La santé émotionnelle

"Le burnout met le doigt sur une pathologie individuelle et managériale"

Le burnout est un mal actuel de notre société de production lié à l’organisation du travail. Bien que le vrai burnout ne soit pas un diagnostic médical au sens propre, il engendre de graves symptômes pour l’individu qui en est victime. Le médecin du travail genevois Yvan Scherrer précise les symptômes et donne ses conseils pour guérir une organisation malade.

Travail à flux tendu, objectifs inatteignables qui mettent le salarié en position fautive, éclatement géographique des équipes, utilisation de nouvelles technologies comme moyen de contrôle du rythme de travail, introduction massive de l’évaluation individuelle sont autant de sources de souffrance au travail. Un mal-être qui surgit lorsque l’individu a épuisé ses ressources personnelles pour tenir le coup mais aussi lorsqu’il se heurte à un mur pour faire entendre ses difficultés.

Dans un univers professionnel qui repose sur une organisation orientée vers la productivité, l’impact du travail sur le corps et sur le psychisme peut détruire un être humain. Il se retrouve alors dans un état de burnout. Selon les observateurs de la santé sur le lieu d’activité professionnel, la quantité et la vitesse de travail exigées actuellement pour un employé dépassent ce qu’un organisme humain peut supporter, tant sur le plan organique que psychique. Alors qu’est-ce que le vrai burnout et comment l’éviter dans l’entreprise? Réponses avec Yvan Scherrer, médecin du travail à Genève.

Le terme de burnout est souvent employé à tort. Qu’est-ce que le vrai burnout?

Yvan Scherrer: Il s’agit avant tout d’un épuisement professionnel. Le mal est physique et psychique. Jusqu’à preuve du contraire, on ne fait pas un burnout en restant à la maison.
 

S’agit-il d’une véritable tendance dans la société ou plutôt d’un problème médical?

C’est plus qu’une tendance. Je le considère comme un vrai problème de la société qui a eu beaucoup de peine à faire son chemin car le burnout a été pendant longtemps quelque chose de très difficile à percevoir et à prouver de manière scientifique. La question de savoir à quel moment exactement une personne est en état de burnout est restée de nombreuses années sans réponse.

Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il s’agit d’un vrai burnout? 

Le «diagnostic» est très difficile à poser, d’autant qu’il s’agit également d’un processus et non réellement d’un «diagnostic», au sens où on l’entend en médecine. Il s’établit en travaillant sur un ensemble d’éléments qui ont tous leur importance. Il y a tout d’abord l’anamnèse, soit l’histoire de la personne sur son lieu de travail. Ensuite, il y a l’environnement et les conditions de travail qui vont donner une compréhension de ce que vit la personne sur son lieu professionnel. Enfin, le questionnaire de Maslach constitue le dernier élément fondamental pour cerner un burnout. Ce célèbre test pointe les trois dimensions de la maladie. La première représente l’épuisement émotionnel. La seconde, ce qu’on appelle le «cynisme» (dépersonnalisation), caractérise la distance que prend  l’individu par rapport à son travail ou ses semblables que ce soit dans sa vie professionnelle ou privée. La troisième dimension apparaît avec la perte de compétences qui s’observe à deux niveaux, celui de l’individu qui se rend compte de son problème et dans le regard des autres, spectateurs impuissants de la situation.

Comment observe-t-on ces trois dimensions sur le terrain? 

Dans la pratique, il est important de les analyser dans le temps car le burnout se définit comme un processus évolutif. Au début, il commence par quelque chose d’infime que l’individu concerné ne voit pas et qui petit à petit apparaît publiquement mais qui n’échappe pas à l’entourage. Par exemple, des comportements agressifs au travail. La situation va évoluer dans le temps et au final aboutir à une perte de compétences. Le burnout n’est pas à proprement parler un diagnostic médical. Cela signifie que le burnout n’existe pas comme entité du point de vue de la médecine. En revanche, les praticiens parlent d’anxiété, de dépression. Cette dernière est selon moi toujours présente dans l’aboutissement d’un burnout.

Selon vous, quelles sont les causes les plus courantes de souffrance psychique au travail? 

Le grand mot, c’est le stress. La souffrance au travail doit être mise en relation avec le mouvement d’accroissement des performances exigées. On utilise des questionnaires pour le mesurer. Il n’y a pas de profil psychologique à risque, donc pas de profession plus exposée sur le terrain. On a observé que dans tous les métiers un individu peut aboutir à un burnout. En revanche, on a pu déterminer que les gens qui s’effondrent sont en général des personnes très sérieuses et perfectionnistes. L’état final d’un être humain est lié à des éléments survenus en amont. En fait, le «diagnostic» de burnout est double, il pointe en même temps une pathologie individuelle se constituant et se déclinant et une pathologie managériale.

Comment se détecte un burnout chez un individu? 

On va pointer la façon de travailler de notre société. Comme l’explique la psychologue Marie Pezé, le burnout résulte notamment d’une surcharge au travail. L’augmentation de la cadence des tâches à accomplir est en effet présente partout, dans tous les secteurs professionnels, à des niveaux d’intensification qui pulvérisent toutes les limites neurophysiologiques et biomécaniques. Selon la psychologue, il existe quatre clés d’analyse. Ainsi, il n’y a pas que le volume de travail, mais aussi l’organisation du travail, le degré de contrôle sur la situation ou encore le degré de reconnaissance et le soutien social. Actuellement, il y a une manière de diriger et d’introduire une productivité qui implique que certaines barrières comme le bon sens ou le respect sont brisées. Cette situation aboutit en effet à un excédent de tâches à accomplir.

Dès lors, comment faire pour éviter d’épuiser ses collaborateurs? 

Le management devrait intégrer les quatre clés d’analyse mentionnées ci-dessus et donc se poser des questions sur les rouages de fonctionnement de son service. Par exemple contrôler s’il existe des tensions entre les objectifs de production de l’entreprise et le bien-être du personnel. Ou encore se questionner sur ce qu’il en est au niveau des horaires, de la charge de travail, du décalage entre le travail prescrit et réel, de la reconnaissance. Pour cela, il peut s’adjoindre les conseils d’un médecin spécialisé dans la santé au travail. Cette manière de faire n’est pas courante en Suisse, contrairement aux pays anglo-saxons et à la France. Le manager doit aussi tenir compte du soutien social et le favoriser entre les collègues.

Les formations existantes suffisent-elles à endiguer le problème? 

Une formation n’est jamais suffisante. Le problème avec les cours spécialisés sur le burnout réside dans le fait qu’il existe toujours un décalage entre ce qui est présenté dans un cours et la situation réelle. Aujourd’hui, en revanche, il serait cohérent que les managers soient plus sensibilisés aux problèmes de burnout en bénéficiant de certaines formations durant leurs parcours. Car actuellement, l’emprise du productivisme de notre société noie tout le reste. La difficulté réside dans le fait que le problème du burnout est sociétal. Si nous n’avons pas un changement de mentalité par rapport à la productivité sauvage exigée par les entreprises industrielles, nous avons un réel souci. Il faudrait donc reconsidérer la manière dont on mène le travail et remettre l’humain en bonne position dans le domaine professionnel. Je pense que le travailleur est devenu lui-même objet de production. S’il ne satisfait pas, il est jeté et remplacé par un autre. Dans le monde bancaire en crise, la machine s’est emballée pour satisfaire aux exigences de profits démesurés. Les conséquences ont été désastreuses sur un plan humain.

Face à ce futur angoissant, comment le manager peut-il repenser l’organisation au sein de son équipe? 

Pour commencer, il peut tout d’abord réfléchir aux quatre clés et retrouver des équilibres pour améliorer et reconstruire le cadre de professionnel. Ensuite, il faut recomposer des collectifs de travail car on a perdu notre bon sens de partage en groupe. Ces derniers peuvent agir et faire un poids dans le monde du travail. Ils sont indispensables car ils corrigent éventuellement certaines décisions et certains modes de gestion dans l’entreprise. Quand ils ne sont pas intégrés dans l’entreprise, ces collectifs peuvent prendre des voies parallèles d’expression. L’exemple récent des bagagistes de Cointrin est là pour le démontrer.

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Patricia Meunier est journaliste indépendante en Suisse romande. Elle collabore avec HR Today depuis 2010.

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