développant une conscience précoce des signes de fatigue, et d’ouvrir leurs yeux sur les risques de surmenage, avec toutes ses conséquences négatives: problèmes de sommeil, apathie, fatigue physique-mentale-émotionnelle, addictions ou problèmes de nutrition.

Par où commencer?

Dans un premier temps, il faut reconnaître la situation et comprendre les causes du surmenage. Cette compréhension du problème n’est pas simple mais vital. Ce sont souvent des enjeux complexes. Je recommande aussi de mettre en place un accompagnement externe vers qui les employés·es peuvent se tourner en toute confiance et confidentialité. Le but est de redonner de la confiance et non de les culpabiliser. Très souvent, les collaborateurs pensent que s’ils sont fatigués, et que c’est de leur faute. Au contraire, les personnes qui font des burnout sont les plus motivées. Ce sont des éléments précieux qu’il faut préserver.

L'intervenant

Après une carrière de skieur professionnel (slalom et descente), Chris Christiansson a fondé l’Active Recovery Academy (ARA Health). Formé à la Harvard Medical School et à la Professional School of Behavioural Health Sciences, il s’est spécialisé en santé humaine, en physiologie comportementale et en thérapie respiratoire (Capnotrainer). Il est aussi l'auteur de l’ouvrage «Twoo Early Burnout: The way out of early burnout».

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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