Justice et éthique en organisation

L'incertitude liée à la crise réveille le sentiment d’injustice en organisation

Plusieurs recherches universitaires montrent que l’incertitude économique aiguise l’attention des collaborateurs à l’injustice. En France, cette prise de conscience s’est transformée en actes très violents. Pourquoi la Suisse romande n’a-t-elle pas connu le même scénario? Et quels sont les vrais enjeux pour les DRH? Les spécialistes donnent leurs conseils. 

 

Les images des salariés français en colère ont fait le tour du monde: directeurs généraux pris en otage, pneus qui brûlent à l'entrée des usines et opérations de chantage à la pollution. Ces démonstrations très violentes ont mis à jour un fort sentiment d'injustice dans les grandes organisations françaises. Ce scénario catastrophe est-il possible en Suisse romande? Et quels sont les enjeux majeurs derrière le sentiment de justice en organisation? Notre enquête.

«Un sentiment d'injustice apparaît quand l'équité n'est pas respectée, quand les procédures donnent lieu à du favoritisme ou à cause d'une mauvaise communicaion de l'encadrement», explique le professeur Dirk Steiner (Université de Nice-Sophia Antipolis), grand spécialiste de la justice en organisation et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Il précise que ce sentiment apparaît aussi dans des situations réellement justes mais où les personnes n'ont pas les informations pour l'évaluer correctement. «Il faut toujours se demander quelles sont les informations à la disposition des collaborateurs et si ces données sont vérifiées. On constate souvent qu'ils en ont très peu ou qu'ils disposent d'informations erronées.»

Les décisions sont-elles prises selon les mêmes critères pour chacun?

Mais la transparence complète n'est pas toujours possible. Comment en effet communiquer à tout le monde les rémunérations de chacun ou dévoiler le détail de l'atteinte/ou non des objectifs individuels. D'où l'importance croissante de la justice procédurale (voir les définitions ci-contre). La justice procédurale concerne les règles du jeu. Dirk Steiner insiste beaucoup sur cette dimension: «Les salariés n'ont pas forcément besoin d'avoir accès à tous les détails. Cela leur suffit de savoir qu'ils sont tous traités à la même enseigne. Qu'une décision de rémunération, de promotion de carrière ou d'attribution de responsabilité a été prise selon les mêmes critères pour chacun et qu'ils trouvent ces critères pertinents.»

Mais cette importance de la communication, surtout en période de changement, est sous-estimée par les managers, déclare Dirk Steiner. «Sous la pression des résultats à court terme, les managers ont tendance à oublier de prendre en compte le point de vue de leur équipe. Même si cela prend beaucoup de temps, ce sera toujours moins long que de réparer les dégâts à la suite d'une grosse erreur.» Parmi les outils à disposition, il conseille les audits avec des questionnaires portant sur le climat de travail. Ces enquêtes concernent surtout les décisions particulièrement difficiles. En Suisse, l'obtention du label Equal Salary, qui permet de mettre à jour de façon objective plusieurs informations liées à l'équité de traitement des collaborateurs, peut également être un outil intéressant (voir l'encadré ci-contre). Cette culture de la communication passe également par un contact régulier avec les collaborateurs et par plus de franchise dans les rapports entre collègues de même niveau hiérarchique.

«La culture du partenariat social est fortement ancrée dans nos usages»

Un autre enjeu majeur du sentiment de justice en organisation est le partenariat social. Pour Aldo Ferrari, secrétaire régional du syndicat Unia Vaud, «la culture du partenariat social est fortement ancrée dans nos usages, ce qui explique les réactions moins violentes des salariés suisses». Et à l'avenir? «C'est difficile à dire. Nous sortons actuellement de cinq années glorieuses. Les perspectives sont en train de s'inverser et les rapports de force risquent bien d'être plus tendus. La suppression du pour cent de solidarité sur les hauts revenus dans l'assurance chômage est un exemple. D'autre part, les syndicats devraient devenir des interlocuteurs contractuels des entreprises. Notre regard externe est une garantie de la qualité du dialogue social». Il regrette notamment l'image négative qui colle à la peau des syndicats suisses: «Les DRH croient souvent que nous voulons tout casser. C'est faux, nous savons aussi comment gérer une entreprise. Unia occupe près de 1000 salariés en Suisse.»

Autre grande différence avec nos voisins français: la structure du tissu économique suisse romand. Aldo Ferrari: «Le 80% du tissu économique suisse est composé de PME. Nous avons peu d'industrie manufacturière à faible valeur ajoutée, comme c'est le cas en France. Ce sont ces secteurs qui sont les plus exposés. En Suisse, la crise touche surtout l'horlogerie et l'industrie des machines. Le secteur financier est également concerné, mais il est moins exposé à cause de ses importantes réserves. Le tissu économique français est différent. La fermeture de grosses usines de production concerne des régions entières et des milliers de personnes. Imaginez si les groupes Swatch et Richemont quittaient l'arc jurassien du jour au lendemain, ce serait une autre histoire. Enfin notre assurance chômage indemnise 80 pour cent du dernier salaire contre 60 pour cent en France. Même si la perte d'emploi est ce qu'il y a de plus pénible, ça change la donne.» 

Les intervenants

Dirk Steiner, 50 ans, est professeur de psychologie sociale et du travail et des organisations à l'Université de Nice-Sophia Antipolis.  

Les intervenants

Aldo Ferrari, 47 ans, est le secrétaire régional du syndicat Unia Vaud.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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