L'humour, un régulateur d'émotions
Andrea Samson, chercheuse et professeure de psychologie à UniDistance, analyse les différentes fonctions de l'humour dans un collectif.
Photo: Brooke Cagle / Unsplash
L’humour, une compétence
«Pour comprendre l’humour et pour le produire, nous devons disposer d’une série de compétences socio-émotionnelles. Dans de nombreuses blagues et même dans le comique de situation, il est nécessaire d’adopter les différentes perspectives des protagonistes de l’humour et des auditeurs, car de nombreuses blagues jouent sur de fausses croyances (ne pas savoir ou ne pas encore savoir).
Dans le contexte professionnel, il convient par exemple de promouvoir l’humour qui crée de la créativité et de la convivialité, et non celui qui crée de la distance. Il s’agit de rire avec les collègues et les employés, pas d’eux. Il s’agit de développer des capacités à sentir quel humour est approprié à un moment donné, ou de se retenir de faire certaines blagues. Même si l’humour positif parvient à créer de la proximité et de l’intimité, les blagues mal placées peuvent aussi être blessantes et créer de la distance, selon le contexte.»
Réguler ses propres émotions
«Dans ma recherche, je m’intéresse à la régulation des émotions, et aussi à la manière dont on peut réguler les émotions des autres. Dans ce domaine, l’humour peut aider, notamment dans les situations difficiles.
Pour réguler les émotions, nous avons le choix entre de nombreuses stratégies: éviter les situations qui nous font peur; nous distraire pour éviter de penser à quelque chose; nous concentrer sur des choses positives pour nous sentir mieux. Mais il est aussi possible d’interpréter une situation qui provoque certains sentiments non désirés sous un nouveau jour: c’est ce qu’on appelle la réévaluation cognitive. La recherche a montré que la capacité à réévaluer les situations et les émotions – ou à les voir d’un point de vue différent – est une stratégie adaptative et est liée à des résultats positifs à long terme (plus de bien-être, moins d’émotions négatives et de stress).
L’humour peut aussi nous aider à nous distraire lorsque nous regardons un film drôle et que nous ne pensons pas à nos problèmes pendant un moment. Enfin, nous pouvons utiliser l’humour pour changer de perspective, en observant par exemple quelque chose d’absurde dans une situation ennuyeuse et en rire.
Changer notre perspective
Dans d’autres recherches, je me suis demandé si les réinterprétations humoristiques étaient plus efficaces que les réévaluations cognitives sérieuses. Nous avons pu montrer que l’humour était plus difficile pour les participants·es, mais que lorsqu’ils parvenaient à créer une remarque humoristique sur une image qui provoquait des émotions négatives, cela était plus efficace que la réinterprétation sérieuse. L’humour peut donc être considéré comme un moyen efficace pour faire face à une situation difficile. Il nous permet de considérer une situation sous un angle moins stressant.
Réguler les émotions des autres
L’humour en tant que stratégie de régulation des émotions n’est pas seulement utile pour soi-même, mais peut aussi être utilisé dans un contexte social. Nous avons montré dans une étude que l’humour positif chez les couples favorise les émotions positives et atténue les émotions négatives. Dans le contexte du travail, l’humour peut aider à créer de la proximité, de sorte que le patron ou l’employé se sentent plus à l’aise, plus proche.
Mais il faut aussi mentionner que l’humour a ses côtés sombres. Il peut être blessant ou créer de la distance. C’est le cas lorsque quelqu’un utilise l’humour pour rabaisser, dévaloriser, critiquer ou insulter une autre personne devant les autres. Cela peut être intentionnel ou non intentionnel. Afin d’éviter de se moquer involontairement de quelqu’un, vous avez besoin de ce sentiment de tact déjà mentionné – c’est-à-dire de ressentir une com- pétence sociale dans quel contexte quelle blague est appropriée ou non. Ce n’est pas toujours facile, d’autant plus que l’humour est aussi souvent utilisé pour jouer avec les limites et pour provoquer.»
L'intervenante
Andrea Samson est professeure extraordinaire en psychologie à UniDistance Suisse. Elle est titulaire d’un doctorat en psychologie de l’Université de Fribourg et d’un post-doctorat de l’Université de Stanford. Elle est aussi la directrice du chEERS Lab – une équipe de chercheuses et chercheurs intéressés par l’étude des processus socio-émotionnels chez les personnes avec des troubles du développement (par exemple autisme). L’humour, les émotions positives, et la régulation des émotions liées à la santé mentale jouent un rôle important dans sa recherche.