Confrontés à de profonds changements, ils tendent la main à leurs collaborateurs
Leader européen du segment des voyages d’affaires, la société Carlson Wagonlit Travel évolue dans un contexte économique en pleine évolution. Pour soutenir ses collaborateurs dans cette période d’incertitudes, la direction RH a mis en place un dispositif de gestion de la santé émotionnelle. Le détail de ce modèle avec deux de ses plus fervents défenseurs.
«Nous avons accepté de lever le couvercle, sans vraiment savoir ce que nous allions trouver à l’intérieur.» La formule est de Jacky Grognuz, DRH suisse de Carlson Wagonlit Travel (CWT). Elle résume bien l’immense pas qu’ osé franchir cette grande organisation afin de soigner la santé émotionnelle de ses collaborateurs.
Leader européen des voyages d’affaires – la société compte 18 000 collaborateurs dans le monde, dont 350 en Suisse – CWT a récemment traversé une période de turbulences en raison de gros changements dans son modèle d’affaire. Depuis 2005, au lieu de percevoir du fournisseur un pourcentage sur les prix des voyages, la société travaille sur commissions, facturées au client. Pour s’adapter à cette réalité et à l’arrivée de nouveaux fournisseurs (low-costs, …) et concurrents (sites internet), CWT a investi dans plusieurs nouvelles technologies: des outils de recherche qui leur permettent de repérer les meilleurs prix.
Cette adaptation au marché s’est cependant accompagnée d’une pression sur les prix et d’une plus grande volatilité des clients. A ces difficultés structurelles, il faut ajouter la baisse conjoncturelle initiée fin 2008.
Des signes de surmenage et de souffrance psychique font surface
Tous ces éléments ont évidemment eu des effets sur la gestion des ressources humaines. A la suite de la perte de clients importants, la société a aussi été contrainte de lancer un plan de réduction des effectifs. «Nous avons analysé chaque situation dans le détail, ce qui nous a permis de réorienter en interne 35 des 70 collaborateurs concernés», relève Jacky Grognuz.
Il faut savoir que l’entreprise est organisée de manière très décentralisée. La société compte 9 Business Travel Centers en Suisse (de 4 à 50 personnes) et 25 implants (petites équipes dédiées à un gros client) dans plusieurs sociétés ou organisations. Pour augmenter leur flexibilité, certains sites pratiquent le travail à distance.
C’est dans ce contexte de profond changement que des signes de surmenage et de souffrance psychique ont fait surface. Ces dysfonctionnements sont apparus via plusieurs canaux: l’enquête de satisfaction annuelle; les questionnaires de départ; les retours des formateurs externes ainsi qu’une hotline «mobbing», ouverte depuis 2004.
Sibylle Berisha, HR Manager, ajoute: «Nous étions également confrontés à quelques absences de longue durée. Ce n’était pas un taux plus élevé qu’ailleurs, mais nous sentions une certaine incapacité à gérer ces situations.» Tous ces éléments ont ensuite été exposés devant la direction générale.
Le DRH Jacky Grognuz commente: «Cette étape de présentation au top management est très importante. Car mettre en place des outils pour gérer la santé émotionnelle ne doit pas être perçu comme le nouveau joujou des RH. Le projet doit être porté par tout le monde.
Chez nous, les relais locaux sont très importants.» Sibylle Berisha conseille aussi d’activer les bons réseaux: «Il faut oser affronter le management avec des arguments très factuels.» Ces efforts sont payants. La direction adopte un plan d’action.
Création d’un groupe de travail multidisciplinaire et multihiérarchique
La première étape consiste à identifier les sources de malaise et à trier la masse d’informations disponibles sur le marché (aujourd’hui, les médias et Internet regorgent de conseils et d’outils sur la santé émotionnelle). Un groupe de travail est créé. Il est composé de trois managers de proximité, d’un responsable marketing et de Sibylle Berisha (RH). Elle dit: «Les outils doivent coller à la culture de l’entreprise. Il faut également déterminer les partenaires externes appropriés et choisir des formations.» Le groupe de travail opte finalement pour un plan d’action en trois axes.
1. Information et formation. Jacky Grognuz: «Très vite, on s’est rendu compte que la communication est au centre du processus. Il faut installer un climat pour que les collaborateurs osent se dévoiler.» De quoi parle-t-on? Comment réagir? A qui s’adresser? CWT investit dans une communication par Intranet avec plusieurs pages dédiées à la santé/sécurité. Il y a trois niveaux d’alerte. Phase verte: tout va bien.
Le Work-life balance est équilibré. Phase orange: le stress a pris le dessus. Le collaborateur ne parvient plus à s’aménager des espaces de détente. Ces situations peuvent se traduire très rapidement dans de l’absentéisme de longue durée, avec des risques d’effet domino (les autres collaborateurs sont du coup mis sous pression). Enfin la phase rouge: maladie, épuisement et impossibilité de maîtriser son travail et sa vie sociale.
2. Tendre la main. Jacky Grognuz: «C’est très important d’accepter de lever le couvercle, sans savoir exactement ce que l’on va trouver à l’intérieur. Car même si l’on est dans un environnement où la communication est facilitée, il faut être prêt à entendre des choses qui n’ont jamais été exprimées.» Les collaborateurs disposent de plusieurs canaux pour exprimer leurs difficultés: la hotline confidentielle, un accès direct aux membres du groupe de travail (qui est devenue une cellule de soutien) ou le service ICAS (permanence téléphonique externe qui traite les cas difficiles, professionnels ou privés).
Sibylle Berisha: «Tendre la main implique parfois d’aller vers un collaborateur en toute franchise. Les premiers contacts sont strictement confidentiels. Les actions à entreprendre ensuite sont décidées d’un commun accord avec le collaborateur. Le rôle des managers de proximité est donc primordial.» 100 pour cent des cadres gérant une équipe ont reçu une formation pour comprendre les mécanismes du stress, identifier les situations à risque et les aider à développer l’entraide dans l’équipe.
3. Les dispositifs d’action. En plus des modules de formation pour le middle management, CWT met à disposition des check-up santé, du coaching, des médiations et du team-building. Ces prestations sont effectuées par un partenaire externe (Frédérique Deschamps chez Nexum SA, voir ci-contre). Depuis quelques mois, la société recourt également à du e-coaching, un outil qui permet de mettre le doigt sur les problématiques des managers et donc de préparer des formations sur mesure. Jacky Grognuz insiste: «Le manager de proximité est le maillon central de tout ce dispositif.»
Les résultats? «Le climat de travail a complètement changé. Aujourd’hui, les gens osent parler. Cela facilite le travail d’anticipation», observe Jacky Grognuz. L’absentéisme de longue durée a baissé et lors de la dernière enquête de satisfaction, la question: «Le Management s’intéresse-t-il à votre bien-être?» a gagné 6 pour cent.
Dans cette même enquête, sur les aspects «empathie et respect», le personnel a donné une note supérieure de 10 points à un échantillon significatif de sociétés suisses. Encore mieux: la qualité du service de CWT auprès de ses clients s’est améliorée. «Un collaborateur bien dans sa peau offre automatiquement un meilleur service», assure le DRH. Et de conclure: «Je tiens à préciser que nous ne sommes pas devenus des travailleurs sociaux, pour autant. Ces efforts ne représentent qu’une partie de notre cahier des charges de responsables RH.»
Les intervenants
Jacky Grognuz est le DRH de Carlson Wagonlit Travel en Suisse depuis 2000.
Les intervenants
Sibylle Berisha est HR Manager chez Carlson Wagonlit Travel en Suisse depuis 2002.