Résolution de conflits en entreprise
Quatrième chapitre du dossier sur l'utilité des psychologues du travail et des organisations pour les RH.
Illustration: Nuthawut Somsuk / iStock
Lorsque surviennent des tensions interpersonnelles sur un lieu de travail, l’attention est le plus souvent portée sur les personnes qui les vivent. Richard et Marine ne s’entendent pas? C’est sans doute lié à leurs personnalités, un caractère trop ou pas assez prononcé, un possible trouble psychique, voire de l’incompétence...
Porter un regard différent, plus large, incluant d’autres dimensions professionnelles nécessite une certaine discipline et un effort conscient. Dans les faits, les conflits de travail sont souvent le symptôme ou l’expression d’un problème sous-jacent qui n’est pas forcément personnel. Les cahiers des charges de Sylvie et Marco sont flous et se chevauchent? Pas étonnant que des tensions soient présentes!
La manière dont les conflits sont appréhendés et analysés dans une organisation va donc avoir un impact énorme sur les mesures qui en découleront. Votre démarche est focalisée sur les personnes? Par définition, vous ne détecterez et ne prendrez en compte que des dimensions individuelles, au mieux interpersonnelles. Vous élargissez la focale et promenez votre loupe sur toutes les dimensions contextuelles? Votre pêche aux informations sera d’autant plus riche, et les pistes d’intervention et de prévention d’autant plus nombreuses.
Des demandes, un contexte et des enjeux à découvrir
En tant qu’intervenants, nous découvrons les problèmes par le biais du récit qui nous en est fait. Ce récit est en général assorti d’une demande concrète. Par exemple, un cadre pourrait souhaiter qu’une médiation soit mise sur pied afin d’apaiser la relation électrique entre deux subordonné-e-s qui ternit l’ambiance des réunions.
Il est capital d’accorder du temps à cette phase de réflexion initiale, et de recueillir les informations qui vont permettre de définir quelles seront les démarches les plus adaptées. Cela implique de se poser, par exemple, tout ou partie des questions suivantes:
• Quelle est l’activité exercée?
• Quel est le contexte organisationnel?
• Quels sont les problèmes qui se posent, et à quelle(s) personne(s)?
• Qu’est-ce qui a déjà été mis en œuvre pour tenter de résoudre le problème?
• Quelles sont les conséquences de cette situation (sur les personnes et pour l’organisation)?
• Qui serait prêt se mobiliser pour amener des changements?
• Qui pourrait intervenir et de quelle manière?
Afin de donner une idée de la manière dont ces questions sont abordées, nous vous proposons de plonger dans l’exemple ci-dessous, fictif et volontairement simplifié:
Marco, assistant RH, travaille depuis quelques mois en tandem avec une autre assistante RH, Sylvie. Afin de favoriser le développement de la collaboration, la responsable de l’équipe RH, Viviane, a décidé que Marco quitterait son bureau individuel pour s’installer dans le même bureau que celui de Sylvie. Les premières semaines, tout se passe bien. Viviane, Marco et Sylvie ont même pris l’habitude de prendre le café ensemble les matins où tous trois sont présent-e-s au bureau. Au fil du temps, Marco se sent de moins en moins à l’aise car il a le sentiment que Sylvie cherche à imposer des modes de travail, notamment concernant le suivi des formations internes. De son côté, Sylvie lui reproche de ne pas adopter les mêmes pratiques qu’elle et de compliquer le suivi des dossiers. La tension est devenue telle que Marco et Sylvie ne prennent plus la pause ensemble, et ne s’adressent quasiment plus la parole.
La collaboration entre Marco et Sylvie semble tourner au vinaigre ! Dans de telles situations, il peut arriver que les personnes concernées arrivent à trouver ensemble un modus vivendi, passé ce premier moment difficile. Il est malheureusement fréquent que la situation reste bloquée, voire se détériore. Voyons comment Viviane, en tant que supérieure, a tenté de faire face à cette situation.
Quand elle a senti la tension monter entre ses deux assistant-e-s RH, Viviane a cessé de participer aux pauses-café. Au fil des semaines, ces pauses ont disparu. Par ailleurs, Viviane a organisé deux entretiens pour s’entretenir de manière séparée avec Marco et Sylvie. Suite à cela, elle a réaménagé les horaires de travail afin que Marco et Sylvie se voient le moins possible.
Comment la situation a-t-elle évolué suite à cela?
Marco, soucieux de ne pas compliquer encore cette situation et craignant de provoquer la colère de sa collègue, la questionne fréquemment sur les procédures à suivre. Il semble démotivé et se renferme sur lui-même. Sylvie a commencé à chercher du soutien auprès d’autres collègues, tout en allant régulièrement se plaindre des agissements de Marco auprès de Viviane. Le terme de «harcèlement» est sorti de sa bouche à quelques reprises.
Partons de l’idée que c’est à ce stade-là que Viviane va solliciter l’intervention de tiers (internes ou externes à l’organisation).
Viviane sollicite une psychologue du travail et lui expose longuement la situation. Elle aimerait que la psychologue s’entretienne avec Sylvie afin de l’apaiser. Une médiation entre Marco et Sylvie lui paraîtrait également utile.
Accepter telle quelle la demande d’intervention risquerait fort d’amplifier encore le problème. Sylvie pourrait avoir le sentiment qu’elle n’est pas prise au sérieux, ou que sa responsable se défile. Par ailleurs, tant Marco que Sylvie pourraient refuser la médiation dans la mesure où les discussions qu’ils ont eues par le passé n’ont jamais permis de régler leur différend.
Voyons quelles informations la psychologue du travail obtient lors des entretiens individuels menés avec Viviane, Marco et Sylvie.
Sur le plan de l’organisation du travail: L’équipe s’est presque entièrement renouvelée l’année précédente. Marco est le plus ancien, et le seul qui soit resté. L’équipe RH travaille de manière très autonome. Les processus de travail ne sont pas formalisés et n’ont jamais été validés par la responsable.
Sur le plan du management: Viviane décrit son management comme basé sur la confiance et l’écoute, dans une volonté de bienveillance. De leur côté, Marco et Sylvie disent avoir toujours eu de bonnes relations avec leur supérieure, mais la sentent dépassée par les événements, et dans l’incapacité de trancher.
Sur le plan interpersonnel: Viviane résume ainsi la situation: «C’est un problème d’entente entre Marco et Sylvie; je n’y peux rien!» Sylvie montre de manière non verbale sa désapprobation quand Marco la «harcèle» de questions. Marco interprète les froncements de sourcils de Sylvie comme le signe d’une incompréhension et la nécessité de poser à nouveau ses questions de manière plus lente et détaillée. Ce qui agace bien entendu Sylvie, qui fronce les sourcils de plus belle… Sylvie serait prête à échanger avec Marco dans le cadre d’une médiation. Marco, lui, est lassé des discussions et ne veut pas entendre parler d’une telle démarche.
Sur le plan collectif au sein de l’organisation: De plus en plus de personnes semblent être au courant de l’existence du conflit. Un groupe de soutien s’est constitué autour de Sylvie, ce qui accroît l’isolement de Marco.
Mise sur pied de démarches de résolution
Passée cette phase d’exploration des problèmes et de leur contexte, le temps est venu de définir une démarche d’intervention pour y remédier.
Dans notre exemple, la situation se dégrade rapidement. La communication est bloquée, de plus en plus de personnes sont aspirées dans le conflit et aucune issue n’est visible. Il est cependant encore temps de mettre en œuvre des mesures constructives, visant à permettre aux personnes de continuer à travailler ensemble sur des bases plus harmonieuses.
D’une manière générale, plus tôt le conflit est pris en charge, plus aisée sera sa résolution. Les tensions débutent le plus souvent autour d’aspects concrets du travail, pour se focaliser au fil du temps sur les personnes. A l’autre bout du processus, dans les formes de conflits les plus aiguës, des violences interpersonnelles peuvent apparaître, notamment du harcèlement psychologique ou sexuel ou des agressions physiques.
Sans entrer dans le détail, il est nécessaire que l’organisation puisse réagir à des situations très différentes en termes d’intensité, de conséquences et de gravité. Mieux vaut donc disposer de règles claires à ce sujet avant que des cas concrets ne se présentent…
Voyons quelles démarches ont été menées dans notre exemple afin de résoudre le conflit.
Après avoir vu les personnes individuellement, la psychologue du travail a proposé deux réunions tripartites regroupant Viviane et, respectivement, Marco et Sylvie.
Ces réunions ont permis d’une part de rendre compte des dimensions investiguées, d’autre part de clarifier ce à quoi chaque personne serait prête. Marco a ainsi pu exprimer devant sa supérieure son refus de la médiation.
Lors des discussions, Viviane a réalisé que la manière dont l’activité était exercée ne correspondait pas à sa perception. Elle comprend que les processus doivent être rediscutés collectivement et clarifiés, quitte à ce qu’elle tranche. Cet arbitrage sur le travail ne lui pose pas de problème.
Dans cette situation, il a été décidé de donner la priorité à une clarification des modes de travail, et de ne pas insister pour qu’une médiation ait lieu. L’idée était de laisser un temps de réflexion à Marco et Sylvie et de leur proposer à nouveau cette démarche quelques semaines plus tard.
Finalement, le fait que Viviane s’implique dans la définition du travail, et prenne position quant aux points qui causaient des frictions, a permis de poser un cadre dans lequel le travail a pu se faire de manière plus détendue. Marco, s’il avait des questions sur les procédures, s’est adressé à Viviane, sans importuner Sylvie. Au fil des semaines, la situation s’est détendue au point que quelques pauses-café ont eu lieu en commun.
Lorsque la psychologue du travail a repris contact avec les trois personnes, elle a réalisé qu’une médiation serait probablement superflue. En revanche, quelques réunions de suivi collectives ont permis d’affiner les principes de collaboration au sein de l’équipe.
Ce qu’il faut retenir
Notre exemple est resté volontairement simple, mais n’en est pas moins réaliste et représentatif de ce à quoi l’une de nos interventions pourrait ressembler. Il montre qu’un regard extérieur et neutre peut faire la différence dans les situations conflictuelles. Dans un domaine où les interventions sur les individus sont souvent mises en concurrence avec des approches organisationnelles, la vision systémique des psychologues du travail combine avec souplesse des interventions à différents niveaux, en prenant en compte la complexité des humains et des organisations.